Quel bonheur d'être tombé sur l'essai de
Didier Hendrickx à propos de
Lovecraft (voir mon billet) ! Grâce à cette lecture providentielle ma perception de
Lovecraft a complètement changé : elle est passée de l'avis pauvre et rapide (après la lecture d'un seul texte…) que
Lovecraft cherche seulement à effrayer à coups de superlatifs de l'affreux et du répugnant, à la découverte que le lire c'est avoir affaire à un certain génie d'un certain type de récits : ils disent l'obsession de l'expérience humaine devant l'horreur absolue. Pour moi, les nouvelles de
Lovecraft sont à ce titre des textes esthétiques, au sens étymologique du terme : « sentir ». Car
Lovecraft propose au lecteur de faire
lui aussi, en imagination, cette expérience quasi indicible de l'Horreur avec majuscule (et l'histoire ne fonctionne que si le lecteur se prête à cette expérience).
L'Appel de Ctuhlhu est donc le premier texte de
Lovecraft que je lis sous cet angle nouveau et je ne doute pas que toutes ses nouvelles traiteront de cette même dimension de l'horreur absolue; ce n'est pas un problème, en fait, et c'est même tout l'intérêt de la chose, car comment pourrait-il en être autrement : l'altérité radicale, avec l'effroi qu'elle cause et qui fige le corps et l'esprit, est par essence indicible, l'Autre est ce qui échappe à toute représentation et il faut s'y reprendre encore et encore pour, finalement, ne pouvoir que l'effleurer : l'univers de
Lovecraft en est une version personnelle et très parlante. Variations sur un même et unique thème, donc, et pour ce faire il
lui aura fallu forger une langue étrangère à l'usage commun, une langue fortement poétique ("seul un poète ou un fou pourrait reproduire les bruits que perçurent les hommes de Legrasse"), dont le ressort est la fascination et la sidération par la description, puisque seule la poésie, c'est bien sa fonction, peut prétendre approcher l'Innommable...
Je considère donc que
Lovecraft a fait oeuvre de poète et rien ne me stimule plus maintenant à le lire que de le découvrir forgeant cette langue et les mondes qui en ont surgi pour dire ce qui, peut-être, nous habite tous au plus profond : l'Autre et son cri inhumain vers le Chaos et la Mort.
Un gros bémol à évaluer par la suite : les commentaires racistes et sur les prétendus "dégénérés", c'est-à-dire une façon chez
Lovecraft, dans ses nouvelles, de repérer les signes d'une corruption de l'humain - qui annoncent l'Horreur - parmi certains groupes de personnes présentées comme vecteurs du Mal (métis, Esquimaux, montagnards, ouvriers, domestiques, etc.) et non considérées comme des semblables, rabaissées au rang de sous-hommes, déshumanisées.
(L'édition J'AI LU 2021 est truffée de coquilles.)