Que cachent les titres sensationnels de nos journaux annonçant la découverte d'une nouvelle espèce de dinosaure ? Ou encore mieux – afin de pouvoir faire le buzz - d'un spécimen fossile battant tous les records de grandeur ? La réponse dans cette BD qui est pour moi un très gros coup de coeur. Pour des raisons subjectives d'abord, la paléontologie et les dinosaures sont pour moi une de mes madeleines de
Proust depuis longtemps. L'omniprésence dans le récit du paléontologue français
Ronan Allain, auteur de «
Histoire des dinosaures », premier livre que j'ai lu sur ce sujet n'a rien arrangé. Et un chapitre clin d'oeil à l'émission « C'est pas sorcier » - une autre madeleine - m'a carrément achevée.
Mon enthousiasme initial mis de côté, il y encore beaucoup de raisons qui ont fait de cette BD une très belle découverte, tant les sujets sont riches et se croisent à merveille. Lors de la préparation d'une exposition au musée d'Angoulême, Mazan – notre dessinateur – se voit donner l'opportunité de participer à une prospection pour de potentielles fouilles sur le site d'Angeac-Charente. Ce qui lui permet de concrétiser d'une manière totalement inattendue sa passion d'enfant pour la paléontologie. Son sentiment de bonheur et de pur enthousiasme va irradier cette BD de bout en bout. Avec humour et pédagogie afin de transmettre son expérience le plus fidèlement possible. le début de son récit se concentre sur les fouilles d'Angeac-Charente, inclut quelques planches dédiées à l'équipe de « C'est pas sorcier » qui est venue tourner sur les lieux, mais est aussi surtout prétexte pour donner des points de repères chronologiques et notions de bases en paléontologie pour la gouverne de ses lecteurs et lectrices. Cette partie donne également un premier aperçu du travail de terrain effectué par les paléontologues, le site étant à priori parfait pour cela car quantité de fossiles y ont été retrouvés. Comble de chance pour Mazan, ce chantier de fouilles, c'est la porte à côté, 10 km l'en sépare de chez lui.
Ronan Allain, grand amateur de BD – oui, ces deux-là se sont bien trouvés – va ensuite proposer à Mazan de réitérer l'expérience mais... au Laos cette fois. A la recherche d'une nouvelle espèce de spinosaure, « Ichthyovenator Laosensis » alias « Kiki » pour les intimes. La suite de la BD est véritablement passionnante car elle couvre toute la campagne de fouilles du Laos, d'un point de vue scientifique bien sûr mais aussi et surtout d'un point de vue humain. Pour cette mission, l'équipe s'est rendue dans la province de Savannakhet, où l'accès à l'eau courante et à l'électricité dans certains villages reculés reste épique, où les routes et infrastructures sont bien précaires. le récit se mue donc en journal de bord avec force dessins, croquis, photos et notes manuscrites. Grâce à ces procédés et à la joie inaltérable et communicative de Mazan, je me suis encore davantage immergée dans cette atmosphère très particulière. La studieuse application de chacun des membres de l'équipe, penchés sur cette terre laotienne avare en fossiles, mais maniant avec patience et minutie le burin et autres joyeusetés sous un soleil de plomb et une chaleur accablante. La cohésion de groupe et les relations bon enfant, fruits d'une cohabitation de plusieurs semaines dans des conditions de vie spartiates et éloignées de nos standards européens. Les foules de détails et anecdotes relatifs à leur intégration à la vie locale. Aspect d'une importance capitale dans le succès de ce type d'entreprise mais peu présent dans notre imaginaire collectif de ce qu'est une campagne de fouilles. C'est le sujet qui m'a le plus poussée à la réflexion pendant ma lecture. L'importance de la diplomatie locale avec les autorités politiques en place - ici le Pathet Lao - et les habitants des villages voisins. Cela permet de s'assurer l'appui de la population concernant la logistique et plus trivialement du ravitaillement. Et puis, il faut bien l'avouer, de leur coopération. Un chantier de fouilles dans ces coins isolés, c'est autant un sujet de curiosité qu'un objet de défiance (tout comme les dessinateurs...). La légende locale dit en effet que le buffle sacré...
Récit vivant d'un « rêve éveillé », il serait dommage pour tout amateur en paléontologie voire pourquoi pas de récit de voyage de passer son chemin. Cet ouvrage est une pépite, dense certes et qui ne se lit pas d'une traite. Mais tant mieux, cela permet de faire durer le plaisir.