Lorsque sur une liste proposée par Babelio, à l'occasion d'une opération Masse Critique, figure un titre tel que :
le Bonheur à la petite cuillère, impossible, du moins pour moi, de ne pas sélectionner cet ouvrage. Et quel bonheur, quelques jours plus tard de savoir qu'il vous est attribué. le recevant, j'apprends que ce livre, publié en août 2022 aux éditions La déviation, a déjà été édité en 2004 aux éditions Hors commerce dans la collection Hors bleu. Tout un parcours donc, aux noms prédestinés, pour que ce Bonheur à la petite cuillère finisse par arriver jusqu'à moi. L'auteur
Thierry Maricourt m'est totalement inconnu mais, avec le titre et les circonstances de la réception de son livre, je ne peux qu'être encline à un préjugé favorable. C'est dans cet esprit que j'aborde alors la lecture.
Celle-ci procure d'abord le réel plaisir d'une rencontre avec un mystérieux personnage. Tueur de petites bestioles, voleur de noix, ce personnage jamais souriant et silencieux, solitaire et asocial, est par là-même incompris et catalogué de débile par ses concitoyens. Orphelin de mère à six ans et quasiment ignoré par son père, il grandit dans son village telle une ombre.
Amoureux de la pluie et des Gymnopédies de Satie, il arpente la campagne, des heures d'affilée, sous la pluie et le vent. "La musique ricochait sur la pluie. Je voyais les notes s'accrocher aux gouttelettes ; les gouttelettes étaient des notes. Je devenais l'une d'elles, je gravissais lentement la distance qui me séparait des nuages, je n'avais pas le vertige, je savais que je ne tomberais pas". La musique de Satie semblait lui être destinée. Heureux, il n'avait qu'un seul but se "dissoudre sous la pluie". "Marcher dans ces conditions devenait un bonheur pur… mais tôt ou tard je rebroussais chemin. La musique s'estompait et je me perdais".
C'est à l'école qu'ils avaient remarqué sa "cinglerie" et les moqueries furent pour lui l'occasion de découvrir sa force et la violence. En grandissant on le tolérait. "Je faisais vaguement peur. Qui j'étais, de quoi je vivais : nul n'était capable de se prononcer. On formulait des hypothèses".
Ce récit champêtre et quelque peu musical, qui débute bien, devient de plus en plus déstabilisant, jusqu'à laisser le lecteur stupéfait. Des morts aussi subites qu'inexpliquées s'enchaînent, et il est aisé de les mettre sur le dos de ce personnage atypique. "Trop de morts dans ma courte vie. Des coïncidences ? " Est-il coupable de ces "morts trop fréquentes pour être naturelles". Et si oui, pourquoi ?
L'ahurissante réponse, révélée à l'avant-dernière page, fait froid dans le dos. Il n'y va pas par le dos de la cuillère. La conception du bonheur de ce personnage est renversante.
Merci à Babelio et aux éditions La déviation (qui, à juste titre, se définit comme une "petite maison d'édition qui vaut le détour") pour l'envoi de cet ouvrage surprenant de bonheur et d'amertume. le personnage et l'auteur sont marquants.