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sur 688 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lecture bouleversante...
C'est un voyage au bout de la nuit qu'accomplissent ces hommes revenus de la guerre d'Algérie. Une guerre qui ne ressemble en rien à celles qu'ont connues leurs pères ou leurs grands-pères. Une guerre larvée où l'horreur et la violence ont été là aussi très présentes et dont eux, ces jeunes gens devenus vieux, ne peuvent pas parler. Une vie à se taire, essayant tant bien que mal d'enfouir ces visions imprimées au fond de leurs pupilles. Une vie qu'ils auraient voulu autre, une jeunesse qu'ils auraient voulu pouvoir changer, rendre plus légère. Retrouver l'insouciance de leurs vingt ans... Mais rien, aucun retour en arrière n'est possible et il faut continuer et porter le poids de ses douloureux souvenirs.

Quelle puissance dans l'écriture, quelle douleur transmise par des mots simples, des phrases inachevées, des paragraphes chamboulés ! Des hommes, ni bons ni mauvais, qui préfèrent se taire pour cacher la vérité. Coupables ? Innocents ? Mais c'est quoi être un homme ? Comment ça se comporte un homme ?
Un sacré roman qui n'explique rien, qui ne prend pas partie mais qui dit la douleur des souvenirs, la peur de la guerre et le regret de la jeunesse perdue et non vécue.

« Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements «  en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d'une journée d'anniversaire, en hiver, d'un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier. »
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Tout ça, c'est la faute à Bernard. Qu'est-ce qui lui a pris, bon sang !, de gâcher la fête d'anniversaire de sa soeur, et d'aller faire l'andouille chez l'autre, là-bas ? L'Algérie ?! Quoi, l'Algérie ? Qu'est-ce qu'il raconte, Rabut, le cousin qui va perdre le sommeil à ressasser toute la nuit les "événements d'Algérie", tels que Bernard et lui les ont vécus, alors qu'ils n'étaient que de jeunes paysans mal dégrossis qui se sont brutalement retrouvés sous le soleil aveuglant d'Oran ?
Laurent Mauvignier raconte de façon magistrale la Guerre d'Algérie et ses ravages, de l'intérieur de ces pioupious fracassés qui ne savaient pas à quoi s'attendre du haut de leurs 20 ans, qui se demandaient pourquoi "les gens ici on leur fait la guerre et on dit la paix", et qui finissaient par comprendre que "la guerre c'est toujours les salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout." Et l'auteur tisse son récit autour du silence assourdissant, épais comme le doute et la peur, qui les enveloppe, silence des émotions et des interrogations, silence des témoins et des coupables, silence de la Grande Muette, silence de l'indifférence lors du retour au pays.
D'ailleurs, même les dialogues sont feutrés, sans ponctuation distinctive, comme des voix étouffées au fond de gorges nouées depuis toutes ces années. Car outre ce qu'il relate, c'est la façon dont Mauvignier raconte qui m'a mise à genoux : quelle virtuosité et quelle maîtrise dans le style ! Peu importe si l'on peine momentanément à savoir dans quels souvenirs on est plongé, on est emporté par leur flux vif et continu ; il y a tant à dire, chez ces hommes que personne ne veut écouter.
Sans rien justifier ni excuser, l'auteur rend une forme d'hommage à cette génération de conscrits sacrifiés, qui n'avaient rien demandé et se sont retrouvés embarqués pendant 28 mois ( ! ) dans une guerre qui ne disait pas son nom, en un territoire français inconnu d'eux (qui n'avaient pratiquement jamais quitté leur village boueux de métropole), et qui sont revenus défaits -et surtout brisés.
C'est donc un roman "énorme" par ce morceau d'Histoire qu'il relate, par la densité et la puissance des émotions qu'il retranscrit, et par la prouesse de son écriture. Une lecture très forte, dont je ne suis pas sortie indemne. Et un auteur auquel je vais m'intéresser d'un peu plus près.
Amateurs d'Histoire et frères humains qui après eux vivez, faites-vous plaisir : lisez ce roman qui vous éblouira !
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Les jeunes appelés du contingent, tenus de faire 28 mois de service militaire en Algérie, ne sont pas placés très haut dans la hiérarchie de l'héroïsme, lorsqu'ils reviennent au pays après l'indépendance.
"C'était pas Verdun, votre affaire." leur disent les vieux.
Jugement de citoyens dont la représentation nationale décide d'envoyer au casse-pipe des jeunes gens auxquels elle refuse le droit de vote...
Laurent Mauvigner raconte l'histoire de trois amis d'un même village, Bernard, son cousin Rabut qu'il surnomme le bachelier et Février...
Ils sont mobilisés, vivent leur "expérience algérienne" par la force des choses, sans comprendre les enjeux de l'indépendance, la politique réaliste de de Gaulle, le déni des officiers de l'armée française, la relation impossible entre pieds-noirs et Algériens, la position incompréhensible des Harkis.
Seul, Chatel, détesté de ses camarades, semble comprendre Parce que Chatel a dit que ce qu'on fait ici c'est dégueulasse et que les Harkis sont des traîtres aux Algériens."
Bernard lui, est ébloui par ce pays, il est amoureux de Mireille la fille d'un riche colon, peau bronzée, plage, crèmes glacées et sourires, perspectives de garage automobile dans la région parisienne. Il se lie d'amitié avec Fatiha, la petite fille du directeur du dépôt d'essence placée sous la garde de son régiment.
L'indépendance du pays brise ces rêves d'un autre temps.
Il y aura bien région parisienne mais comme OS et dans une banlieue où Mireille s'étiole....
Quand il revient au village Bernard n'est plus que l'ombre de lui-même. On le surnomme Feu-de-Bois, il vit dans une masure et fuit le contact de ses anciens amis et de sa famille.
Ce qui le rapproche encore de Février et de Rabut, c'est le refus de parler de ce qu'ils ont vécu en Algérie.
Quand dans le train qui l'emmène à Marseille on lui demande son avis sur la question algérienne, "Il dit qu'il n'en sait rien, mais ne rajoute pas qu'avant toute chose il s'en fout."
Mais il "sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
Lorsqu'il lui arrivait de penser en se promenant dans les rues d'Oran, il se disait "(...) qu'ici on est comme les Allemands chez nous, et qu'on ne vaut pas mieux."
À la caserne, il se demande "Si une cause peut être juste et les moyens injustes."
Il ne comprend rien à ce que lui dit Idir, un Harki, ""Vous prenez les Kabyles pour des Arabes. Pour vous tous les Algériens c'est les mêmes. Moi je suis Berbère, pas arabe."
Au village, quand il y revient après l'échec de sa vie parisienne, tout a changé. Un lotissement symbole de la réussite économique a été construit en périphérie, le pavillon individuel est devenu la norme. Les habitants ne veulent plus entendre parler de l'affaire algérienne. Chefraoui, un Algérien, collègue de Solange la soeur de Bernard s'est établi au village.
C'est à l'occasion de la fête d'anniversaire de cette dernière que le drame éclate.
Bernard y joue les trouble fête, sûr de son droit et certain de la mauvaise conscience de ses frères. Seule Solange avec laquelle il a communiqué par courrier durant son service en Algérie semble prête à le comprendre et à l'excuser. Rabut dans une moindre mesure.
"Monsieur le Maire, vous vous souvenez de la première fois où vous avez vu un Arabe ?" Lance-t-il notamment.
Le roman est divisée en quatre parties construites sur une chronologie inversée.
APRÈS-MIDI, nous raconte le retour de Bernard dans son village après une absence de plusieurs années et le malaise que sa présence suscite parmi les habitants.
SOIR, donne la parole aux habitants et aux autorités du village - bistrotiers, maire et gendarmes - qui exposent leur vision du comportement de Bernard et de comment ils l'expliquent.
NUIT, la partie la plus longue du roman démontre l'absurdité de l'envoi du contingent en Algérie, l'absence d'encadrement des appelés et la dichotomie entre l'armée de métier acquise à la cause de l'Algérie Française et le contingent. "Les soldats envahissent le village et courent encore criant, ils crient pour se donner du courage, pour faire peur, comme des râles, des souffles, alors les vieilles cachent les paniers qu'elles sont en train de tresser et regardent les jeunes hommes et s'étonnent de ce qu'avec des armes dans les mains on dirait que ce sont eux qui ont peur."
MATIN, pose la question et maintenant ? La vie continue semble répondre Rabut...
La force du roman de Mauvigner est de donner la parole à ceux dont on a ignoré l'existence pendant des années. À Ceux qui sans avoir pris part au processus qui a conduit la France à occuper l'Algérie, à y établir une population, à donner le faux espoir d'une société apaisée, en sont devenus malgré eux, et pour leur plus grand malheur, le bras armé.
Un roman très juste qui laisse un sentiment doux amer.

Lien : https://camalonga.wordpress...
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La critique présente le dernier livre de Laurent Mauvignier « Des hommes » comme l'une des rares « prises en charge » narrative de la guerre d'Algérie. le cinéma à pourtant, me semble-t-il, largement contribué à ce travail de mise à jour. Il faut se souvenir du très beau film de Bertrand Tavernier «La guerre sans nom» ou du plus récemment long métrage de Florent Emilio Siri «L'ennemi intime». le silence a été brisé, la violence indicible montrée dans les salles obscures depuis quelques temps déjà. Certes, cette guerre est peu présente dans la littérature et c'est un vrai soulagement d'échapper au roman narcissique à la française. Mais l'essentiel n'est pas là. Les questions de la violence, du refoulement, de l'incompréhension sont ici posées avec beaucoup d'originalité et de justesse, «le roman c'est l'art de reformuler les questions » nous dit l'auteur.

Laurent Mauvignier a écrit une tragédie en quatre actes : « Après-midi », « Soir », « Nuit » et « Matin ». C'est un récit apparent de 24 heures où le temps et la durée sont parfaitement maîtrisés. Un acte de violence va faire basculer l'histoire et, à l'arrivée de la nuit, un flash-back va s'amorcer. Avec une grande virtuosité, l'auteur va engager un changement géographique, temporel, stylistique et narratif. C'est là la véritable réussite de ce roman.

Le narrateur unique dans le présent de la première partie du livre est le dénommé Rabut. de jeunes paysans ont été appelés en Algérie. Bernard, Rabut son cousin et Février ont été de cela. Ils n'ont rien dit, ils ont vécu. Quarante ans se sont écoulés et les «Evènements» - comme on les nomme pudiquement - sont restés enfouis au fond du court de leur vie. Un remous a inexplicablement fait resurgir le passé à la conscience de ceux qui ont cru pouvoir le nier mais aussi à la vue de ceux qui ne voulaient pas (ne pouvaient pas) le comprendre. Demi clochard et pochard à part entière, Bernard a en effet, déclenchant tout, offert, pour l'anniversaire de sa soeur Solange, une broche de haut prix. le miséreux, l'assisté, le méchant a dérogé au rôle qui lui était impérativement assigné. Cette affirmation d'humanité lui a été immédiatement déniée et a généré une cascade d'événements violents : altercation et agression d'une famille algérienne parfaitement intégrée. Ce que « démonte », me semble-t-il, Laurent Mauvignier c'est un mécanisme de racisme apparent tel qu'il est mis à jour dans « La misère du monde » par Pierre Bourdieu. Cette agression ignoble de Chefraoui c'est pour Bernard une façon peu convaincante d'affirmer qu'il n'est pas le dernier, l'inférieur de l'ennemi d'hier, l'Algérien. Il revendique ainsi pour lui-même l'intégration, une intériorité et de la reconnaissance.
Cette première partie du livre a beaucoup à voir avec la littérature d'avant-garde du XXe siècle. Elle en a malheureusement quelques-uns des travers. Elle passe par la voix intérieure d'un narrateur non omniscient. Ses hésitations, ses non-dits créent un peu de la tension du début. Mais Rabut, à mon sens, doute parfois sans raison, cache souvent sans discernement. C'est la seule réserve que je ferai à ce texte, cette construction a un peu vieilli, elle montre décidément trop ses ficelles.

Dans la deuxième partie, Rabut n'est plus le narrateur unique, il y a emboîtement des versions. La narration omnisciente, extérieure de la nuit fait ainsi apparaître de nombreux personnages : Châtel lâche et pacifiste, Nivelle l'assassin d'enfant, Abdelmalik et Idir les harkis… le récit est ici plus traditionnel, c'est une littérature plus affirmative.
Les personnages arrivent dans une guerre commencée et hyper violente où l'attitude des appelés ne peut donc s'expliquer comme une réaction à la violence algérienne. C'est un rapport frontal avec une barbarie inouïe qui nous est montré, sans bon ni mauvais coté. Des appelés sont abattus, le médecin du bataillon est supplicié, des villages sont investis, des fellagas sont torturés, des enfants sont assassinés… C'est un défilé d'horreurs sans nom que viennent seulement tempérer quelques moments heureux de permissions en ville. C'est comme cela que le très catholique Bernard, contrairement à toute attente, rencontrera Mireille si différente de lui. Il rêvera d'un garage, d'un autre milieu, d'une autre vie. Ce beau rêve se transformera en un travail harassant à la chaîne, un HLM et une famille qu'il finira par abandonner.
Dans ce roman, il y a toujours un lien puissant entre le passé et le présent. Un rapport de cause à effet entre ce qui se passe dans le petit village et ce qui s'est passé il y a quarante ans. Ainsi, entre Rabut et Bernard il y a un destin partagé, des secrets de famille et de la jalousie. C'est à la lumière du passé que l'on peut pardonner à Bernard l'insulte faite à l'une de ses soeurs sur son lit de mort. C'est aussi à la lumière du passé que l'on comprend les rapports d'argent qu'il a avec sa mère.
L'ennemi est invisible tout au long de ses pages algériennes. Elles se terminent par les réjouissances d'un peuple libéré et jusqu'alors mué, par l'abandon des Harkis. le contraste est saisissant et sans ambiguïté. La sensation pour les personnages est d'être du mauvais côté, d'avoir perdu une guerre injuste. C'est le sentiment de honte qui est le plus fort et qui expliquera le mutisme futur. Si proche de la dernière guerre mondiale, l'un des personnages ne dit-il pas « les Allemands c'est nous ».
« Des hommes » est un livre pour aujourd'hui. La guerre d'Algérie n'est peut être pas terminée ? « Rien n'est résolu, aucun conflit n'est réglé, et remettre en mémoire ne veut pas dire remiser dans la mémoire. Ce qui s'est passé, s'est passé. Mais le fait que ce soit passé ne peut être pris à la légère. Je m'insurge contre mon passé, contre l'histoire, contre un présent qui permet l'Inconcevable soit historiquement gelé et dès lors scandaleusement falsifié. Rien n'est cicatrisé et la plaie qui (…) était peut être sur le point de se guérir se rouvre et suppure. L'effet de l'émotion ? Soit ! Où est-il écrit que l'attitude éclairée doive renoncer à l'émotion ? C'est le contraire qui me semble vrai. » (Jean Améry « Par-delà le crime et le châtiment. Essais pour surmonter l'insurmontable. Préface à la nouvelle édition de 1967).
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Magistral! Un livre choc sur la guerre d'Algérie qui n'est pas celle des livres d'histoire, ni celle relatée par euphémisme dans les journaux de l'époque, mais celle restée enkystée dans le coeur et le corps des revenus quarante ans après et encore traumatisés à vie.
Avec sa manière si personnelle de raconter l'histoire d'une famille, Laurent Mauvignier livre les intrusions du passé des "événements de 1960" qui surgissent lors d'un anniversaire.
Il décortique avec une précision de psychologue -chirurgien le retour du refoulé dans les actes incompréhensibles d'un pauvre diable appelé avec bien des jeunes de l'époque et qui a échappé au massacre de sa troupe en commettant une faute passible de prison .
Le poids d'une famille qui empêche tout avenir autre que celui de paysan, le manque de communication vraie et de soutien, la perte de la fiancée qui n'a pas attendu, l'impossibilité de parler de ce qu'on a vécu dans les horreurs de la guerre, tout cela mène à une tragédie annoncée dès les premières pages.
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Bernard offre à sa soeur pour ses 60 ans et son départ à la retraite une belle broche, achetée chez le bijoutier, dans une petite boîte bleue nuit. Lui qui est sans le sou, qui vit de l'aide des autres, comment peut-il faire un si beau cadeau à sa soeur ?
Le livre commence ainsi, par ce repas dans la salle des fêtes. Bernard sera accusé par certains d'avoir dépouillé sa mère. Soûl, comme à son habitude, et courroucé, il s'en prendra à Chefraoui, un collègue de sa soeur, et le traitera de bougnoule. Jeté dehors, il partira mais ne trouvera rien de mieux qu'aller agresser la famille de Chefraoui.
Ce n'est qu'en lisant les parties suivantes du livre que l'on comprendra pourquoi Bernard en est arrivé à cette existence. Appelé dans les années soixantes pour aller combattre en Algérie, il sera confronté à une guerre particulière et devra revenir de ce cauchemar avec des images de viols, de tortures, de massacres pleins la tête. Les traumatismes vécus laisseront des traces indélébiles chez tous les rescapés, et pour la plupart, ils seront dans l'incapacité de parler de cette période de leur vie.
Surprise au début de ma lecture par le style particulier, les phrases hachées, j'ai finalement enchaîné par une deuxième lecture du livre voulant relire la première partie en connaissant le passé.
C'est un livre poignant sur la guerre d'Algérie, ainsi que sur les secrets de famille et les regrets ou la culpabilité qui peuvent en découler.
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Premier roman que je lis de Laurent Mauvigner, auteur qu'on m'a beaucoup conseillé et dont j'étais content d'enfin (!) lire un roman.

Rien que l'intrigue du livre m'a paru passionnante : ce n'est pas seulement un roman sur la guerre d'Algérie (bien qu'une grande partie de l'histoire s'y déroule), mais aussi et surtout sur l'Après, sur les réminiscences, sur les cauchemars, sur ce que deviennent ces hommes des dizaines d'années après la guerre, marqués à vie, le passé refaisant brutalement surface au détour d'un trois fois rien.

Avec une écriture plutôt simple, ou du moins, disons, dénuée de fioritures, Mauvigner dépeint magistralement à la fois ce moment où les fantômes resurgissent et où soudainement tout dérape, bascule ; et également de très belles (mais glaçantes) pages sur la guerre d'Algérie et sur son horreur. Montrant bien comment de jeunes soldats français pouvaient être victimes d'attaques et surtout n'avoir pas choisi de participer à cette guerre tout en commettant pour certains les pires atrocités. Mauvigner montre bien cette double facette ; à l'opposé du manichéisme en somme.

"Des hommes est vraiment une belle découverte et je me demande ce que donne le film qui en a récemment été tiré...
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C'est l'histoire d'un homme, Bernard, soixante-trois ans, dit «Feu-de-Bois» qui commet un acte odieux en s'attaquant à la famille d'un maghrébin après une fête familiale particulièrement humiliante pour lui. Scène banale du racisme ordinaire de la France profonde ? Ce n'est pas si simple que ça. Au fil des pages, le narrateur, l'un des cousins de « Feu-de-Bois », remonte le temps et raconte leurs vingt ans, là-bas, en Algérie, pendant une guerre qui à l'époque n'avait pas de nom et pour laquelle on partait sans donner son avis. C'est d'anciens appelés du contingent dont il s'agit. Des hommes partis, avec leur naïveté printanière, maintenir l'ordre, comme on disait, et revenus, certes physiquement intacts, mais minés et lacérés de l'intérieur.

Des blessures secrètes sur lesquelles aucune psychanalyse nationale ne s'est penchée. Des blessures secrètes dont la France, celle des Trente glorieuses, du twist, des yé-yé, de Salut les Copains et des crédits à la consommation, ne voulait absolument pas entendre parler. Des meurtrissures qui ont saccagé des familles, influencé des comportements et pourri des vies comme celle de Bernard, fringuant appelé, devenu quelques décennies plus tard ce repoussant «Feu-de-Bois», cette homme fait de « crasse et d'odeur de vin », les « cheveux jaunes et gris à cause du tabac et du charbon de bois », ressassant à l'envi sa colère, sa haine des autres en général et des arabes en particulier.

Toute une génération, celle dont les filles et fils ont aujourd'hui entre quarante et cinquante ans, est passée par l'Algérie. Ces gens, ces anciens appelés ont une « histoire algérienne » dont ils ont très peu parlé contrairement à ceux qui, au nord de la Méditerranée, assument la leur et la mettent même en avant, qu'ils aient été militaires de carrière, pieds-noirs, partisans de l'Algérie française ou porteurs de valises. A travers la fiction, et le destin de quelques personnages-c'est là la force de la littérature-Laurent Mauvignier restitue ainsi à la perfection ce que fut le destin de nombre d'appelés en Algérie.

Certains d'entre eux quittaient leur village pour la première fois de leur vie (la France était encore un pays rural). Ils débarquaient du bateau à Alger ou Oran et ne tardaient pas à se rendre compte de la réalité sordide d'une terre où régnait un ordre colonial implacable.

le roman restitue bien leur dépaysement, leur détachement, leur gouaille forcée et puis, petit à petit, leur peur face aux «fell'», leur insignifiance face à l'immensité du bled, leur hantise d'y laisser la peau avant la quille, et, souvent aussi, leur sympathie pour ceux que l'on désignait alors par indigènes, arabes ou musulmans car ils n'avaient pas le droit d'être appelés algériens.

Et puis, survenait ce que les témoignages d'appelés, notamment ceux recensés par Bertrand Tavernier et Patrick Rotman dans «La Guerre sans nom», mentionnent presque toujours. Un jour, une nuit, l'embuscade, l'attaque sanglante, le copain passé au fil du poignard, et la naissance de la haine, de la violence pour la vengeance, de la volonté de tuer, de la sauvagerie. Et au final, le retour sans gloire ni reconnaissance en France. Un retour en et dans le silence. Rideau.

Des milliers d'appelés ont alors tus leurs fêlures, ne les partageant même pas avec leurs entourages familiaux. Fin de leur histoire algérienne ? En apparence.

Après la parution de son livre, Laurent Mauvignier a expliqué que son père avait été soldat en Algérie et qu'il en était revenu traumatisé mais silencieux. Au début des années 1980, cet homme s'est suicidé et son fils, devenu écrivain, se demande aujourd'hui encore quelle part de responsabilité a eu cette guerre devenue lointaine dans ce geste désespéré. En France, en cherchant bien, on trouve toujours une histoire algérienne cachée derrière la personne qui vous parle...

Dans le roman, il est aussi question de retour de mémoire et de ces catalyseurs qui font remonter haines et peurs à la surface. Voici un extrait qui décrit bien ce qu'ont dû éprouver d'anciens appelés lorsqu'ils ont vu arriver dans leur pays des migrants venus d'Algérie : « Oui, les premiers jours, les premiers mois, cette drôle de découverte et de curiosité. Et puis, pour nous autres, ça avait été comme de revoir surgir des morts ou des ombres comme elles savent parfois revenir, la nuit, même si on ne le raconte pas, on le sait bien, tous, à voir les autres, des anciens d'Algérie et leur façon de ne pas en parler, de ça comme du reste. »
On se dira, la lecture terminée, que rien ne vaut la littérature quand il s'agit d'explorer un passé douloureux et de le mettre à jour.
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Sacré livre !
Ce livre montre si bien toute l'atrocité d'une guerre, pas seulement pour les militaires, et le temps de cette guerre.
Les conséquences (surtout les blessures intimes) sont presque sans limites...
J'ai adoré ce livre.... même s'il fait mal.
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Un livre qui s'écoute: silence, stupeur, sidération face à la violence de la guerre. Si on tend l'oreiille, on parvient même à entendre battre le coeur de ces hommes paralysés d'effroi. C'est tragiquement beau, c'est follement humain... Merci Monsieur Mauvignier
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