Il faut savoir qu'Éric Mailharrancin s'est intéressé de près au Chemin des Dames durant la Première Guerre mondiale. Il a écrit un essai historique "Les Basques au Chemin des Dames : la prise de Craonne et les mutineries de 1917" et a tenu quelques conférences sur ce sujet. Il s'est penché sur la mutinerie du 18e régiment d'infanterie de Pau, le 27 mai 1917, en étudiant la procédure de jugement des mutinés. Deux soldats basques sont impliqués.
Pour arriver à comprendre comment ils en sont arrivés là, quoi de mieux que d'écrire un roman sur toute cette guerre depuis ses débuts. du moins, ses débuts concrets pour les soldats et la population.
Du tocsin à l'armistice.
D'un côté, le front avec le 49e régiment d'infanterie de Bayonne. D'abord à Gonzée, en Belgique. Ensuite dans les tranchées du Chemin des Dames, dans l'Aisne, où le régiment restera quasiment durant toute la guerre.
De l'autre, le pays, avec ses Forges de l'Adour transformées en usines d'armement. Avec les femmes qui remplacent les hommes, les anecdotes locales, et l'honneur qu'on ne veut pas bafouer : "La plupart des villageois ignoraient les origines de cette guerre. La notion de patrie était floue pour des gens qui avaient rarement dépassé l'Adour et n'avaient qu'une vague idée de la France. Mais, aucun d'eux ne tolérait que des profiteurs échappent aux souffrances que les autres enduraient. Les embusqués étaient détestés et les familles des déserteurs bannies."
Alors, en plus des mutinés, ce roman réhabilite les embusqués et les déserteurs. Ceux qui ont eu peur, ceux qui n'y ont pas cru, ceux qui ont changé d'avis.
Bien sûr, ce roman est aussi un hommage à tous ceux tombés sur le champ de bataille, aux blessés qui ont survécu sans pénicilline ni chirurgie esthétique, à ceux tombés de fatigue, de maladie, de pétage de plombs.
Le style simple d'Éric Mailharrancin, principalement basé sur l'énumération de faits, suffit amplement pour mesurer l'horreur de cette boucherie. Pour mesurer le sacrifice de ces jeunes hommes en première ligne.
En prime, on a droit à des histoires d'amour. Mais comme je crois que l'Histoire de l'humanité n'a pas encore connue de période sans, ça ne semble pas inapproprié.
On peut se dire que c'est un énième roman sur la Première Guerre mondiale. Je pense plutôt qu'il serait bien d'avoir un roman propre à l'histoire de chaque coin de France et d'ailleurs.
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Ganich respirait avec peine, mais réussit à leur parler.
- Ba dakiztea zergatik hilen nizan ? (Savez-vous pourquoi je vais mourir ?) dit-il d'une voix faible et saccadée, à peine perceptible.
Comme Jean et Maitena ne répondaient pas, il pousuivit :
- Ordenak konprenitu ez ditudalakotz ! (Parce que je n'ai pas compris les ordres)
Et Ganich raconta comment, au cours d'un assaut, alors que le lieutenant demandait aux soldats de la première ligne de plonger dans les trous d'obus, il avait continué à avancer à découvert et s'était fait balayer par le feu d'une mitrailleuse.
Ganich allait mourir parce qu'il ne savait que le basque. Dès son plus jeune âge, ses parents, des métayers très pauvres l'avaient fait travailler aux champs et il n'était jamais allé à l'école. Enfant, il n'entendait le français qu'une semaine par an quand il venait en vacances à Bayonne chez son cousin Ramuntxo. Il n'avait pas davantage progressé pendant son service militaire, où il avait peu communiqué avec les autres, se repliant sur lui-même pour échapper aux brimades. Considéré comme un être frustre et primitif, il avait eu droit à la primeur des balles de l'ennemi, aux même titre que les Corses, les Bretons, les Sénégalais, sacrifiés en première ligne sur l'autel de la patrie.
Quelques patriotes exaltés se donnaient l'illusion de faire la guerre. [...] Leur jeu favori consistait à arracher les panneaux métalliques vantant les vertus du bouillon Kub. Une rumeur avait propagé l'idée que les emplacements de ces réclames indiquaient l'itinéraire d'invasion à l'armée allemande ! La consonance germanique de la marque du potage suffisait à les convaincre que le bruit était fondé. À défaut de se battre au front, les planqués de l'arrière jouaient à la guerre en combattant des ennemis invisibles, en traquant les embusqués, en dénonçant les déserteurs ou les prétendus espions.