Danube (1986) a reçu le prix Bagutta et le prix du Meilleur Livre Étranger (essai) en 1990 en France. le livre fut publié l'année où
Gorbatchev a introduit en URSS deux notions : le glasnost et la perestroika, à une période où les pays de l'Est étaient terra incognita à l'ouest.
C'est un livre qui ne se base pas en idéologies, mais en habitants et en art, comme une élégie avec une vision humaniste commune de la Mitteleuropa. Ou, comme disait l'écrivain- journaliste australien
Richard Flanagan en 2016, this book is a timely elegy for lost Europa.
J'ai acheté ce livre ayant la conviction et le désir d'améliorer mes connaissances sur l'Europe occidentale; cela faisait des années que le livre attendait une lecture…m'ayant enfin décidé, je me dois de dire que cette lecture a duré des mois.
L'espoir pédagogique sur le livre a sinué comme les méandres de ce fleuve immense et il m'est apparu rapidement que j'allais retenir peu de choses, trop peu de choses face à l'avalanche d'informations.
Car Monsieur Magris est un véritable érudit et son discours, ce sont pour moi des digressions sans fin sur des peuplades inconnues, de lieux inconnus, de faits culturels encore inconnus, etc. de temps en temps, des lueurs d'entendement surgissaient comme des flammèches folles et je m'empressais de les marquer avec des petits signets pour les utiliser plus tard lors de la rédaction de ce billet.
Pour commencer, il faut lire plus de 100 pages sur l'origine du fleuve. Car ce n'est pas si clair que le béotien voudrait le définir, ah que nenni. Monsieur Magris avait décidé de cette navigation, 23 ans auparavant, alors qu'il se reposait sur un banc en Forêt Noire : un voyage pour connaître sa géographie car à quelques mètres de ce banc se trouvait une plaque qui indiquait la -ou une?-source du
Danube, au moins la principale de ce fleuve de la mélodie (selon
Hölderlin), langage profond et secret des dieux, route qui unissait l'Europe et l'Asie, l'Allemagne à la Grèce et le long de laquelle la poésie et le verbe, dans les temps légendaires, étaient remontés pour apporter le sens de l'être à l'Occident germanique.
Vous pouvez le constater, la prose peut se révéler très lyrique, romantique même.
Le
Danube, le fleuve des superlatifs comme on l'a surnommé, avec son bassin de 817 000 Km carrés et les deux cents milliards de mètres cubes d'eau qu'il déverse chaque année dans la Mer Noire.
J'ai croisé le nom de Céline, page 59, ce qui m'a permis d'atterrir un peu. Voici ce qu'en dit Magris: entre les murs du château de Sigmaringen situé sur les rives du
Danube un autre acteur de premier plan du sanglant théâtre de notre siècle, Céline, a vécu, souffert et raconté le déracinement et le cauchemar de la guerre totale. Il voyait le fleuve se briser avec furie contre les arches et il l'imaginait, féroce et destructeur, renversant les tours, les salons et leurs porcelaines pour les emporter dans ses flots jusqu'à son delta, effritant et ensevelissant l'Histoire parmi les détritus boueux des millénaires.
Nouvel atterrissage à Ratisbonne, ville médiévale que je connais, belle évocation…le
Danube, qui sous le Pont de Pierre s'écoule, grand et sombre dans le soir, et strié par les crêtes de ses flots, semble évoquer l'expérience de tout ce qui manque, écoulement d'une eau qui s'en est allée ou va s'en aller mais qui n'est jamais là. L'air et les eaux noires sont riches de vent, de reflets et de couleurs, de bruits, d'ailes d'oiseaux, d'herbe qui ploie légèrement et se couche dans l'ombre, mais en pénétrant dans la ville bardée de tours j'ai l'impression de me glisser entre deux pages d'un livre.
Intérêt bien éveillé lorsque l'on évoque cette romantique image de Sissi qui m'avait tellement subjugué lors de ma jeunesse…la Hermesvilla, dans son parc peuplé de daims et de sangliers à la périphérie de Vienne, était, avec ses ambigüités liberty, le lieu de prédilection de l'impératrice Elisabeth, la malheureuse, légendaire-et difficilement supportable- épouse de François-Joseph, cette Sissi farouche et fugitive si chère à l'imagination populaire. Hans Makart, décorateur et dessinateur officiel de Vienne à l'époque, avait été chargé de peindre, dans sa chambre à coucher, des scènes inspirées du Songe d'une nuit d'été de
Shakespeare. Les couleurs sont sombres, morbides, le lit de l'impératrice est une véritable couche funèbre, veillé par une allégorie de la mélancolie, les scènes shakespeariennes sont d'une glaciale et insidieuse lascivité que l'on retrouve dans les personnages mythologiques placés dans la salle de gymnastique, où Elisabeth soumettait son corps androgyne à des exercices pratiqués comme un véritable culte.
A Bratislava (que nous appelions Gratislava avec des amis, tellement l'on pouvait faire des achats intéressants), ville autrefois célèbre pour ses habiles artisans et ses collectionneurs d'objets d'horlogerie, on ressent l'impérieuse présence d'époques riches en conflits. Cette capitale d'un des plus anciens peuples slaves a été, pendant deux siècles, celle du royaume de Hongrie, lorsque ce pays a été occupé presque entièrement par les Turcs; c'est à Bratislava que les Habsbourg venaient ceindre la couronne
De Saint- Étienne, et que la jeune
Marie Thérèse vint, après la mort de son père, demander l'aide de la vieille noblesse hongroise, avec son fils Joseph nouveau-né dans les bras.
Livre fleuve, lyrique par moments, d'une richesse inouïe, livre accessible et métabolisable pour peu de gens, lecture fatigante par moments, difficilement enrichissante du fait de la surabondance d'informations. C'est une longue digression de Monsieur Magris qui a accompli ici un rêve fou et abouti.
Lien :
https://pasiondelalectura.wo..