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sur 1488 notes
La Montagne magique est un livre lent et qui gagne à être lu lentement. Il fait partie de ses livres dont on ne sait trop s'ils appartiennent au roman ou à l'essai et dont Les somnambules ou L'Homme sans qualités seront le couronnement. L'auteur nous berce tel l'océan avec de fréquents va-et-vient à partir de points d'ancrage, prétextes à des réflexions, à des digressions, sur divers aspects de la vie aussi insolites qu'hétéroclites. L'oeuvre se présente comme un parcours initiatique pour le héros, Hans Castorp, soustrait à la réalité, à l'espace et au temps, dans une sorte de bulle que constitue un sanatorium d'altitude situé en Suisse au début du XXè, peu avant la première guerre mondiale.
À l'origine, Hans Castorp vient rendre une visite de trois semaines à son cousin soigné pour une tuberculose dans cet établissement. Thomas Mann a soin de nous présenter la vision de son héros puis les innombrables modifications qui s'opéreront à mesure que s'allongera son séjour au Berghof. D'abord ancré dans le monde et extérieur à la vie si spéciale du sanatorium et de ses habitués, le regard du jeune Hans Castorp va progressivement, par touches, basculer vers l'intérieur de l'établissement et être totalement déconnecté de la réalité du monde extérieur. Il va multiplier les expériences et les rencontres. Au premier rang desquelles celle de Ludovico Settembrini, pédagogue, démocrate, littérateur et phraseur italien de premier ordre, le médecin en chef Behrens, caustique et pragmatique, puis le remarquable contradicteur de Settembrini, Léon Naphta obscur jésuite, moyenâgeux, théocrate et cynique. Au Berghof, Hans Castorp rencontrera aussi la passion amoureuse pour la belle Clawdia Chauchat qui viendra souvent à l'encontre de ses programmes bien réglés d'éveil au monde sous la houlette de ses mentors. L'auteur désirait, paraît-il, écrire un livre contradictoire avec la vision classique de l'existence, à savoir, la fascination que peuvent exercer la maladie et la mort.
En manière de conclusion, je vais me risquer à donner ma version (je n'ai rien lu là-dessus, cette interprétation m'est toute personnelle) de l'explication du titre où, comme vous vous en doutez, il nous faut revenir à l'allemand. Dans la version originale, La montagne magique s'intitule "Der Zauberberg" et les germanophones trouveront une certaine ressemblance avec tout d'abord "Der Zauberlehrling", à savoir "l'apprenti sorcier" de Goethe que tout le monde connaît et dont le rapport avec Hans Castorp "expérimentant la séduction de la maladie et de la mort" semble assez évident (bien que le roman fasse clairement et ouvertement des appels du pieds à une autre oeuvre de Goethe, à savoir Faust, comme par exemple "la nuit des Walpurgis"), et d'autre part avec "Die Zauberflöte", à savoir "La Flûte enchantée" de Mozart. L'argument de cet opéra n'est pas sans rappeler certains éléments marquants du livre (le héros égaré dans un pays lointain et inconnu, la survenue du portrait de Pamina, qui ici prendrait immanquablement les traits de Clawdia Chauchat et de sa radio des poumons, etc.) et j'ai plaisir à deviner Tamino sous Hans Castorp (vous me donnerez votre avis si vous n'êtes pas d'accord avec moi).
Deux mots encore, ce livre est de ceux qui continuent d'agir en nous bien après que nous les ayons refermés pour le dernière fois et qui jouissent d'un formidable pouvoir d'édification. Il n'est pas spécialement captivant à la lecture et en ceci peut en rebuter certains, quoique je vous encourage vivement à atteindre la fin du livre et notamment la rencontre avec Mynheer Peeperkorn. Mais c'est aussi et surtout un livre sur le temps, son souterrain et impalpable travail, son caractère insaisissable et inéluctable. Mais tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose.
Pour finir, voici un petit extrait qui me semble résumer bon nombre des points abordés dans mon commentaire:

"Je suis ici, depuis assez longtemps, depuis des jours et des années, je ne sais pas exactement depuis quand, mais depuis des années de vie, c'est pourquoi j'ai parlé de « vie » et je reviendrai tout à l'heure sur le destin. Mon cousin, auquel je voulais rendre une petite visite, un militaire plein de braves et de loyales intentions, ce qui ne lui a servi de rien, est mort, m'a été enlevé, et moi, je suis toujours ici. Je n'étais pas militaire, j'avais une profession civile, une profession solide et raisonnable qui contribue, paraît-il, à la solidarité internationale, mais je n'y ai jamais été particulièrement attaché, je vous le confie, et cela pour des raisons dont je ne peux rien dire, sauf qu'elles demeurent obscures. Elles touchent aux origines de mes sentiments (...) pour Clawdia Chauchat (...) depuis que j'ai rencontré pour la première fois ses yeux et qu'ils ont eu (...) déraisonnablement raison de moi. C'est pour l'amour d'elle et en défiant Settembrini, que je me suis soumis au principe de la déraison, au principe génial de la maladie auquel j'étais, il est vrai, assujetti depuis toujours, et je suis demeuré ici, je ne sais plus exactement depuis quand. Car j'ai tout oublié, et rompu avec tout, avec mes parents et ma profession en pays plat et avec toutes mes espérances, (...) de sorte que, je suis définitivement perdu pour le pays plat et qu'aux yeux de ses habitants je suis autant dire mort."
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Ce long séjour au Sanatorium Berghof, à Davos, de Hans Castorp, héros principal de la Montagne Magique de Thomas Mann, roman qui fait comme une arche dans sa rédaction au-dessus de la Première Guerre mondiale, n'est-il marqué que par la réflexion de l'auteur sur la dilatation du temps en période et milieu de cure, où l'on se trouve tout à coup enfermé dans un espace confiné où l'air est si pur, au milieu de gens avec lesquels on finit par nouer de forts liens dus à la proximité, ou bien une autre façon de décliner le thème de la fin d'une époque, complémentaire au premier grand roman-fleuve de l'auteur, les Buddenbrook, avec sa description du déclin d'une grande famille bourgeoise comme le fut justement celle du père de Mann ?

Ici, pas d'échappatoire possible : êtes-vous bien portant et juste de passage, on vous trouve rapidement une pathologie dont vous ignoriez jusqu'ici l'existence ; Castorp qui ne devait faire ici qu'un court séjour pour voir son cousin, Joachim Ziemssen, se trouve lui-même rapidement absorbé par l'atmosphère qui règne dans le petit univers des "gens d'en haut" et happé par ce petit milieu où tout le monde connaît tout le monde, les travers, habitudes de vie et de pensée de chacun des patients ou des soignants.
Il plaît à Mann de recevoir le phénomène de radiographie comme un révélateur des maux dissimulés du corps comme la psychanalyse révèle les tendances lourdes et les caractéristiques d'une psychologie, dans le prolongement des romans d'analyse. Est-ce que l'on peut aussi décrypter la puissance du choc de l'amour devenu perceptible jusque dans les formes du corps de l'aimée observé cliniquement et découvert avec la force d'une apparition quand surgit dans le décor le personnage fascinant de Clawdia Chauchat, compagne de Peeperkorn, homme étrange et parfois inquiétant, tout autant que le sont le franc-maçon italien Settembrini et le jésuite coupeur de cheveux en quatre Naphta, qui ne craignent pas de se lancer le défi d'un duel ridicule où l'on voit passer l'ombre d'un Pouchkine, comme le point d'orgue d'une longue dispute d'intellectuels convaincus chacun de son côté d'avoir absolument raison.
C'est à cela, à ces jeux innocents que s'occupent des gens qui vivent là-haut les derniers instants d'une paix rendue précaire et compromise par le comportement suicidaire des sociétés occidentales, en bas dans la vallée.
Il faudra donc, pour Castorp quitter les cimes et le havre de paix illusoire des sommets pour rejoindre les rangs des hommes qui vont bientôt s'affronter au milieu de l'horrible dédale des tranchées, dans l'exposition aux terribles effets du gaz moutarde.

François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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Il est des lieux magiques, des lieux étranges où rien ne se passe, où l’inaction, l’oisiveté et la monotonie règnent. Des lieux vastes qui ressemblent à de grandes prisons, où les mêmes activités se répètent avec presque les mêmes personnes. Des "lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur", comme le dit si bien Saint-John Perse dans "Exil". Le titre de ce recueil décrit parfaitement la situation exceptionnelle de ces malades du sanatorium. Un exil volontaire. Dans ce lieu, le sablier du temps ralentit ; les graines de sables sont trop grandes (la plus petite unité du temps étant le mois) pour s’écouler naturellement. Des expressions comme "les jours passaient" deviennent sans intérêt, presque incompréhensibles. La définition exacte d’un moment ou d’une durée est impossible, objectivement impossible. Les jours les plus chargés d’événements sont plus longs que ces jours monotones et libres qui se ressemblent tous et deviennent, après, comme un simple et unique jour.

En rendant visite à son cousin Joachim, Hans Castorp était "un simple jeune homme" comme le désigne l’auteur au début du roman. Sa visite de trois semaines qui devait se passer dans les conditions les plus simples dans ce sanatorium est devenue une aventure interminable au goût de l’éternité, un parcours initiatique, une formation spirituelle. Sa vie allait changer dans un lieu invariable, inchangeable où les actions se réduisent à l’essentiel (l’élémentaire) d’une existence horizontale. Celui qui était destiné à servir le progrès et devenir ingénieur, oubliera tout ce destin radieux, il oubliera jusqu’à l’existence même du fameux "pays plat". Il s’effacera dans cette foule de malades (imaginaires?), lui qui se croyait bien portant. Il partagera leurs repas, leurs habitudes strictes, leurs comportements incompréhensibles. La maladie sera ce passage nécessaire par lequel il peut se connaitre, se voir de l’intérieur. Sans doute Hans Castorp était plus chanceux sur cette montagne que le pauvre Drogo dans son "Désert des Tartares" (autre grand roman sur la fuite du temps) de rencontrer des gens comme Settembrini, Naphta, Clawdia Chauchat et l’illustre Peeperkorn pour l’instruire, le séduire ou l’émerveiller. On va suivre ce Hans, cet "enfant difficile de la vie", on va vivre avec lui ses activités, ses rêves, ses sentiments, toute sa nouvelle vie, et l’on aura un goût amer en se séparant de lui en terminant cette lecture. Je crois que Hans Castorp a pu inscrire son nom dans la liste illustre des personnages de romans les plus célèbres.

L’art de Thomas Mann apparaît dans cette capacité extraordinaire à présenter la thèse et l’antithèse, à les illustrer, à les développer avec maîtrise et justesse. Les dialogues entre Settembrini et Naphta sont un exemple de ces conflits qui existaient entre intellectuels de l’époque de l’auteur, celle de l’Avant-Guerre. Ils illustrent parfaitement cette idée qu’on trouve dans "Jacques le fataliste" dans laquelle Diderot nous explique que toute thèse peut être soutenue de deux manières différentes et les deux visions sont plausibles, voire acceptables. De même pour ces deux antagonistes, ils auront tous les deux leurs adeptes, ils en ont même aujourd’hui car ce qu’ils exposent sur différents sujets dans un souci pédagogique est encore d’actualité. On débat, aujourd’hui même, du véritable sens de la liberté, des valeurs des révolutions, du progrès scientifique, de fanatisme. Car après tout, notre époque n’est-elle pas, elle aussi, une époque d’Avant-Guerre malheureusement ? Chacun des deux veut imposer son point de vue, excité par la présence de l’élève assidu et docile Hans Castorp, jusqu’au point culminant de ces débats, et there will be blood ! le jésuite radicaliste veut instaurer le royaume de Dieu, le franc-maçon humaniste la république universelle. Chacun met en garde son élève de l’emprise nuisible de l’autre mentor. Ces longs dialogues (en variant les types de discours rapporté) sont à relire ; ils consistent de véritables débats, des essais romancés si je me permets de les nommer ainsi, puisqu’à aucun moment, on ne sent que l’auteur s’éloigne du genre romanesque. "La Montagne magique" est un roman et ce qu’il dit ne peut l’être que par cette forme (pour emprunter la définition de Kundera du genre romanesque).

La maladie et la mort sont omniprésentes dans le roman. Chacun des patients portent en lui sa mort, "cette mort qui est notre compagne, du matin jusqu’au soir, sans sommeil, sourde, comme un vieux remords ou un vice absurde" comme le dit Pavese dans son poème le plus célèbre. Au regard de la mort, un sourire doit être esquissé comme celui de cette jeune fille que Hans et son cousin emmènent voir le cimetière. Pour la maladie, chaque protagoniste va donner sa vision de cette compagne fidèle des habitants du Berghof. La réflexion sur la maladie mène les personnages à une autre réflexion sur le conflit entre corps et âme. Ce corps traitre qui succombe à la maladie, qui empêche le génie à s’épanouir (Le poète Leopardi) et le courage à s’exprimer (Joachim). Joachim en véritable brave soldat, en loup stoïque, affrontera son mal jusqu’au bout.

Dans ce roman, Thomas Mann donne à chaque personnage des traits qui nous intéressent, nous accrochent. Son art de la caractérisation est fascinant, il l’utilise avec subtilité, avec un art d’observateur fin, employant des comparaisons bien placées et des métaphores pour illustrer ses descriptions. Settembrini le joueur d’orgue de Barbarie, Mme Stöhr l’idiote, Ferge le simple d’esprit, Wehsal l’amoureux déçu, Naphta le petit élégant, Mlle Kleefeld la joyeuse, l’étrange Elly aux capacités surnaturelles, Maroussia à la grosse poitrine qui sourit tout le temps, le docteur Behrens aux yeux larmoyants et aux grosses mains, son adjoint Krokovski l’amateur de psychanalyse au tablier noir, et tant d’autres à qui le romancier donne des surnoms ou brosse un portrait caricatural. Son humour est là (un humour qu’on ne devine pas lorsqu’on voit l’air sérieux que montre Thomas Mann dans toutes ses photos). La narration de Mann se veut réaliste, c’est son dessein qu’il annonce dès le début, mais on sent sa présence dans le roman, il est là à chaque fois. Il accompagne son personnage comme une ombre. Ce réalisme reste fidèle à soi, même dans la description de faits surnaturels dans la partie concernant Elly et cet esprit Holger. Sa narration est orchestrée par l’introduction de dialogues passionnants et passionnés (comme je viens de le mentionner), mais aussi de descriptions sublimes et poétiques des lieux (la montagne en neige). Féru d’art, Mann n’oublie pas de l’exprimer à travers ses personnages : la poésie et la musique surtout sont là.

Non sire Mynheer Peeperkorn, je ne vous oublie pas, impossible. La rentrée de ce personnage dans ce roman est majestueuse. On peut charmer de deux façons différentes : par les idées qu’on développe (Naphta et Settembrini) ou par la personnalité ; et c’est le cas de ce hollandais, ce Dionysos. Thomas Mann lui consacre, au plaisir du lecteur, presque une centaine de pages (70 pages) et lui donne vie par sa description méticuleuse. Cet homme aux lèvres déchirées, aux discours entrecoupés, aux gestes majestueux aura une sortie aussi fantastique que son entrée.

Et finalement, on vient à Madame Chauchat, Clawdia Chauchat aux yeux de Kirghize. Hans Castorp connaitra l’amour dans ce sanatorium comme Fabrice dans sa prison. Il aimera Mme Chauchat à qui sa condition de malade donne une liberté qui l’affranchit de sa situation de femme mariée (un bienfait de la maladie !). Il l’aimera à cause de ses yeux qui lui rappellent un certain élève qu’il admirait comme Swann tombe amoureux de cette Odette qui ressemble à une figure féminine dans un tableau. Cette femme insoucieuse sera un motif pour Hans Castorp afin qu’il reste dans une attente fidèle. Mahmoud Darwich disait dans l’un de ses poèmes, "entre Rita et mes yeux, il y a un fusil", tandis qu’entre Hans et Pribislav (l’élève) ou Clawdia, il y a un crayon. Le premier pas qu’il effectue à la rencontre de ses objets d’admiration est la demande d’un crayon. Je ne me souviens pas s’il y a parmi les moyens d’aborder une fille dans "L’Art d’aimer" d’Ovide le moyen du crayon. Tout dans cet amour est spécial. Ce crayon, le portrait interne que lui offre Chauchat, mais surtout ce dialogue avec l’aveu pendant ce carnaval.

"La Montagne magique" représente cette époque courte mais tumultueuse, nerveuse, entre la fin d’un siècle et le début d’une guerre. Une époque où les idées pullulent, bonnes ou mauvaises (Freud, Nietzsche, Marx, Darwin…), les inventions et le progrès scientifique primaient, une époque où les esprits curieux et inquiets s’affrontaient. Tout cela va finir par la Guerre, le coup de tonnerre qui va réveiller tout le monde, pour tout recommencer.

P.S. Il est déconseillé d’emmener ce livre en rendant visite à un cousin malade. Il serait de mauvais augure.
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Le contexte est celui d'une société où le travail était le moyen par lequel l'on s'affirmait, l'on existait véritablement. Seul le respect du dur labeur, qui avait presque une nature divine, rendait un homme digne d'intérêt.
Ce conte initiatique met en lumière la nature pure, pudique et un peu naïve d'un orphelin qui se prépare aux études. Son passage hasardeux par un sanatorium représente une découverte de la nature humaine.

La rencontre avec des pensionnaires caustiques, érudits, perturbés, déprimés, lui apprennent beaucoup sur la maladie, la mort, mais aussi sur la condition humaine. La détresse étant aussi une constante dans la vie d'un malade, les espérances vagues, et l'attitude digne face à la souffrance feront naître chez le jeune homme le respect de la souffrance.

Il se verra embarquer dans des discussions sur les principes de philosophie et des théories sociales ainsi que l'activité consciente de l'être humain. Les grandes théories de l'humanisme y sont abordées, principalement l'hostilité du corps contre l'esprit. Notre jeune pensionnaire trouvera des conseils sur les choix à faire dans la vie et comment se tenir à distance des vices.

La vie régulière, monotone et réglée avec précision d'un sanatorium lui insuffleront la patience. Les premiers émois amoureux éveilleront les sentiments de jalousie.
Cet huis-clos pourrait paraître perturbant pour une jeune personne à cause du spectre de la maladie et de la mort qui rôdent autour, cependant dans cet espace exigu il développera envers les autres de la sympathie de l'esprit et du coeur.
Thomas Mann livre un fidèle portrait de l'état d'esprit et de la problématique spirituelle de l'Europe dans le premier quart du XXe siècle.

C'est écrit dans un style assez classique, mais l'intelligence de l'auteur n'exclut pas la sensibilité et nous éclaire sur la genèse des relations, avec précision, mêlant le sens du détail à celui de l'essentiel.


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La montagne magique, écrit entre 1912 et 1924, conçu à l'origine comme un contrepoint ironique et absurde à La nouvelle La mort à Venise, répond à une double intention, celle d'y « montrer que l'expérience de la mort est finalement une expérience de la vie, qu'elle conduit à l'homme », et celle d'inscrire cette expérience dans un roman de formation, dans la grande tradition du Bildungsroman initiée par Goethe avec Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister.
Bien. Voici pour l'intention, dont Mann s'est expliqué lui-même, avant et après la parution de son livre.
C'est donc munie de ce précieux viatique et pleine d'ardeur que je me suis lancée sur les traces de Hans Castorp, « ce frêle enfant de la vie », toute disposée à le suivre à chacune des étapes de sa périlleuse éducation intellectuelle, morale, spirituelle et sensuelle, même si pour cela il me fallait rester sept longues années dans un sanatorium à Davos au milieu d'une société oisive et décadente décimée à intervalles réguliers et en toute discrétion par la maladie (ou par les bons soins de la médecine, on ne sait trop).
Du reste, je pensais sincèrement que je me sentirais bien la-haut sur la montagne, dans ce lieu hors du temps, douillettement bercée par le rythme monotone des journées se succédant impassiblement, à mille lieues de la frénésie, du bruit et de la fureur du « monde d'en bas ». J'ai véritablement cru pouvoir m'y blottir comme dans un cocon à l'instar de Hans Castorp qui, bien qu'en proie à une fièvre tenace (à laquelle la mystérieuse Clavdia Chauchat n'est certes pas étrangère), ne quitterait ce lieu pour rien au monde.
Par ailleurs, je savais, avant même de commencer ma lecture, que le Temps était l'un des grands thèmes du livre :
« De fait, nous avons soulevé la question de savoir si le temps pouvait se raconter dans l'histoire en cours, à seule fin d'avouer que c'est bel et bien notre dessein. »
Le temps dilaté, le temps diffracté, le temps court et le temps long, le temps elliptique, le temps qu'il fait (les saisons étant une autre façon de rythmer le temps), le temps fragmenté, le temps qui file entre les doigts… j'étais, osons le mot, excitée à l'idée d'entrer dans un roman qui, à mes yeux, devait présenter beaucoup de similitudes avec mon livre de chevet et bible personnelle : À la recherche du temps perdu.
Toujours se méfier des raccourcis de pensée trompeurs et des espoirs insensés. Ils mènent à de grandes déceptions. Et pourtant… n'étais-je pas fondée à croire que les deux livres se ressembleraient en bien des points? Outre le thème du temps sus-mentionné, outre ceux de la maladie et de la mort, outre le fait que chacun des deux ouvrages se présente comme un roman de formation, n'y trouvons-nous pas une société enclose et sclérosée, repliée sur elle-même, bientôt éparpillée aux quatre vents par le souffle de l'Histoire (en l'occurrence la Première Guerre Mondiale)? N'y trouvons-nous pas également le thème de la musique, intensément aimée par chacun des deux héros et qui imprègne de son rythme le phrasé des auteurs… N'y trouvons-nous pas le thème de l'homosexualité, omniprésent dans la Recherche, plus discret mais néanmoins clairement identifiable dans La montagne magique? Ces deux romans, enfin, ne sont-ils pas tous deux parcourus par l'humour et l'ironie, bien que chez Mann l'usage de l'ironie paraisse obéir à un dessein et prenne un caractère systématique, ce qui n'est pas le cas chez Proust?

« J'espère que vous n'avez rien contre la méchanceté, monsieur l'ingénieur ? À mes yeux, la raison n'a pas d'arme plus précieuse contre les puissances de l'obscurité et de la laideur. »

De fait, durant le premier tiers du livre que j'ai pris beaucoup de plaisir à parcourir, savourant la plume sublimée par la magnifique traduction de Claire de Oliveira, une plume à même de restituer des moments de poésie pure aussi bien que des scènes dominées par une ironie féroce, la distance entre les deux oeuvres ne me parut pas si grande. Car le narrateur de la montagne magique, bien qu'extérieur au héros, contrairement au narrateur de la Recherche, s'attache néanmoins à traduire (certes imparfaitement) ses sensations ou ses pensées :

« C'était le soir, juste après le lever du jour. Cette journée fragmentée, aux divertissements artificiels, lui avait littéralement filé entre les doigts, elle s'était volatilisée, ce qui l'étonnait joyeusement, ou du moins le laissait songeur, son jeune âge le préservant de l'épouvante. Il avait tout juste l'impression d'y voir encore. »

Hélas pour moi, Thomas Mann abandonne progressivement puis complètement toute velléité de sonder l'âme de son héros, celle-ci devenant le théâtre d'un débat idéologique sans fin entre deux « pédagogues », l'un et l'autre incarnant jusqu'à la caricature l'humanisme (candide) et le réalisme (cynique). Quittant la subjectivité du roman pour s'engager dans la voie de l'essai prétendument objective, dialectisant ou exposant des idées qu'il ne prend plus la peine d'incarner, l'auteur s'est perdu à mes yeux. Dès lors, j'ai sombré dans un ennui mortifère, une apathie furibonde, et je n'ai dû la poursuite de ma lecture qu'à la présence à mes côtés de l'indéfectible Berni_29, le compagnon de cordée, l'ami enthousiaste et loyal dont le nombre stratosphérique de retours de lecture publiés suffisent à démontrer, s'il en était besoin, qu'il n'est pas du genre à lâcher un livre en cours de route. Encouragée par ce stimulant exemple, j'ai donc tenu bon et bu le calice jusqu'à la lie. Ainsi soit-il.

Je me suis consolée comme j'ai pu en allant piocher chez Proust des extraits susceptibles de faire écho à ce que j'étais en train de lire, ce qui, bien entendu, n'a fait que renforcer ma désaffection à l'égard de Thomas Mann.
Ainsi, quand le narrateur de la Recherche, encore sous le charme de la sonate de Vinteuil qu'il vient d'entendre, nous livre cette pensée…
« Mais qu'étaient leurs paroles qui comme toute parole humaine extérieure me laissaient si indifférent, à côté de la céleste phrase musicale avec laquelle je venais de m'entretenir? J'étais vraiment comme un ange qui déchu des ivresses du Paradis tombe dans la plus insignifiante réalité. Et (…) je me demandais si la musique n'était pas l'exemple unique de ce qu'aurait pu être - s'il n'y avait pas eu l'invention du langage, la formation des mots, l'analyse des idées - la communication des âmes. »
… le narrateur de la montagne magique, quant à lui, se lance dans une explication absconse censée éclairer l'amour que Hans Castorp voue au Tilleul de Schubert :
« Avançons cette thèse : un produit de l'esprit, par conséquent significatif, tire son importance de ses implications, du fait qu'il exprime et représente un contenu spirituel plus général, tout un univers de sentiments et d'opinions ayant trouvé en lui un symbole plus ou moins parfait : c'est à cela que se mesure son degré d'importance. En outre, l'amour que nous inspire cet objet n'est pas moins significatif : il nous renseigne sur celui qui l'éprouve, caractérise son rapport à cette généralité, à cet univers que représente l'objet et que, consciemment ou non, on aime à travers lui. »

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de dire que l'un est supérieur à l'autre. Il s'agit de tenter de clarifier en quoi l'un me touche, résonne en moi et m'incite à réfléchir, tandis que l'autre me laisse aussi froide qu'un concombre et stérilise ma pensée.
C'est que Proust, en me parlant avec une extrême précision de ses sensations (ou de ses impressions comme il aimait à dire), éveille en moi des réminiscences, met en branle toute une chaîne mémorielle et sensible qui m'aide à penser, qui m'aide non seulement à voir plus clair en moi, mais aussi en l'autre. Tandis que Mann, renonçant à incarner ses idées dans des personnages dotés d'une personnalité complexe, mais au contraire les exposant de façon didactique et théâtrale, usant de termes imprécis, généraux et englobants, ne m'éclaire pas. Il m'embrouille et il m'endort.
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La magie de cette montagne est un envoûtement rare dans une vie de lecteur : une fois que l'on en a réussi l'ascension, on n'en redescend pas.

"La montagne magique" est l'une de ces oeuvres face auxquelles il faut lâcher prise et se laisser porter, et donc les rencontrer au bon moment. Autant ma première tentative m'avait rendue complètement neurasthénique au point d'abandonner très vite le sanatorium de Berghof, autant cette fois-ci ai-je eu, à la faveur de l'hiver et de languissantes plages de temps disponibles, une envie irrépressible de me couler dans le personnage de Hans Castorp, m'étendre sur le balcon de sa chambre enveloppée de couvertures, un thermomètre dans la bouche, ne plus bouger, ne plus entendre les bruits du monde, et voir passer les cadavres sur la piste de bobsleigh…

C'est fort de ces sensations vaguement glauques mais voluptueuses que La montagne magique se déguste à petites goulées d'air tantôt pur tantôt vicié, et que peu à peu on se détache du monde d'en bas, lointain, agité et vain, si proche du nôtre d'un début de siècle à l'autre. Et là, en haut, où le temps non mesurable s'étire sans fin, où la mort est acceptée et regardée en face, on suit le chemin initiatique de Hans, « frêle enfant de la vie » qui va accueillir la maladie, apprendre la vie, boire les paroles de maîtres de rencontre, le sémillant Settembrini et le ténébreux Naphta qui dans leurs échanges virtuoses vont l'éclairer sur l'âme, la morale, le sens élevé de la politique et de la religion, pour qu'enfin il trouve dans la neige son homo dei et découvre l'amour.

Impossible de parler de toutes les scènes et visions qui m'ont subjuguée dans ce livre : les cadavres descendus dans la vallée en bobsleigh déjà évoqués, le rêve de Hans perdu dans la neige, l'atmosphère orgiaque et délétère des repas, la contemplation de la radiographie, la soirée de carnaval, la nuit qui tombe sur la montagne, le printemps qui refleurit ses pans, l'appel occulte au frère mort, le chant sous les obus, des images, des sensations et des idées si nombreuses qu'elles bouillonnent et saturent littéralement mon champ de conscience.
Autant dire que ce grand roman est une somme littéraire et philosophique phénoménale, un faisceau de métaphores fascinantes qui dépasse de très loin ma minuscule personne mais qui va m'accompagner jusqu'à la fin de mes jours.

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Roman d'hypocondrie, d'amour de la mort, de temporalité.
À la montagne magique, on passe tout son temps en vaines occupations quotidiennes et rassurantes, qui permettent d'oublier d'exister pour se concentrer sur de petits gestes ordonnées par l'autorité médicale et sur les jouissances accompagnant l'appartenance à la classe bourgeoise.
Le personnage que Mann nous fait suivre apprécie également les profondes réflexions métaphysiques sur toutes sortes de sujets comme le cours du monde, la temporalité, ce qui dépasse l'humain et sur tout ce qui permet une sublimation purement idéelle de son ennui.
Cette montagne permet une complicité, moins magique qu'ensorcelée, entre l'inconscient de bourgeois anxieux, souhaitant fuir toute possibilité d'existence, pour une vie de mort vivante, retirée à la montagne, le regard obsédé par quelque défectuosité corporelle, active ou en puissance, qu'on aura eu l'amabilité de lui diagnostiquer.
Y croit-on vraiment, parmi les autorités médicales de la montagne, à l'air vivifiant, aux résonances, aux expérimentations sur le pneumothorax ?
Peut-être…
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Désolée par avance pour mon mauvais jeu de mot; La Montagne magique de Thomas Mann a été mon Everest pendant des années. le livre est présent dans ma bibliothèque depuis tout ce temps et revenait régulièrement comme un remord face à mon manque de courage. le pire est que ce ne sont pas les presque mille pages qui m'effrayaient. Mais l'impression de n'être pas à la hauteur de l'oeuvre.

Janvier 2019, j'ai enfilé mon sac à dos et mes chaussures de rando pour enfin entamer l'ascension jusqu'au Berghof. C'est d'ailleurs d'entendre parler aux infos de la rencontre annuelle de Davos qui a emporté ma décision puisque le sanatorium se trouve un peu plus haut que Davos-Platz et Davos-Dorf. Malgré mes appréhensions, j'ai très vite accroché au récit et à l'écriture dense, riche et détaillée de Thomas Mann.

Le jeune Hans Castorp, la vingtaine aisée et nonchalante, se rend pour trois semaines au sanatorium du Berghof pour visiter son cousin Joachim Ziemssen, apprenti officier obligé de soigner ses poumons atteints dans cette station huppée.
Outre la description des rituels et emplois du temps du centre de cure, l'auteur dresse le portrait détaillé de plusieurs de ses pensionnaires, certains hauts en couleur, ridicules ou pitoyables du fait de leur état moribond. le médecin et son assistant valent également le détour, le premier usant d'un langage rude et tonitruant à tout bout de champ.

Vu l'épaisseur du volume, ces descriptions laissent beaucoup de place à l'introspection, à des réflexions nombreuses et variées. Sans compter les discours du littérateur humaniste italien, le signor Settembrini.
Le contraste entre les deux cousins est saisissant. Si Joachim est d'un sérieux presque rigide quant à ses soins, afin de pouvoir repartir plus vite vers "le pays plat", Hans, lui, se laisse porter nonchalamment par le rythme singulier du sanatorium. Chaque jour étant plus ou moins identique, les semaines et les mois défilent comme une seule et même journée, semble-t-il. Les notions de temporalité et d'atemporalité sont d'ailleurs au coeur du roman, démontrant la relativité du temps et l'incapacité pour Castorp à saisir la notion de durée "ici en haut". La montagne de Thomas Mann est en effet magique de ce point de vue, plus que par la réussite de ses vertus curatives.

Bien que souvent rabroué, avec force arguments, par Settembrini qui l'a pris sous son aile de pédagogue, Hans est un jeune homme dont le caractère tend vers une certaine morbidité, accréditant la maladie et a fortiori la mort, d'une dignité et d'une noblesse que l'Italien réfute à grands cris au nom de la vie. Il engage d'ailleurs le jeune Allemand à quitter au plus vite le sanatorium et à débuter sans délai sa carrière d'ingénieur maritime. Sous son verbiage et ses airs souvent pompeux, Settembrini n'en est pas moins bon juge de la personnalité du "visiteur".

Nombre de concepts et sujets sont encore abordés dans La Montagne magique, tels que la théologie, l'anatomie, la politique, la souffrance de l'humanité, la littérature, etc. Et l'amour bien sûr, le sanatorium étant mixte, toutes sortes de rencontres sont possibles. Hans ne manque pas de le découvrir à son tour... Je vous laisse plonger dans le récit de Thomas Mann pour en apprendre plus là-dessus.

Je me sens très satisfaite d'avoir entrepris - et terminé - cette lecture. Et encore plus d'y avoir pris plaisir et de m'être délectée de nombreux passages. Beaucoup m'ont donné matière à réfléchir car la philosophie n'est jamais très loin des pages de ce roman. Maintenant que Herr Mann ne me fait plus peur, je pense poursuivre la découverte de son oeuvre avec Les Buddenbrock. Finalement, c'est toujours le premier pas qui coûte.
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La montagne magique, c'est d'abord une atmosphère qui nous enroule dans la fraîcheur et la beauté des montagnes. On imagine sans peine, ce sanatorium perdu dans les hauteurs avec ces pensionnaires enroulés dans deux couvertures, installés sur de confortables chaises longues à respirer cet air frais, oubliant le monde d'en bas, le plat pays où manifestement il ne fait pas bon vivre.
J'ai moi-même vécu cette lecture comme un refuge, hors du monde et du temps temporel. Et, je comprends sans peine que malade ou pas, notre jeune héros : Hans ne veut surtout pas guérir pour ne plus retourner dans ce monde cruel.
L'écriture de Thomas Mann est délicate et poétique, on parcourt sans peine cette petite sente qui mène au banc de la première promenade.
La nature est omniprésente dans ce roman, elle nous irrigue, nous ensorcelle, pas étonnant que Hans se mette à étudier la botanique.
La neige, le froid glacial, le soleil s'associe tour à tour dans une alchimie joyeuse et macabre à la fois.
On se laisse porter par le rythme des saisons, ce temps qui fuit et s'écoule, ces cinq repas qui scandent la vie de ces pensionnaires.
Thomas Mann, à l'intérieur de ce cocon n'oublie pas le monde, la preuve est faite par toutes ces joutes oratoires entre ces hommes sur des sujets brûlants comme l'amour, la liberté, la pédagogie.
Même la décadence s'invite au cours de cette soirée carnavalesque où sous les masques et déguisements, les comportements humains se révèlent sous des aspects feliniens.
C'est lors de cette soirée que Hans, dans un rêve éveillé peut confier et déposer son amour auprès de Claudia qui sans le piétiner le laisse s'envoler.

Il y a des années, je suis allée à Lubeck, la ville natale de Mann, j'avais alors visité sa maison transformée en musée, je mettais faire serment de lire la Montagne magique.

Aujourd'hui, ce voeu s'est réalisé, que d'heures délicieuses j'ai passé à Davos .
Je vous en souhaite tout autant pour cette nouvelle année.
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Thomas,

Comment puis -je te remercier d'avoir changé ma vie ?

Comment puis -je exprimer tout ce que je ressens encore après la lecture de tes phrases si enrichissantes ?
Comment écrire une critique qui paraîtra bien superficielle à certains puisque mon ressenti reste intuitif ?

Comment essayer de partager ces moments intenses de lecture alors que des émotions m'envahissaient et me comblaient ?
Comment résumer une oeuvre si grandiose sans commettre des manquements , des errements ?

Comment ne pas me fourvoyer en dissertant sur ton écrit ?

Comment expliquer que « la montagne magique «  contient le TOUT : le temps, l'ailleurs, le bon , le mal, la paix, la guerre, la maladie, la vie, la mort, le juste, le religieux, la philosophie, le politique, la famille, le repos, le travail, l'affection, le désir, et le vrai et incommensurable amour ?

Ton romanesque restera à jamais étourdissant ...
Il faudra tenter de dévoiler ma passion.

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