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sur 695 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Laurent MAUVIGNIER. Des hommes.

Après-midi, soir, matin, trois séquences rythment ce récit. Solange, fête, avec sa famille et ses amis son anniversaire. Son frère Bernard, dit Feu-de-Bois est présent, ayant été invité. Bernard n'est cependant pas le bienvenu, mais Solange aime ce frère, différent des autres membres de la fratrie. Il a quitté, la ferme, la région, s'est marié, a eu deux enfants. Il est revenu, il y a une dizaine d'années vivre près de la ferme familiale, dans une vieille masure héritée d'un oncle. Il a abandonné, femme, enfants et travail ; c'est un homme brisé qui a sombré dans l'alcoolism. Il vit d'expédients, de petits boulots, de services rendus aux uns et aux autres. Il faut dire qu'il a fait la guerre d'Algérie. Comme des centaines, des milliers de jeunes gens, dans les années 1960, il a participé à ce douloureux épisode…

Aussi lorsqu'il remet à sa soeur, une broche en or, son cadeau, tous les invités sont surpris. D'où provient l'argent ? Les langues se délient et chacun y va de son couplet. de plus il y a un homme d'origine algérienne parmi les convives, Saïd Chefraoui, qui a participé, aux côtés des français à la guerre . Une altercation a lieu. Bernard est très agressif. Il va se rendre au domicile de cet algérien, effrayant femme et enfants, blessant le chien. Saïd va-t-il porter plainte pour cette intrusion à son domicile ? Puis Bernard s'enfuit et va vraisemblablement se terrer dans sa masure. Cet homme, comme beaucoup a souffert de son passage dans l'armée. Rabut, son cousin narre les évènements tragiques qu'ils ont traversé lors de leur incorporation et de leur temps d'armée, sur le sol algérien, plus de deux années pour certains.

Non, ce n'est pas avec stupeur que nous découvrons tous les sévices, les exactions tant commises par les français que par leurs adversaires en Algérie. Oui, depuis la fin de combats, les incidents, les tueries, les traques, les vengeances, de nombreux écrits nous ont informés. Ici, Laurent MAUVIGNIER endosse le rôle de narrateur. La description de ces combats, des opérations coup de choc menées, les horreurs vues, les raids, les pillages, les viols, les actes qu'il a fallu accomplir pour gagner, non perdre cette guerre inutile. Les retours au camp, retrouver ses compagnons de galère massacrés, les villages entiers brûlés, les hommes, les femmes et les enfants, tous morts, y compris le bétail, les chiens, etc… Quelle désolation ! Cette tuerie qui a privé les deux pays de leur jeunesse ! Quelle honte pour tous. Malheureusement, tous ces hommes, blessés, pas seulement physiquement mais surtout psychologiquement, sont rentrés, bourrés de remords, perturbés et sujet à des syndromes post-traumatiques. Et au retour à la vie civile, il leur a fallu se taire, ne rien avouer, conserver ses images à jamais figés dans leur mémoire. Nul suivi psychologique à l'époque. Je pense que même si les personnes vivant de tels faits, acteurs ou spectateurs, ayant un suivi médical, de tels évènements ne peuvent s'effacer, imprimés à jamais dans le subconscient. Peut-être peut-il à la limite offrir un petit soulagement et encore. Les outrages subis , imposés ne peuvent être gommés.

Avec brio, Laurent MAUVIGNIER retrace ici une page douloureuse de cette guerre fratricide. Nul ne peut être insensible à la douleur subie par nos vaillants jeunes soldats. Ces derniers, blessés, handicapés à vie, et pour ceux qui ont sont rentrés au pays, complètement « déboussolés ». Ils sont condamnés à vivre avec leurs démons. Toutes les guerres, quel que soit le lieu, sont des pilleuses de vie. Toutes, elles déciment des populations, des vies brisées, stoppées en pleine jeunesse, des enfants sans père, des femmes sans époux, des ruines jonchent le passage des troupes…. Et ce drame se perpétue et se perpétuera dans la nuit des temps. Nous ne sommes pas capables de tirer des leçons du passé. Je vous recommande la lecture de cet hommage rendu par Laurent dans son récit bouleversant. Bonne journée et belles lectures.
( 08/05/2024).

Lien : https://lucette.dutour@orang..
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N°1736 – Avril 2023

Des hommesLaurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

Peut-on oublier la guerre, celle qu'on a faite à vingt ans sans vraiment le vouloir.
Le narrateur qui est le cousin de Bernard, du même pays et de la même classe que lui, évoque l'histoire personnelle de ce dernier, la conscription des années 60 qui a arraché à leur terroir boueux qu'ils n'avaient jamais quitté des jeunes gens à peine sortis de l'adolescence pour les précipiter dans la guerre du djebel. Il raconte le traumatisme subi par ces petits gars de la campagne qui découvrent certes un pays, un climat et des gens qu'il ne connaissent pas, apprennent l'ennui et les corvées des longues journées de caserne mais surtout le dégoût de la violence perpétrée contre les populations civiles, l'horreur des combats et des exécutions, la trahison, la peur du danger, des attentats et de la mort, au bled comme en ville, le devoir de tuer si on ne veut pas perdre la vie, la trouille qu'on appelle aussi le courage. Ils doivent défendre le territoire parce que là aussi c'est la France. Libéré après de longs mois Bernard revient en métropole, rompt avec sa famille, tente de refaire sa vie loin d'elle, avec femme et enfants mais revient longtemps après dans son village comme SDF alcoolique et marginal. Les vielles histoires de famille reviennent longtemps après avec des conséquences inattendues et une banale fête d'anniversaire va faire ressurgir tout ce passé qu'on croyait oublié.
Cette guerre d'Algérie que l'auteur n'a évidemment pas faite revient dans son oeuvre comme un leitmotiv oppressant et accompagne la figure muette de son père. Cela a traumatisé toute une génération de jeunes gens envoyés là-bas et dont certains ne sont jamais revenus, et tout cela pour rien, pour un pays perdu d'où ont été expulsés tant de « pieds-noirs » trahis par les hommes politiques, on a sacrifié des harkis qui avaient pourtant fait le choix de la France, trompé ceux des arabes qui avaient combattu pour la France et qui ne seraient jamais Français, déconsidéré l'armée française dont certains membres se sont rebellés parce qu'ils se sont considérés comme trahis et parce qu'elle a commis la-bas les mêmes crimes dont les nazis s'étaient rendus coupables pendant la 2° guerre mondiale en métropole, répondant aux massacres de l'autre camp, cette même armée qui refusa, parce que les ordres étaient ainsi, de protéger les Français contre les massacres perpétrés par les Algériens. Pour ces jeunes gens, le service militaire effectué dans ces conditions est plus qu'un rite traditionnel de passage vers l'âge adulte, c'est une blessure indélébile pour ces jeunes devenus des hommes. Leur longue absence a parfois fait basculer leurs projets les plus intimes. Il reste de vieilles photos jaunies, des visages oubliés, l'espoir de la quille libératrice, des odeurs, de rares permissions, du soleil, de sales souvenirs liés à la mort dont il ne parle pas, un fort sentiment de révolte contre les ordres donnés qu'il faut exécuter, la culpabilité d‘avoir survécu que toutes les vaines prières n'effaceront jamais, une page qui trouble même le sommeil et qu'on ne tournera vraiment jamais parce qu'on ne peux même pas en parler, qu'on camoufle mal sous de folkloriques banquets d'associations d'anciens d'AFN, de médicaments ou d'alcool.
Le style est volontairement haché, brut, des phrases parfois inachevées, déstructurées où les silences le disputent à avalanche des mots, comme s'ils avaient été trop longtemps tus...

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Ce style haché, c'est celui de la pensée. Elle n'a pas besoin d'aller au bout des phrases, elle sait déjà ce qu'elle va y trouver. Et c'est l'exploit de Mauvignier, de nous faire partager ces pensées, de nous faire comprendre où elles vont et ce qu'elles n'ont pas besoin de formuler. Une espèce de télépathie qui permet de deviner ce que ces hommes n'ont pas dit, ne disent pas, et qui les hante. Extraordinaire procédé.
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« Des hommes » de Laurent Maurignier, un livre qui pourrait être divisé en trois parties avec la fête comme élément déclencheur : le présent, avec Bernard dit « Feu de bois » qui offre à sa soeur Solange pour ses 60 ans et son départ à la retraite une broche or et diamants, lui ,le pauvre, le rebut qui vit aux dépens des autres et de la famille, un cadeau qui attise la suspicion et la jalousie ; le passé, qui resurgit, un souvenir qui vous dévore l'âme et perturbe vos nuits des années après, le syndrome post-traumatique, l'Algérie vécu en 1962 avec son lot d'atrocités, et Chafoui qui appelle la vengeance dans la tête de Bernard ; et l'avenir, avec cet argent qu'il avait gagné à la loterie, ce pactole confié à la mère parce qu'on n'avait pas atteint la majorité pour gérer ses sous, mais suffisamment grand pour combattre à côté des harkis sur une terre inconnue qu'on appelait l'autre France. Un récit poignant.
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Premier roman que je lis de Laurent Mauvigner, auteur qu'on m'a beaucoup conseillé et dont j'étais content d'enfin (!) lire un roman.

Rien que l'intrigue du livre m'a paru passionnante : ce n'est pas seulement un roman sur la guerre d'Algérie (bien qu'une grande partie de l'histoire s'y déroule), mais aussi et surtout sur l'Après, sur les réminiscences, sur les cauchemars, sur ce que deviennent ces hommes des dizaines d'années après la guerre, marqués à vie, le passé refaisant brutalement surface au détour d'un trois fois rien.

Avec une écriture plutôt simple, ou du moins, disons, dénuée de fioritures, Mauvigner dépeint magistralement à la fois ce moment où les fantômes resurgissent et où soudainement tout dérape, bascule ; et également de très belles (mais glaçantes) pages sur la guerre d'Algérie et sur son horreur. Montrant bien comment de jeunes soldats français pouvaient être victimes d'attaques et surtout n'avoir pas choisi de participer à cette guerre tout en commettant pour certains les pires atrocités. Mauvigner montre bien cette double facette ; à l'opposé du manichéisme en somme.

"Des hommes est vraiment une belle découverte et je me demande ce que donne le film qui en a récemment été tiré...
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Petite critique tardive pour dire le bien que je pense de ce livre, acheté au hasard chez le libraire de mon quartier.

Des Hommes traite d'un sujet très difficile à traiter, celui des syndromes traumatiques des vétérans de guerre. Quelques mois après la lecture de L'art de perdre, d'Alice Zeniter, ce livre vient compléter de façon poignante le tableau d'un des épisodes les plus honteux de l'histoire de France.

Le livre raconte une guerre sale, du point de vue d'un soldat, ordinaire dans l'armée comme au quotidien, rustre, peu éduqué et dont l'expression enfantine est utilisée à point nommée pour raconter l'horreur. Il raconte également la souffrance psychologique du vétéran, cachée au plus profond dans un milieu - la France rurale - où l'on ne parle pas d'une guerre que tout le monde souhaite oublier.

Le lire est d'une grande finesse, indispensable pour faire ressentir la souffrance psychologique de Rabut et de Feu-de-bois. Il est une illustration poignante de l'importance de la parole et du devoir de mémoire, qui sont d'autant plus importants que l'événement concerné est de ceux que l'on souhaite oublier. Un livre dure mentalement : ici, pas de héros. Pas d'explications faciles ni de doigts pointés. Uniquement l'horreur de l'armée française en Algérie, du destin de ces jeunes appelés et de l'impossibilité de reprendre une vie normale.

J'ai le sentiment (diffus) que ces histoires ne sont que trop peu racontées, et devraient l'être davantage.
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Tout ça, c'est la faute à Bernard. Qu'est-ce qui lui a pris, bon sang !, de gâcher la fête d'anniversaire de sa soeur, et d'aller faire l'andouille chez l'autre, là-bas ? L'Algérie ?! Quoi, l'Algérie ? Qu'est-ce qu'il raconte, Rabut, le cousin qui va perdre le sommeil à ressasser toute la nuit les "événements d'Algérie", tels que Bernard et lui les ont vécus, alors qu'ils n'étaient que de jeunes paysans mal dégrossis qui se sont brutalement retrouvés sous le soleil aveuglant d'Oran ?
Laurent Mauvignier raconte de façon magistrale la Guerre d'Algérie et ses ravages, de l'intérieur de ces pioupious fracassés qui ne savaient pas à quoi s'attendre du haut de leurs 20 ans, qui se demandaient pourquoi "les gens ici on leur fait la guerre et on dit la paix", et qui finissaient par comprendre que "la guerre c'est toujours les salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout." Et l'auteur tisse son récit autour du silence assourdissant, épais comme le doute et la peur, qui les enveloppe, silence des émotions et des interrogations, silence des témoins et des coupables, silence de la Grande Muette, silence de l'indifférence lors du retour au pays.
D'ailleurs, même les dialogues sont feutrés, sans ponctuation distinctive, comme des voix étouffées au fond de gorges nouées depuis toutes ces années. Car outre ce qu'il relate, c'est la façon dont Mauvignier raconte qui m'a mise à genoux : quelle virtuosité et quelle maîtrise dans le style ! Peu importe si l'on peine momentanément à savoir dans quels souvenirs on est plongé, on est emporté par leur flux vif et continu ; il y a tant à dire, chez ces hommes que personne ne veut écouter.
Sans rien justifier ni excuser, l'auteur rend une forme d'hommage à cette génération de conscrits sacrifiés, qui n'avaient rien demandé et se sont retrouvés embarqués pendant 28 mois ( ! ) dans une guerre qui ne disait pas son nom, en un territoire français inconnu d'eux (qui n'avaient pratiquement jamais quitté leur village boueux de métropole), et qui sont revenus défaits -et surtout brisés.
C'est donc un roman "énorme" par ce morceau d'Histoire qu'il relate, par la densité et la puissance des émotions qu'il retranscrit, et par la prouesse de son écriture. Une lecture très forte, dont je ne suis pas sortie indemne. Et un auteur auquel je vais m'intéresser d'un peu plus près.
Amateurs d'Histoire et frères humains qui après eux vivez, faites-vous plaisir : lisez ce roman qui vous éblouira !
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Ouvrir un roman de cet immense auteur c'est accepter de renoncer à la facilité mais vouloir entrer à travers des phrases complexes et une structure narrative parfois déroutante dans une lecture précise, pointue, concentrée pour dire la complexité des événements, des gens, pour pénétrer dans l'âme humaine avec un scalpel sans effet, sans atermoiements, sans misérabilisme. Et toujours le respect, la dignité, l'intelligence en ligne de fond. Je tiens Laurent Mauvignier pour un des plus grands auteurs français contemporains sans fioritures ni effets de manches. Un immense talent et un grand travail qui obligent à l'admiration.
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Les jeunes appelés du contingent, tenus de faire 28 mois de service militaire en Algérie, ne sont pas placés très haut dans la hiérarchie de l'héroïsme, lorsqu'ils reviennent au pays après l'indépendance.
"C'était pas Verdun, votre affaire." leur disent les vieux.
Jugement de citoyens dont la représentation nationale décide d'envoyer au casse-pipe des jeunes gens auxquels elle refuse le droit de vote...
Laurent Mauvigner raconte l'histoire de trois amis d'un même village, Bernard, son cousin Rabut qu'il surnomme le bachelier et Février...
Ils sont mobilisés, vivent leur "expérience algérienne" par la force des choses, sans comprendre les enjeux de l'indépendance, la politique réaliste de de Gaulle, le déni des officiers de l'armée française, la relation impossible entre pieds-noirs et Algériens, la position incompréhensible des Harkis.
Seul, Chatel, détesté de ses camarades, semble comprendre Parce que Chatel a dit que ce qu'on fait ici c'est dégueulasse et que les Harkis sont des traîtres aux Algériens."
Bernard lui, est ébloui par ce pays, il est amoureux de Mireille la fille d'un riche colon, peau bronzée, plage, crèmes glacées et sourires, perspectives de garage automobile dans la région parisienne. Il se lie d'amitié avec Fatiha, la petite fille du directeur du dépôt d'essence placée sous la garde de son régiment.
L'indépendance du pays brise ces rêves d'un autre temps.
Il y aura bien région parisienne mais comme OS et dans une banlieue où Mireille s'étiole....
Quand il revient au village Bernard n'est plus que l'ombre de lui-même. On le surnomme Feu-de-Bois, il vit dans une masure et fuit le contact de ses anciens amis et de sa famille.
Ce qui le rapproche encore de Février et de Rabut, c'est le refus de parler de ce qu'ils ont vécu en Algérie.
Quand dans le train qui l'emmène à Marseille on lui demande son avis sur la question algérienne, "Il dit qu'il n'en sait rien, mais ne rajoute pas qu'avant toute chose il s'en fout."
Mais il "sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
Lorsqu'il lui arrivait de penser en se promenant dans les rues d'Oran, il se disait "(...) qu'ici on est comme les Allemands chez nous, et qu'on ne vaut pas mieux."
À la caserne, il se demande "Si une cause peut être juste et les moyens injustes."
Il ne comprend rien à ce que lui dit Idir, un Harki, ""Vous prenez les Kabyles pour des Arabes. Pour vous tous les Algériens c'est les mêmes. Moi je suis Berbère, pas arabe."
Au village, quand il y revient après l'échec de sa vie parisienne, tout a changé. Un lotissement symbole de la réussite économique a été construit en périphérie, le pavillon individuel est devenu la norme. Les habitants ne veulent plus entendre parler de l'affaire algérienne. Chefraoui, un Algérien, collègue de Solange la soeur de Bernard s'est établi au village.
C'est à l'occasion de la fête d'anniversaire de cette dernière que le drame éclate.
Bernard y joue les trouble fête, sûr de son droit et certain de la mauvaise conscience de ses frères. Seule Solange avec laquelle il a communiqué par courrier durant son service en Algérie semble prête à le comprendre et à l'excuser. Rabut dans une moindre mesure.
"Monsieur le Maire, vous vous souvenez de la première fois où vous avez vu un Arabe ?" Lance-t-il notamment.
Le roman est divisée en quatre parties construites sur une chronologie inversée.
APRÈS-MIDI, nous raconte le retour de Bernard dans son village après une absence de plusieurs années et le malaise que sa présence suscite parmi les habitants.
SOIR, donne la parole aux habitants et aux autorités du village - bistrotiers, maire et gendarmes - qui exposent leur vision du comportement de Bernard et de comment ils l'expliquent.
NUIT, la partie la plus longue du roman démontre l'absurdité de l'envoi du contingent en Algérie, l'absence d'encadrement des appelés et la dichotomie entre l'armée de métier acquise à la cause de l'Algérie Française et le contingent. "Les soldats envahissent le village et courent encore criant, ils crient pour se donner du courage, pour faire peur, comme des râles, des souffles, alors les vieilles cachent les paniers qu'elles sont en train de tresser et regardent les jeunes hommes et s'étonnent de ce qu'avec des armes dans les mains on dirait que ce sont eux qui ont peur."
MATIN, pose la question et maintenant ? La vie continue semble répondre Rabut...
La force du roman de Mauvigner est de donner la parole à ceux dont on a ignoré l'existence pendant des années. À Ceux qui sans avoir pris part au processus qui a conduit la France à occuper l'Algérie, à y établir une population, à donner le faux espoir d'une société apaisée, en sont devenus malgré eux, et pour leur plus grand malheur, le bras armé.
Un roman très juste qui laisse un sentiment doux amer.

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Lu à sa sortie en 2009, j'ai eu envie de le relire avant de voir le film de Lucas Belvaux.
« Ce bloc de silence qui s'est rétracté » c'est Bernard, dit Feu-de-Bois, la soixantaine.
Il pue : l'alcool, le mauvais tabac, la crasse et la sueur des sentiments enfouis depuis trop longtemps.
Laurent Mauvignier va nous tracer cette histoire en quatre actes : l'après-midi, le soir, la nuit et le lendemain matin.
Vingt-quatre heure chrono dans la vie de ce village de la Bassée.
Une fête se prépare dans la salle municipale, Solange la soeur de Bernard a réuni famille et amis pour ses soixante ans et son départ à la retraite. C'est joyeux et Bernard arrive, il a fait des efforts il s'est mis sur « son 31 » enfin à sa façon. Chaque invité a déposé son petit cadeau mais lui attend à l'écart et s'approche de sa soeur, il extrait de sa poche un écrin. Tout le monde l'observe car il n'a pas les moyens, il vit plutôt comme un clochard.
La grogne monte, car certains l'ont aidé financièrement sans revoir leur argent alors cette dépense !
Solange est gênée, elle aussi, elle ne sait comment réagir, mais lui attend qu'elle montre le plaisir que lui procure cette broche offerte.
« Un bijou. Lui, il y avait pensé.il avait réfléchi et je trouve que c'était bien de sa part, non, vous trouvez pas, vous, de penser à sa soeur en se disant que personne d'autre lui offrirait un bijou comme ça parce qu'elle avait personne pour le faire ? »
C'est Rabut, le cousin qui raconte, principalement mais les voix du village s'entremêlent. Chacun y va de son chapelet pour faire le portrait de Bernard avant qu'il ne soit Feu-de-Bois et c'est glauque, aussi sale que la crasse qu'on lui attribue. Ça pue.
Un autre personnage Février va tempérer les souvenirs de cette sale guerre, il sera un contrepoint très important.
« Rabut. Pourquoi vous dites tout ça. C'est pas la peine de charger la barque. Il a pas besoin. Non ? Vous croyez pas ?
Ecoutez, Rabut, votre cousin il est ce qu'il est, mais quand il parle de vous, il dit pas de mal. Il dit le bachelier et ça le fait rire tout seul, mais c'est tout. »
A partir de là le récit est une résurgence, comme ces eaux souterraines qui ressortent à la surface.
Comme d'autres jeunes Bernard est envoyé en Algérie en 1960, quand il rentre, il ne revient pas au village, il s'installe en région parisienne, a une femme et deux enfants. Il les laissera quelques années plus tard, et s'installera dans la vielle masure de son oncle, qui abritera sa solitude, au mur accrochées quelques photos, pas de sa femme et de ses enfants, non, des photos de petits algériens et surtout celle d'une petite fille. Pourquoi est-il revenu ?
« Il travaille tous les jours à retaper sa maison et très vite on le voit qui rôde autour de la maison de sa mère, qu'il cherche à venir chez elle, qu'il attend, qu'il regarde, qu'il guette le moment où elle acceptera de lui parler. »
C'est une plongée en apnée dans les traumatismes de ceux qui reviennent de la boucherie des guerres. Ils ne disent rien de ce qu'ils ont vécu mais on ne sollicite pas leur parole, ils sont revenus c'est bien mais la collectivité ne veut pas savoir.
Des blessures gravées dans le marbre de leur chair.
Laurent Mauvignier fait un récit tendu à l'extrême avec une polyphonie qui parfois se noie dans une cacophonie pour révéler, cacher ?
Il dit la tragédie, il donne la parole aux sans-voix. Ces anonymes, ceux qui se fondent dans la masse pour faire de la chair à canon, de la main-d'oeuvre pas chère, et sous sa plume ils sont là, individualisés et humains.
Bernard le mutique, feu-de-Bois l'explosif, c'est un destin dans la grande Histoire.
Le silence comme une chappe de plomb, et le lecteur ne lit pas ce livre, il écoute, il reçoit.
Ecrire les non-dits pour plus de réalité.
Cette guerre et l'Algérie, cet enfer quotidien auquel rien ne les avait préparés, cette barbarie sans mots… Des trahisons de tous côtés. Cela détruit, lamine indéfiniment à l'intérieur.
C'est un livre bouleversant car le monstre se révèle et il a encaissé depuis l'enfance, personne ne naît pour être seul.
©Chantal Lafon
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