Der
Golem
Traduction :
Denise Meunier
ISBN : ?
Le Golem ... Tout le monde en a entendu parler. Certains - mais ils sont morts depuis longtemps - l'ont vu dans les rues étroites du ghetto juif de Prague. le cinéma l'a recréé, la version la plus fameuse étant celle de Paul Wegener et Carl Böse, en 1920, avec Wegener dans le rôle-titre - signalons du même coup la version de Duvivier, qui date de 1936, avec Harry Baur sans oublier la version de Jean Kerchbron, pour la télévision française, en 1967. Mais c'est à
Gustav Meyrink que revient le mérite d'avoir ressuscité, et considérablement modernisé, la vieille légende du rabbin Loew, avec son roman "
Le Golem", sorti en 1915, et qui sera un succès total.
Pourtant, aujourd'hui, si l'en excepte les fanatiques des ciné-clubs, qui a vu le film de Wegener et qui se souvient du film de Duvivier pour ne rien dire de l'adaptation de Kerchbron ? Et qui, surtout, peut se vanter d'avoir lu le livre qui l'a inspiré ?
Il y a pas mal d'années de cela, les irremplaçables éditions Marabout publiaient la traduction du texte, un récit qui surprend à plus d'un titre et qui frappe avant tout par l'extraordinaire ambiance que, dès la première page, met en place son auteur. Peu importe que nous soyons juifs ou chrétiens, voire athées, ce Prague du "
Golem" de
Meyrink, on y est littéralement catapulté, et on va y demeurer prisonnier tout en nous y promenant pendant près de deux-cent-cinquante pages.
On a beaucoup dit que ce récit avait quelque chose d'"halluciné." Et c'est vrai. C'est un mélange d'onirisme et de brumes, de ruelles qui aboutissent à des impasses, de souterrains qui courent sous la ville et dont l'un, emprunté par le héros, mène à une petite chambre à la fenêtre grillagée et sans autre moyen d'entrée qu'une trappe dans le sol, de personnages criants de réalité et qui, tout à la fin du livre, s'évanouissent comme le fait régulièrement
le Golem si, hasard ou volonté, on le croise ou on se met à le suivre. Au milieu de l'histoire (mais on met longtemps à s'apercevoir de l'importance de cet accessoire), un chapeau. Dans la doublure, le nom gravé d'Athanasius Pernath. Et puis notre narrateur qui découvre ce chapeau - comment, déjà ? On l'a à peine lu qu'on l'oublie. L'emporte-t-il, ce chapeau qui lui va si bien ? Pourtant, ce chapeau le plonge dans un grand trouble et ses amis, autour de lui, qui semblent pourtant l'estimer et même avoir de la sympathie pour lui, ne chuchotent-ils pas, quand ils le croient endormi lors d'une soirée, que ce pauvre Pernath a souffert de graves troubles nerveux ? ...
Dans les maisons figées aux façades noires ou aveugles, vont et viennent des personnages mystérieux et souvent inquiétants, quand ils ne sont pas repoussants : le brocanteur Aaron Wassertrum, bien entendu, avec son bec-de-lièvre, sa colère rentrée et son désir de détruire ceux qui ont poussé son fils (une fieffée canaille, soit-dit en passant) au suicide ; son ennemi juré, l'étudiant en médecine phtisique Charousek, qui, en fait, n'est autre que l'un des nombreux bâtards du brocanteur ; le juge au tribunal rabbinique Shemajah Hillel et sa fille, la belle et mystique Mirjam ; Zwakh, le vieux montreur de marionnettes, qui est le premier à raconter, sur l'insistance des autres, lors de la soirée dont nous parlions plus haut, la légende du
Golem ; Josua Prokop, le musicien ; Angelina, devenue comtesse par son mariage et qui aurait, selon ses propres dires, bien connu le père d'Athanasius Pernath - un père dont celui-ci ne conserve aucun souvenir : il ne se rappelle d'ailleurs pas grand chose de son passé ...
Et puis Rosina la Rouge, personnage étrange et semi-androgyne (?) qui se jette au cou de tous et dont est amoureux le sourd-muet Jaromir tout comme son frère, Loisa. Jaromir court les cafés en découpant habilement des portraits dans du papier noir. Loisa, lui, est une petite frappe qui finira par assassiner. Et ce meurtre, on l'imputera évidemment à l'apparition du
Golem. Car il est revenu. Athanasius Pernath est le premier à l'avoir vu.
le Golem, enfin, un homme muet, au visage curieusement mongoloïde, avec des yeux d'Asiatique, est entré chez lui et, par signes, a indiqué au tailleurs de pierres précieuses qu'il voulait qu'on lui réparât la feuille d'or de la lettre "I" dans le livre Ibbour. Et puis, il a disparu. Comme ça. Mais le livre est resté et Pernath l'a enfermé dans une cassette, bien à l'abri.
Le Golem viendra-t-il le lui réclamer ? ...
L'intrigue se fait aussi tortueuse que les rues du ghetto. On ne sait plus très bien si Athanasius Pernath est Athanasius Pernath. On ne sait pas qui a tué qui. Tout se mêle, tout s'entremêle jusqu'au final, un final éblouissant qui rappelle la longue tradition du doppelgänger allemand. Ne prétend-on pas que qui voit
le Golem voit son double ? Il n'en était certainement pas question à l'origine de la légende mais
Meyrink se l'approprie et libère ainsi
le Golem originel de la gangue figée du mythe inspiré par le rabbin Loew. Initialement créé par celui-ci au Moyen-Âge,
le Golem que nous croisons ou qui nous frôle dans le roman de
Meyrink devient un pur esprit, qui s'incarne parfois pour annoncer, dit-on, des catastrophes. Il faut dire que, lorsque
Meyrink fait paraître son roman, la catastrophe était bien commencée depuis un an. Mais son livre demeure intemporel et se concentre exclusivement sur Prague et le ghetto juif - la comtesse Angelina restant à part de tout cela.
Selon la tradition,
le Golem se manifeste tous les trente-trois ans. A la fin du roman, il retourne à
L Infini dont il est né mais Athanasius Pernath voit alors son double, dans une étrange maison où il est venu rendre le fameux chapeau. La boucle est bouclée : rêve d'un demi-fou ? fantasmagorie étouffante engendrée par les angoisses et les brouillards de la ville et de l'époque ? texte à signification kabbalistique, auquel le profane ne peut rien comprendre ? ...
En tous cas, un excellent roman fantastique, qu'on n'est pas près d'oublier une fois qu'on l'a lu et qui explique l'incroyable succès du personnage.
le Golem est un emblème, un symbole : il est le Double que nous portons en nous, que nous fuyons parfois et qui, d'autres fois, à son tour, nous fuit ; il est notre ombre et nous pouvons entendre derrière nous le glissement doux et têtu de ses pas ; il est le mystère éternel de notre âme - de l'âme humaine. On n'a pas à le comprendre : on doit se laisser porter et le ressentir. Tout au fond de nous. Eternel. Intangible. La source, peut-être, de nos plus profondes angoisses : celles d'un esprit emprisonné dans un corps et qui ne sait absolument pas ce qu'il fait là-dedans. ;o)