Liviyatan : Le monstre de l'Allier

La collection LoKhaLe de la Clef d'Argent demande à ses auteurs de s'inspirer d'un lieu historique de leur région pour y échafauder une fiction plus ou moins fantastique. C'est ainsi que Céline Maltère, après avoir revisité la demeure de Louis Mantin à Moulins (Le Cabinet du diable) s'inspire cette fois d'un fait divers survenu à Vichy en 1933, autour de la maison du docteur Lieberman, – la villa Maire – et de sa fille Marie-Evy, jeune fille imaginative et sensible mais aussi courageuse et intelligente.
Céline campe ici des personnages du cru qui ont vraiment existé et se sert de leurs conversations de comptoir pour créer la fameuse rumeur du monstre de l'Allier, que certains ont alimentée pour toutes sortes de raisons peu honorables, au point que les journaux en ont fait leurs choux gras, attirant même des Parisiens jusque sur les bords de l'Allier.
Marie-Evy représente le personnage “pur” de cette histoire et décide d'enquêter jusqu'à se rendre la nuit, au péril de sa vie, sur une île du fleuve propice à l'observation.
De sa plume aiguisée, Céline dissèque à plaisir la bêtise et la méchanceté humaines, en gardant à son récit des dehors bon enfant, tout à fait en accord avec les dessins satiriques paraissant dans les journaux de l'époque. On verra d'ailleurs l'un d'eux en couverture, réellement paru dans le Progrès de l'Allier du 7 janvier 1934. On notera en bas et à gauche du dessin, une étoile de David stylisée.
On sent déjà poindre dans l'atmosphère la méfiance envers les Juifs et les tensions qui aboutiront à la guerre. CB
Chronique parue dans Gandahar 32 de juin 2022

La Clef d'argent propose des ouvrages atypiques, que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Ce n'est pas un hasard si Céline Maltère y est éditée : sa plume et ses sujets sont toujours surprenants. Après le cabinet du diable, elle livre un nouvel opus de la collection LoKhaLe, consacré une fois encore à une bizarrerie située dans l'Allier.

Liviyatan, c'est l'histoire d'un faits divers survenu à Vichy en 1933, la soi-disant apparition d'un monstre aquatique dans la rivière Allier. En suivant fidèlement le déroulé des évènements de l'époque, Céline Maltère construit peu à peu un roman court mais féroce, où elle étrille allègrement la société de l'époque.

Qu'il s'agisse des bourgeois, des classes populaires, des ouvriers, tout le monde en prend pour son grade. D'une ville plongée dans une semi-torpeur hivernale, elle extirpe tous les secrets, toutes les pensées nauséabondes, toute l'hypocrisie. Avec le personnage fictif de Marie-Évy, elle met au jour l'antisémitisme larvé et l'intolérance d'une province confite dans son autosatisfaction, qui cherche à se provoquer un petit frisson d'excitation, peu importent les conséquences.

L'écriture tout aussi nerveuse que moqueuse pointe les errements d'une France qui s'égare sur les mauvais chemins, sans jamais tricher avec la réalité historique. Les personnages (dont la plupart ont réellement existé) sont savoureusement dépeints, avec leurs défauts et leurs exagérations (mention spéciale à Ferdinand de Vintal, sorte de Don Quichotte fascisant dont le grotesque fait glousser à plusieurs reprises), chacun représentant un archétype social de l'époque.

Petit à petit, l'ironie mordante fait place à une sidération tragique qui préfigure le conflit à venir et son massacre d'innocents pour de mauvaises raisons, jusqu'à une fin douce-amère d'une logique impitoyable.

À la suite du roman, un dossier reprend l'affaire du monstre, pour prolonger le plaisir.