D'une part, ceux qui creusent les tunnels sous le fleuves. D'autre part, ceux qui bâtissent les gratte ciel. Entre les deux, les hommes qui vivent avec leurs familles, leurs amis, leurs bonheurs et infortunes. Un monde dans lequel l'on peut péricliter des plus hauts gratte-ciel vers les entrailles fétides de la ville... Il suffit d'un grain de sable...
Dès le début, les chapitres se déroulent alternativement en début de XXe siècle et dans les années 90 du même XXe. Evidemment, les deux récits n'en feront plus qu'un dans le dernier quart du livre et c'est un très bon découpage car il donne du rythme au récit et entretient l'envie du lecteur.
McCann nous fait entrer dans le monde des ouvriers de l'extrême, à une époque où la technologie en était à ses balbutiements dans ce domaine. Au passage, il aborde une série d'autres thèmes : les addictions, la folie, le courage, la mixité raciale, l'automutilation, la rédemption...
Tout démarre avec Walker et ses trois amis qui creusent le tunnel reliant Brooklyn à Manhattan. On suit la famille de Walker sur trois générations, à travers ce monde d'ouvriers où origines et couleur de peau ne jouent aucun rôle. Ce n'est que quand il tente de s'embourgeoiser quelque peu que la ségrégation raciale refait surface, jusqu'à conduire au drame...
Parallèlement, on suit le destin Treefrog, SDF vivant dans les couloirs obscurs et suintants du métro newyorkais. Il est entouré de compagnons d'infortune avec lesquels il partage plus de mauvais moments que de bons.
McCann maîtrise remarquablement le sujet, sans tomber ni dans le documentaire ni dans la commisération. Chacun sait où il est et pourquoi il s'y retrouve. Treefrog fait son chemin dans cette jungle où drogue, alcool, sexe et violence font loi.
Les Saisons de la Nuit, joli titre, est un livre très proche de «
Lointain Souvenir de la Peau », de
Russell Banks. Je l'avais lu l'an dernier mais j'ai préféré de loin le McCann, dont le talent de conteur est plus grand tout en évitant d'être moralisateur.
La narration est linéaire et limpide et elle avance au même rythme dans les deux univers centraux du livre. le style est moins sombre que l'histoire qui baigne dans la souffrance et le désespoir, c'est un apanage des très bons écrivains.
Quant aux personnages, belle réussite également. Outre les deux principaux, Walker et Treefrog, McCann nous en offre au moins cinq autres presque aussi passionnants. Vannucci, qui creusait le tunnel avec Walker, Eleanor O'Leary, épouse de Walker, Papy Love, peintre mural et sorte de Banksy sous-terrain, Angela, seule lumière dans la misère de Treefrog
Il me manque tout de même un élément. Quand un récit balaie tout le XXe Siècle américain, j'aime y retrouver des références politiques, sociales ou culturelles. Cela me fascine, je suis comme ça. Mais ici, elles sont les grandes oubliées du livre : quand McCann parle musique, il se limite à
Louis Armstrong faisant tapisserie au milieu d'un paragraphe. Un peu maigre.
Au final, un bon auteur de plus, me direz vous ? Bin oui, incontestablement.