Déjà mort

Dimanche, gueule de bois (« ressak » comme on l'appelle ici), brumes sèches sur la vallée, ambiance parfaite pour essayer de parler de ce livre aux personnages proches de la désincarnation. Un livre de spectres. Déjà morts.

Le brouillard, la Californie du Nord, terre qui pue la littérature, fantômes d'Henri Miller ou de Brautigan, que l'on ne croisera pas dans ces pages; H.S. Thompson et ses ancêtres beatnik derrière la vitrine. Années 90, les idéaux de la génération passée sont enterrés, les hippies sont devenus New Age.

Un scénario qui résumé pourrait être un bon polar, une série noire, mais nous avons à faire ici à autre chose. L'éditeur ne s'y est pas trompé dans le ton donné à sa quatrième de couverture; il y convoque David Lynch, pourquoi pas… même si l'on en reste assez loin, cela permet de situer le côté « non-conventionnel ». Cela me fait un peu penser à la réplique de cette fille au lycée, un peu « premier degré », à ma tentative d'exprimer quelque chose d'intéressant en cours de philo, « toi, t'as trop fumé, toi ». On ajoutera, goguenard, que la citation des Inrocks est un parfait exemple de commentaire « connard-branchouille » comme on les appelait officiellement à l'époque en sociologie parisienne…

Les émotions y sont quasiment absentes, les aller-retour temporels nombreux, un orage diluvien comme vague marque-repère de la première partie, malgré des chapitres intitulés par des dates précises.

La langue est hyper-travaillée, à des moments presque trop, compliquant à dessein l'identification ou l'empathie. On en sort un peu sonné, sans doute sans avoir exploré toutes les entrées/sorties de ce « Roman Gothique Californien ».

Difficile de résumer cet ouvrage : un homme fuit des tueurs et veut faire assassiner sa femme. Il cultive un lopin de marijuana avec un surfeur, et son frère est persuadé de recevoir des rayons électromagnétiques et messages codés (de qui ?). Il y a également (entre autres) une femme médium, un géant surnommé Frankenstein, un pasteur qui deale, un flic qui s'appelle Navarro (et qui n'est pas Roger Hanin), et des "passants", ces esprits qui s'empressent d'occuper le corps des morts.
Les Inrocks ont adoré, mais c'est un peu trop touffu-diffus-confus pour moi. Cependant, j'ai beaucoup aimé la description des paysages nord-californiens, les routes sinueuses bordées de végétation sèche, l'odeur poisseuse de l'océan et les déflagrations orageuses. La langue est extrêmement belle, d'une intense poésie, et rien que pour elle, ce roman vaut la peine d'être lu.

La course haletante de Nelson Fairchild est le résultat d'une équation convaincante, malgré les nombreuses inconnues... Des situations aussi absurdes qu'originales, des personnages aussi intrigants qu'attachants, un rythme aussi prenant qu'épuisant... Trois piliers d'un beau morceau de littérature!