La gorge en feu, les yeux brûlants, je dois quitter ce roman comme on laisse derrière soi l'amour d'une vie. Je referme
L'Apothicaire avec la certitude d'avoir lu le meilleur roman de ma vie de lectrice, comme on imprime en soi chaque mot d'une bouche adulée. Je reçois, avec le parcours de cet homme incisif, cet illustre apothicaire, Andreas
Saint Loup, l'offrande d'un parcours initiatique.
Dans le Paris du Moyen-âge, en ce mois de janvier 1313, alors que Philippe le Bel règne sur un peuple de paysans et de catins, d'ecclésiastiques et de médecins,
Saint-Loup tient la dragée haute aux prétendus experts de la pharmacopée. Ce maître d'apprentissage en vaut mille, cherchant à connaître l'élixir même de la science, fervent défenseur de Thomas D'Aquin, grand théologien attaché à l'équilibre entre foi et raison. Mais la science ne l'aide en rien face à un grand mystère qui vient le hanter, le 11 janvier 1313, alors qu'il descend l'escalier de sa demeure. Une porte s'offre au visiteur à mi-parcours des marches. Or, il n'a aucun souvenir de cette porte, pas plus que de la pièce qui s'ouvre derrière, et le plus troublant, est que ses serviteurs du quotidien (ou devrions-nous dire ses accompagnateurs, tant ils les estiment au même niveau que lui-même), n'ont pas plus conscience que lui qu'il y eût une pièce ici, voire même, que quelqu'un eût pu l'habiter.
En ce jour-même, l'apprenti de
Saint-Loup a terminé son cycle et quitte son maître, pour mieux laisser la place à un nouvel élève. Robin et sa soif d'apprendre surgira alors d'un lieu incongru.
Mais il ne faudrait pas oublier l'autre versant de ce roman, celui d'où Aalis nous souffle son haleine adolescente de jeune fille portant les valeurs humaines en étendard, hérissée du haut de ses seize ans contre la traque des juifs (déjà), ses prunelles vert émeraude enflammées dès les premières lignes.
"Les faits qui arrivèrent précisément à la même heure en la ville de Paris sont si troublants par leur ressemblance avec ce qui vient d'être décrit que d'aucuns, parmi les lecteurs, y verront le signe de la Providence, quand il paraît seulement au narrateur que, parfois, les destins de deux inconnus se lient au hasard de la loi des très grands nombres ; mais la manière dont on observe le monde et dont on interprète ses correspondances, finalement, ne change rien à sa splendide et déroutante harmonie, et libre à chacun de voir de la raison là où surgit l'extraordinaire, ou de la magie là où agissent les mathématiques."
Les effluves d'un laboratoire parfumé de terre battue, de substances broyées, les tintements de flacons et de bulles propulsées hors des caquelons, et la vision d'un dos tourné, le buste penché au-dessus de son établi, voici une infime partie de ce que vous verrez en lisant ce témoignage. Parce qu'il s'agit bien de cela, au final, un témoignage écrit par un conteur, qui prend le lecteur en otage dès les premiers mots, chuchotant des mots parcheminés.
"En ce moment l'on peut dire que trois coeurs battaient plus fort qu'à l'accoutumée et certains diront même qu'ils battaient à l'unisson, et nous-même, en écrivant ces lignes, devons reconnaître que l'émotion nous gagne."
Des otages bien vite en adoration face à leur geôlier. Car Monsieur Henri Loevenbruck a dorénavant scellé mon sort (comme celui de nombreux lecteurs avant moi et à venir).
Il l'a scellé, parce que ce roman n'est pas un récit du Moyen-âge ; il rend
L Histoire à ses descendants. Ce roman n'est pas une galerie de personnages attachants ; il est le portrait d'un peintre dévoué au réalisme de vies que vous sentez revivre dans vos artères. Ce roman n'est pas un roman d'aventures ; il est le meilleur élixir de vie. Ce roman n'est pas un dogme ; il est le tableau des idéologies entremêlées, présentées au spectateur pour qu'il se fasse sa propre idée des croyances à suivre qu'elles fussent célestes ou démoniaques. Enfin, ce roman n'est pas un pèlerinage ; il est l'ingrédient du mot "chercher".
Alors voilà, j'aimerais qu'Andreas St Loup n'ait laissé que des noeuds dans mon ventre, mais je sais déjà que le Mal dont je vais être affligée maintenant n'aura de cesse que je vivrai. le Mal de terminer le roman, celui que tout lecteur cherche. Ma quête fut riche, extraordinaire et resplendissante, il est toujours aussi déchirant de vous quitter, Monsieur
Loevenbruck.
[Mon Dieu, je n'ai jamais autant craint de ne pas réussir à vous rendre le millième de ce que ce roman m'a offert !]