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sur 3498 notes
On a beau détester Michel Sardou et tout ce qu'il représente - une certaine idée de la France et des idéaux réactionnaires-, on a beau se gargariser toutes et tous de nos gouts musicaux plus pointus, plus engagés, moins franchouillards, plus sublimes et plus branchés, on a tous en nous le souvenir d'une fin de soirée où ont retenti dans la salle "Les lacs du Connemara" (Généralement, c'est peu de temps après "La Tribu de Dana" qu'on a remis à peu près dix fois au cours de la soirée!) et où l'esprit un peu embrumé, le corps transpirant de trop de danse et les pieds gonflés ont suivi le mouvement parce qu'au fond, cette chanson qu'on adore détester ou qu'on adore sans oser l'avouer, fait partie de notre patrimoine. "Les Lacs du Connemara, c'est ça: les fins de soirées, les 14 juillet, le mariage d'une cousine, l'aube qui se lève bientôt et qui nous surprendra comme Cendrillon après minuit, la parenthèse qui se ferme.

Cette chanson qui résonne, qui dit un temps qui n'est plus, quand la France ne déchantait pas encore, quand le monde n'était pas aussi noir et fermé qu'aujourd'hui, elle hante les souvenirs perclus de nostalgie et d'amertume des personnages de Nicolas Mathieu qui signe encore une fois avec "Connemara" un roman magnifique et fulgurant, à la hauteur du sublime "Leurs enfants après eux".

De sa plume toujours si précise et presque médicale, l'auteur convoque et ausculte en virtuose, avec une justesse confondante et un réalisme douloureux des thèmes qu'il semble chérir: la France périphérique, les fulgurances et la puissance de l'adolescence, la violence latente du temps qui passe et qui charrie regrets et souvenirs mêlés, l'amertume et la frustration des rêves oubliés, les complexes de classe, le poids des regrets, la lumière et les désillusions.
Hélène aura bientôt quarante ans. Après quelques années d'une vie parisienne menée tambour battant et un burn out, elle est de retour dans son Est natal nanti d'un époux un peu distant et rarement disponible et de deux filles. Avec la maison d'architecte dans laquelle vit la famille, les vacances hors de prix qu'elle peut s'offrir, les emplois très bien payés que n'ont pas tardé à retrouver les époux, Hélène a tout pour être heureuse et sa réussite ressemble à celle qu'affiche les magazines ou mieux encore les comptes instagram triomphants. Pourtant quelque chose cloche... Hélène n'est pas si heureuse... Elle qui a tant donné pour fuir cette région de misère et pour arracher sa réussite loin des parents qui lui ont si souvent fait honte, elle qui s'est extirpée de sa classe sociale pour avoir plus, mieux, est finalement de retour et sa mélancolie l'oppresse, l'écrase.
Christophe, lui, n'est jamais parti. Ancienne étoile montante de l'équipe locale de hockey, il était la coqueluche de son lycée, la version française des quaterbacks des séries américaines, la star à qui tous promettaient un destin éclatant. Pourtant... rien. le jeune homme s'est laissé porter et n'a pas saisi sa chance. Aujourd'hui, il élève seul son fils en compagnie de son propre père dont la santé décline. Parfois, il retrouve les vieux copains autour d'une bière et ils refont le monde...
Hélène et Christophe s'étaient croisés autrefois et la petite lycéenne en crevait d'être regardé par le beau gosse du coin qui préférait les rebelles ou les plus délurées. Les filles sages au lycée n'attirent pas les garçons, c'est bien connu.
Et puis les années qui passent, les réseaux sociaux, un message puis un autre, un rendez-vous...
Bien sûr "Connemara" est, à l'instar de "Leurs enfants après eux", un roman éminemment politique qui parvient à transcrire avec acuité les fractures sociales qui blessent la société d'aujourd'hui et qui en dénonce les violences causées par ce néolibéralisme crasse, les inégalités, les désillusions mais c'est aussi un très beau roman sur l'humain, l'intime, sur l'espoir chaque jour renouvelé d'obtenir un peu de bonheur et de jouissance, sur ce qui meut les hommes et les femmes à continuer toujours, à y croire encore et malgré tout. Oui Hélène et Christophe symbolisent des types sociaux mais ils dépassent ce cadre, personnages de papier, pour être, être vraiment et c'est d'une beauté et d'une émotion à couper le souffle.
Il y a les mots et les regards. Il y a les corps aussi.
Il y a le présent auquel vient se mêler le passé dans une narration sensible et ample. Il y a les regrets, l'amertume et cette quête d'amour si douloureuse qu'elle brise le coeur.
Il y a le monde qui continue de tourner et la danse infernale pour en faire partie.
L'humour caustique et l'absurdité d'un certain monde du travail.
Les errances dont sont faites nos vies et l'inexorable fuite du temps.
Et cet épilogue!..
Un grand roman, un beau roman qui finalement nous pousse dans les bras du présent, parce que c'est encore lui le plus beau, le plus vivant.



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Nicola MATHIEU. Connemara

Mes goûts littéraires évoluent. Il faut dire que passer derrière la lecture d'un récit poignant, « Le voyage de Cilka », le défi à relever est ardu. Emportée par cette vague de réalisme le livre de Nicolas MaTHIEU,me paraît d'une platitude extrême et j'ai peiné à entrer dans cette vision plus terre à terre, faite de lieux communs.

Hélène une jeune femme quarantenaire a une belle situation et exerce sa profession dans un cabinet de consulting. Elle a un très bon job, un mari, Philippe, deux filles, une adolescente Clara et Mouche, un peu plus jeune. Avec son époux ils habitent sur les hauteurs de Nancy, une maison d'architecte. Tout lui sourit dans la vie. Mais sa situation ne la satisfait pas pleinement. c'est la crise existentielle de la quarantaine. Elle veut faire une pause dans sa vie personnelle. Elle a envie de sexe. Elle s'inscrit sur un site de rencontres, elle va retrouver un ancien béguin de son adolescence. Elle va nouer une relation adultère avec cet ancien camarade, Christophe, en instance de divorce et papa d'un petit Gabriel….

396 pages et je n'ai pas trouvé l'intrigue aussi passionnante que ce que décrivent les magazines dans leurs chroniques littéraires. Pour moi, c'est juste un adultère, une trahison. Quel sera l'issue de cette infidélité ? Christophe est déjà en instance de divorce. La couple d'Hélène pourra-t-il résister à ces mensonges, ces indélicatesses, commises par les unes et les autres ? Les deux héros vont revivre leur jeunesse et tenter de ressusciter ces années passée, ces loupées qu'ils ont connues. Tous ces évènements se passent dans le Grand Est, région natale de notre écrivain. Pour ma part, je ne trouve rien de nouveau par rapport à son roman « Leurs enfants après eux », livre que je n'avais pas aimé. Je l'avais trouvé d'une platitude. Il nous décrivait sa région à travers de la vie de jeunes adolescents vivant dans une zone sinistrée par la fuite des diverses usines, des aciéries, des mines de charbon, etc … Je retrouve la même atmosphère quelques vingt ans plus tard. Des êtres désabusés, éternels insatisfaits qui, espèrent, au sein d'une relation extra-conjugale, trouver le bonheur. Mais que restera-t-il de leurs illusions lorsque l'un des deux mettra fin à cette relation ?

Les scènes décrivant leurs ébats n'apportent rien au récit. Je ne suis pas prude ni pudibonde. Je pense que nous tous, nous nous moquons de savoir de quelle façon, « ils baisent ». Nous n'en avons vraiment rien à faire. Peut-être que ce roman est un bon roman. Pour ma part je n'adhère pas du tout, je n'accroche pas. Je l'ai lu en intégralité. J'ai trouvé deux personnages secondaires très attachants : Gérard Marchal et Gabriel, respectivement père et fils de Christophe. Ce sont les deux êtres qui ont retenus mon attention et auxquels je me suis attachée. J'attendais davantage de cette lecture. Je suis tellement déçue que je ne lirais plus rien de cet auteur. J'ai même relevé un anachronisme : en 2004, l'euro était là, depuis deux ans. Je rappelle que la mise en place date de janvier 2002 ( 03/04/2022).
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Ce que j'aime chez Nicolas Mathieu, c'est le côté très réaliste et sociologique de ses romans. On a l'impression que ses personnages existent vraiment, qu'ils nous ressemblent un peu.
Ce roman se passe dans le grand est, entre Nancy et les Vosges.
Hélène, la quarantaine, a réussi sa vie professionnelle : elle travaille dans une start UP et gagne bien sa vie. Elle est mariée depuis 15 ans mais s'ennuie un peu. Elle fait une sorte de crise de la quarantaine, cherchant à séduire et à être rassurée. Elle va reprendre contact avec Christophe, connu pendant l'adolescence. Ils n'ont pas suivi les mêmes trajectoires de vie. Leur histoire d'amour sera intense mais brève.
Un roman crédible et intéressant, touchant par moment car il a une valeur universelle.
Assez nostalgique et mélancolique, j'ai bien aimé.
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Très beau livre.
J'ai eu une petite appréhension en le commençant car je n'avais pas trop apprécié son Prix Goncourt, Leurs enfants après eux. Je ne sais plus pourquoi. Il ne m'avait pas touché.
Celui-ci est nettement meilleur.
Roman de société ou sociétal, la plume est magnifique.
Parfois, j'ai eu comme la sensation étrange de lire du Zola.
Je n'ai pas mis 5 étoiles car j'avoue que les digressions sur la vie professionnelle d'Hélène m'ont ennuyée.
On suit pas à pas la vie de Christophe, et celle d'Hélène. Avec des retours en arrière qui sont les bienvenus. Et puis un jour clac, ils se trouvent sans vraiment se chercher. Histoire d'amour maladroite, émaillée de scène de sexe torride (si, si).
Mais ça n'est jamais vulgaire, jamais déplaisant. Bien au contraire, les descriptions de leur vie intime sont même parfois proches de la poésie.
Oui, c'est cela, de la poésie.
On y trouve une princesse attendant son Prince Charmant, un vieux Papa qui commence une démence sénile, un mariage mémorable avec une plume si vraie, si authentique que j'ai eu la sensation d'y être, dans ce mariage.
On y trouve un gars fatigué de la vie déjà, ancien joueur de hockey sur glace, désabusé, amer, mais surtout attendant lui aussi son étincelle de bonheur.
On y trouve aussi des ados pleins d'eux-mêmes, ces ados que l'on retrouvent grandis, mais peut-être toujours aussi déçus et violents dans leur tête.
On y trouve enfin tout ce qu'il vous plaira, finalement.
On y trouve surtout la Vie, avec ses injustices et ses errements.
Un grand et puissant roman, avec encore une fois, une plume de dingue.
J'ai beaucoup aimé et j'ai avalé ce livre avec la peur de le terminer trop vite.
C'est toujours comme ça les beaux livres.
Allez, vivement le prochain.
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C'est qui la quiche qui n'avait jamais lu Nicolas Mathieu ?

C'est qui l'idiote qui pensait que ce n'était pas pour elle ?
🤚
C'est qui la bêcheuse qui se demandait si ce n'étais pas un peu surcôté ?
🤚

J'ai donc lu Connemara (pas encore le Goncourt) et j'ai délibérément attaqué par ce roman car les avis n'étaient pas unanimes.
Alors oui, l'histoire est assez banale. Oui il y a quelques clichés. Mais quel auteur français écrit aussi bien sur les déceptions, les renoncements ? (seule réponse acceptée: Jean-Paul Dubois). Sur la nostalgie ? Sur la lente hémorragie du temps ? (personne).

Nicolas Mathieu arrive à poser des mots parfaits sur des sentiments insaisissables et c'est très émouvant.
A l'image de Zola, il parvient également à rendre compte de tout les infimes détails qui font une époque, un milieu social, un âge.
Un auteur d'une lucidité qui m'a fait autant de bien que de mal.

L'engouement d'amis lecteurs qui ont des goûts proches des miens aurait du me mettre la puce à l'oreille. C'était tellement fait pour moi.

Seul point noir: c'est p…. de chanson - que je n'aimais déjà pas et qui a le don de me filer le bourdon - passe en boucle dans ma tête depuis.
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Parler d'un roman que vous ne parvenez pas à terminer est un exercice difficile. Certains diront "comment peut-on critiquer quand on ne va pas jusqu'au bout de sa lecture ?" Probablement ... alors j'ai fait l'effort de poser le livre et de le reprendre plus tard, mais rien n'y fait, je m'ennuie, je baille, je regrette d'être déçue et j'abandonne.
Le premier mot qui me vient est creux. Ensuite, je cherche à comprendre l'ennui et je me rends compte qu'il ne se passe absolument rien d'intéressant dans ce roman. Les personnages sont soit fades soit antipathiques. Et l'histoire en elle-même est d'une banalité ahurissante. J'avais déjà été étonnée par l'attribution d'un Goncourt pour le précédent roman, mais il est vrai que ce prix est très souvent surprenant quant au choix de l'élu. Je confirme ici pour mon désintérêt total pour cet auteur.
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Connemara ! le titre n'a rien à voir avec l'Irlande, il s'agit de la chanson de Sardou , le chanteur morne et droitisant dont la qualité relative des textes n'a pas résisté à l'usure du temps.. Connemara, c'est la chanson que l'on beugle dans les mariages de province, en fin de soirée, quand la sueur et l'ivresse vous rendent imperméable à tout sens critique.
Connemara, c'est de fait ce roman qui se déroule dans l'Est de la France, en plein dans un territoire improbable, la banlieue d'Epinal, au coeur du département vosgien (déjà je ne savais pas qu'Epinal possédait une banlieue). Une histoire d'amour bancale entre un homme et une femme, chacun représentant avec un excès bien compréhensible les travers de sa catégorisation sociale : la femme a réussi, elle s'en est sortie et ne vit plus dans les Vosges, mais elle n'est pas heureuse, tant professionnellement que dans son couple. Quant à l'homme, par lassitude ou atavisme, il a renoncé à presque tout et se complaît dans une existence réduite à quelques tournées de bière entre copains. le petit morceau d'âme de cette idylle réside dans une précédente liaison des deux protagonistes, au sortir de l'adolescence : la femme, jeune fille mal dans sa peau, n'avait pas encore bénéficié d'un parcours scolaire exemplaire pour faire sa mue et l'homme, champion local de hockey, vivait là une starification de supermarché qu'il ne saura pas exploiter plus avant. La mise en miroir des deux relations est d'ailleurs perfide et se complaît dans l'examen minutieux du rapport de force entre les deux amants, diamétralement opposé selon les époques.
Pour autant, les meilleures parties du livre restent les descriptions de la société de conseil où travaille l'héroïne, même si l'auteur lorgne un peu trop du côté de l'inénarrable Beigbeder dans la narration des excès qui semblent habiter les dirigeants de ladite boîte. Bien sûr, il manque l'ironie d'un Michel Houellebecq pour tirer la quintessence des situations décrites, mais cela reste assez drôle.
Au final, cependant, je reste sur ma faim. La faute en partie à une écriture pas toujours habitée. Certains passages sont livrés à une certaine paresse et auraient gagné à bénéficier d'une réécriture plus condensée. C'est que c'est important, l'écriture, quoi qu'on en dise. Sinon, autant aller au cinéma…
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Nicolas Mathieu situe son roman dans les Vosges, au milieu des années 2010. En toile de fond, il y a l'élection présidentielle de 2017, avec de nombreux retours en arrière qui balaient toutes les décennies. Il parle de la génération des quadras, des quinquas, de ceux qui ont eu 20 ans dans les années 90. C'est sa région, sa génération : Nicolas Mathieu sait donc de quoi il parle !

Et il nous parle plus particulièrement d' Hélène et de Christophe.

Hélène symbolise la réussite professionnelle. Bonne élève, des facilités intellectuelles, une bonne école de commerce, puis une carrière dans des cabinets parisiens, un mari, deux gosses, une grosse bagnole, bref une vie de cadre sup où l'argent n'est plus un problème.
Cependant, sa vie de cadre sup parisienne l'a complètement rincée et elle nous a fait un burn-out. Résultat : elle a filé avec ses gosses et son mari s'installer dans sa région natale et travaille désormais pour une petite structure qui prodigue des conseils aux entreprises et aux administrations.
Hélène patauge dans sa vie de couple. Évidemment, 10, 15 ans de vie commune, des enfants qui accaparent beaucoup d'énergie, la libido en prend forcément un coup. Une jeune collègue se charge de la remettre sur les rails en lui expliquant deux trois trucs à savoir pour investir le marché de la drague.

Beau gosse, tombeur, excellent joueur de hockey, Christophe affolait les coeurs du temps où Hélène était une ado. Mais bon, 20 ans plus tard, il est commercial et vend des croquettes pour chiens. Il est en instance de divorce, est retourné vivre chez son père lequel, atteint d'Alzheimer doit partir en Ehpad. La situation financière de Christophe n'est pas brillante. Il traverse une véritable spirale de galères peu propice à l'épanouissement.

C'est dans ce contexte qu'Hélène et Christophe vont se retrouver et vont vivre une passion amoureuse. Vont-ils convoler en juste noce ? Pourquoi pas, mais ce n'est pas gagné !

Nicolas Mathieu est un excellent écrivain. Les chapitres de son roman sont bien agencés : on passe du monde d'Hélène à celui de Christophe avec les retours en arrière nécessaires pour bien appréhender les deux personnages : parents respectifs, amis, collègues, conjoints, enfants. L'auteur revient sur des phases importantes de leur vie respective ; enfance, adolescence, entrée dans le monde adulte… tout ça est bien ficelé, bien construit et restitue plutôt pas mal des instantanées des différentes décennies.

Quant à la chanson de Sardou, j'avoue, je suis passé à côté. J'ignorais qu'elle était devenue une chanson fétiche que l'on écoutait en boite où dans les soirées festives. Ma foi, j'ai connu mieux pour emballer sur un dance floor :-)

Nicolas Mathieu écrit des romans dans la lignée du naturalisme à la Zola : une description clinique de la société et des individus de notre époque. Son regard est aiguisé, il flaire l'air du temps et décrit plutôt pas mal les failles et les grondements sourds de notre société. Alors pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu, inscrivez-le dans votre PAL et bonnes lectures 2024 !
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Connemara : des nuages noir qui viennent du Nord colorent la terre, les lacs, les rivières... Stop, ce n'est pas le décor du Connemara, ni du Grand Est, et pourtant c'est un peu celui de notre histoire.
Au départ, un couple, départ classique, boy meets girl.. enfin, pas vraiment un couple, deux solitudes qui se croisent dans leur nuit et se séparent. Et en réalité, il y a bien d'autres choses. Patrick et Hélène sont tous deux issus de la même petite ville entre Lorraine et Vosges, dans une région qui n'existe pas, le Grand Est, au coeur d'une France qui fut en un temps pas si éloigné le moteur de la croissance, et, avec ses industries, a presque tout perdu. Oh je ne vais pas faire le procès de la mondialisation libérale, il a déjà été fait, et ce livre est une pièce supplémentaire au dossier. le procès ne sert à rien, ils gagneront toujours et nous repeteront qu'il n'y a pas d'alternative (d'ailleurs je crois l'avoir entendu récemment ) Et voilà deux vies écrasées. Pas trop quand-même. Hélène et Christophe s'en tirent assez bien, enfin surtout Hélène. Ils ne sont pas issus, Dieu merci pour eux, de la grande pauvreté.
Leur adolescence a été leur Grand Siècle, où tout leur semblait ouvert. Grâce au hockey sur glace, Christophe espérait une belle carrière sportive,, grâce à ses bonnes notes, Hélène attendait une belle carrière tout court. Christophe a échoué, il est resté là, il a encore de la chance, il a du travail, oh rien d'exaltant, il est commercial; il vend de la pâtée pour chien. A part ça ? Divorcé, un enfant. Il n'est pas malheureux, il y a les copains. Hélène a réussi à intégrer une école de commerce, mais pas la meilleure, a été recruté par un cabinet de consulting, mais pas le meilleur, et elle n'y obtiendra pas la promotion qu'elle espérait. Parce qu'elle n'est pas du bon milieu et n'a pas les codes, elle n'a pas pu intégrer une bonne école, parce qu'elle ne sort pas d'une bonne école... Vous avez compris. Mais elle n'est pas à plaindre, bien sûr. Elle gagne bien sa vie, bien sûr elle fait un métier qui consiste à vendre du vent, puisqu'elle est dans le consulting. Elle est intelligence, s'en rend compte, elle a bien essayé d'être corporate, elle est trop intelligente, elle n'y a pas réussi. L'ascenseur social, on le sait, est en panne depuis quarante ans.
Cependant elle a presque intégré les rangs des gagnants, des anywhere, alors que Christophe est resté un Somewhere pour reprendre la la classification de Guilluy dans La France périphérique. Cependant, à la faveur d'une mutation professionnelle, Hélène retourne dans la région, rencontre Christophe, et retrouve ( un peu) son milieu d'origine. D'ailleurs, la région, elle y restera. Ce n'est pas une happy end. Ni le contraire. Et nous voilà dans dans le corps de l'action. Certains reprochent au livre de manquer d'action. C'est sûr que ça manque de traders, de publicitaires, de cultureux en tout genre. Nous sommes chez les "gens de peu " au sens du livre de Pierre Sansot ( ce n'est surtout pas péjoratif, Sansot n'est pas Macron parlant de ceux qui ne sont rien. Et donc, oui, il ne se passe peut-être pas comprendre, juste la vie, la mort aussi d'ailleurs, et tout le monde fait de son mieux. Au, quand-même, si, grâce à Hélène nous avons un aperçu sur le monde glorieux de l'entreprise, sur les chevaliers du consulting qui viennent la régénérer, et s'attaquent même aux "pesanteurs et rigidités de l'État", comme on dit, avec l'indigne complicité de ceux qui vendent la France à la découpe. Ils s'en donnent d'autant plus à coeur joie en l'occurrence que nous sommes à l'époque de l'absurde réforme régionale qui donna naissance au Grand Est et qui mit une pagaille effroyable dans le mille feuilles régional qui n'en manquait pourtant pas. Alors, une bonne couche de charlatanisme là -dessus, au point où on en est... Mais je m'énerve et suis à la limite du hors sujet.
Parce l'essentiel du livre n'est pas là. Parce que les héros du livre, ce sont les simples gens qui font de leur mieux, avec ce que les beautiful people ont bien voulu leur laisser. Et qui vivent, et qui essaient d'être heureux, et, bien sûr, n'y arrivent pas tout à fait. Parce la condition humaine est là, avec le temps qui passe, les enfants qui grandissent, les générations qui se succèdent, la maladie, la mort. Et ce dont parle ce livre, c'est de la vie, la vraie.
Et le Connemara alors ? Oh, Matthieu l'explique mieux que moi. Disons simplement que c'est une chanson populaire, que les gens aiment, qu'ils chantent lors de leurs fêtes, et qui, d'une certaine façon, représente leur vie
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C'est le second roman de Nicolas Mathieu que je lis. Après l'avoir acheté, je l'ai oublié volontairement sur une étagère de ma bibliothèque. Je sais son regard acéré sur notre société, il en débusque les travers, les impasses, les incohérences. Et compte tenu du climat plutôt anxiogène de ces dernières semaines, mes choix de lecture se sont portés un temps sur plus léger 😊.
Le roman se déroule dans les Vosges, à l'époque de la fusion des deux régions qui deviendront l'entité Grand Est. L'occasion pour l'auteur de livrer quelques belles pages sur les projets de gouvernance néolibéraux qui confinent à l'ubuesque, plongent les salariés dans un profond désarroi et génèrent des luttes «picrocholines» (je découvre avec bonheur l'adjectif). Des officines qui dictent des règles absurdes, qui assomment les organisations de préconisations mortifères.
Hélène, working-girl quadragénaire, mère de deux enfants, mariée à Philippe, a consacré beaucoup d'énergie à sa carrière, poussée par un désir de réussite qui la conduite au burn out. Elle est dans une période de sa vie où rien ne la satisfait plus, ni son rôle de mère, ni celui d'épouse. Au boulot, elle paraît déjà has been et de jeunes loups menacent son avancement. Sa jeune stagiaire, plutôt délurée, l'amène à réinterroger ce morne quotidien et à tenter la transgression.
Christophe, commercial dans l'alimentation animale, père d'un petit garçon dont il est séparé de la mère, vit avec son père déclinant. Ses seuls moments de répit il les trouve avec ses deux vieux potes, un peu marginaux, avec lesquels il prend des cuites le weekend. Ancien beau gosse du lycée, une carrière d'hockeyeur vite avortée, Christophe est en plein désarroi – sa vie est décevante et son retour dans l'équipe de hockey d'Epinal est sans espoir compte tenu de son âge et de sa condition physique.
Les deux personnages se sont croisés adolescents. Hélène avait eu un gros béguin pour le célèbre sportif du pays sans qu'il n'en sache rien. Ils se retrouvent, la quarantaine insatisfaite, partagent leurs doutes et regrets, s'engagent dans une histoire dont ils ne sont pas très sûrs au regard de leurs différences.
Nicolas Mathieu déroule son récit, avec des retours en arrière – on découvre les héros lycéens et ce sont de très belles pages qui témoignent du talent de l'auteur pour décrire des micro-situations qui résonnent et donnent à voir la complexité de la construction identitaire. La famille – l'effort pour s'en abstraire - l'amour, l'amitié, les faux-semblants, que des tableaux très réussis. Puis, l'âge de la maturité arrivant, le constat qu'on s'est perdus en route et qu'on a couru après des chimères.
Pour la seconde fois, je dévore un roman de cet auteur, avec un peu de rage et parfois quelques larmes. Ici, difficile d'oublier dans quoi chaque individu est pris, quelle prison il se construit, le poids des normes sociales et les contraintes qu'on s‘inflige alors que personne ne nous a rien demandé… Nicolas Mathieu dénonce un univers de compétition – au travail, dans le sport, au sein de la famille – qui éreinte les individus. Au-delà de la question sociale posée avec acuité, l'auteur nous contraint aussi à l'introspection, à nous confronter à notre être plus intime, celui que nous regardons en secret, la nuit, à la faveur de la solitude retrouvée, loin du bruit et de l'agitation.
Tout cela est bien sombre. Et je ne sais pas si je lui en veux de si bien narrer nos impasses ou si je lui sais gré d'avoir autant de talent pour dessiner ces choses inutiles qui composent notre quotidien.
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