Il est évident que les « rois de l’argent » sont habitués à plus de confort et que vos palaces et vos gratte-ciel de New-York n’ont rien de comparable à nos modestes demeures, fussent-elles seigneuriales.
« Ce que nous aimons ici, nous, les fils de la vieille Europe, c’est… mon Dieu ! presque rien en somme : tout un passé qui dort là au creux des arbres moussus et dans les allées centenaires… c’est l’histoire, toujours vivante pour nous, des générations évanouies qui contribuèrent, au cours des siècles accumulés, à mettre sur notre sol, sous notre ciel, un peu de beauté et d’art – cet art et cette beauté que vous essayez d’acquérir à coups de dollars et de bank-notes – c’est l’âme de nos aïeux, éparse dans nos tourelles et sous les clochers de nos églises ou enfermée dans les lambris assombris par les ans de nos manoirs et de nos gentilhommières… toutes ces choses qui n’ont d’autre valeur que celle que notre souvenir leur donne et qui, pour les étrangers, ne sont en réalité, comme disait Mademoiselle tout à l’heure, qu’un amas de vieilles pierres…
La vie m’a appris de bonne heure à donner à chaque chose sa réelle importance… Et rien n’a de l’importance… même pas les blessures d’amour-propre.
« Et puis, l’amour-propre est très relatif. Ce qui pourrait m’humilier dans ma nouvelle position, ce serait de voir autour de moi des témoins de mon passé. Or, il n’y a plus de témoins… que ceux qui sont muets et immuables : les pierres, le ciel, le décor… A part eux, aucun visage familier : tu sais, autant que moi, qu’on a remplacé toute la domesticité et jusqu’aux gardes-chasse…
Je n’admets pas qu’un sentiment soit plus fort que ma volonté. Sachez, Charlette, que personne encore ne m’a jamais fait faire ce que je ne voulais pas… ni mon père, ni personne. J’ai été habituée à aller jusqu’au bout de mes désirs et je n’ai que des désirs raisonnables. Mais votre amour, Charlette, votre amour qui se présente comme un maître et comme un vainqueur, soyez sans crainte, il ne m’asservira jamais.
— Que cherchez-vous alors dans le mariage ?
— Ce que nous cherchons… eh bien, un mari, un associé qui nous apporte de l’argent si nous n’en avons pas, ou, si nous en avons, quelque chose d’aussi précieux : un titre, un nom célèbre, des talents spéciaux pour faire fructifier notre fortune… Voilà…
— Mais… le cœur…
— Le cœur… qu’elle est amusante ! Ma chérie, le cœur continue de battre et la terre de tourner.
J’étais comme un pauvre morceau de lierre qu’on vient d’arracher à sa muraille, je tendais les bras dans le noir pour me cramponner à nouveau. Et puis, j’ai pensé à Guy, à notre foyer futur que j’allais contribuer à édifier, et alors, cela m’a donné du courage.