Mishani Dror – "
Une disparition inquiétante : une enquête du commandant Avraham Avraham" – Seuil, 2014 (ISBN 978-2-7578-5173-9)
– première édition en hébreu, cop. 2011
– Prix du meilleur polar des lecteur de Points en 2015
Un roman policier dont l'intrigue se traîne en longueurs inutiles. Avec des relents d'imitation pure et simple de Mankell : l'enquêteur qui ne sait pas bien où il va, qui vient geindre dans le giron de sa supérieure hiérarchique, qui n'avance pas assez vite et gnan-gnan-gnan, tout ça est maintenant beaucoup trop utilisé.
Sous prétexte d'inclure une "réflexion" sur l'écriture, l'auteur (un universitaire), insère de surcroît l'intrigue proprement invraisemblable du voisin postant des lettres anonymes, mais bon, les universitaires se croient toujours obligés à ce genre de "mise en abyme".
Dans la veine "mondialisation galopante" et "littérature d'aéroport", notre auteur déploie par ailleurs de gros efforts pour gommer le plus possible toutes les spécificités de la vie quotidienne israélienne, comme s'il en avait honte : dans ces pages, aucune synagogue, aucun rabbin, aucun ashkénaze, aucun séfarade, aucune menorah, rien de casher... seule une "bar-mitsva" surnage par hasard (p. 200), ainsi que l'une ou l'autre mention d'un plat particulier (exemple p. 30, concession à un exotisme de pacotille ?), mentions qui ont dû échapper à la relecture de filtrage de l'auteur. En page 64, c'est la traductrice qui précise tout de même une particularité engendrée par le respect du shabbat.
Tous ces défauts ne seraient cependant pas plus rédhibitoires qu'ils ne peuvent l'être chez d'autres, si l'auteur n'était pas – justement – un universitaire israélien...
Car la plupart des auteurs israéliens d'aujourd'hui (par exemple
Amir Gutfreund avec son roman «
Les gens indispensables ne meurent jamais», et
Amos Oz ne fait guère mieux – voir recensions) réalisent le tour de force de commettre des romans de plusieurs centaines de pages, se déroulant dans l'Israël d'aujourd'hui (l'intrigue est bien datée dans ce roman, en pages 102 puis 108), sans une seule fois écrire le mot "palestinien" !!!
Ici, c'est encore pire : les mots "palestinien" et "arabe" apparaissent dans les pages 124 et 125, conjoints avec le mot "terroriste" ; et l'auteur de nous apprendre ingénument qu'en Israël, il existe une police secrète dénommée "Shabak" qui s'occupe "uniquement des arabes" : imagine-t-on un roman policier se déroulant dans la France d'aujourd'hui sans évocation des banlieues ni des descendants de l'immigration...
Pire encore : dans les dernières pages, notre enquêteur reçoit la donzelle qu'il a réussi à séduire en Belgique (!), laquelle – quelle outrecuidance ! – décide d'aller tout de même visiter Jérusalem-Est et le Mont des Oliviers : notre auteur ne lâchera que le "dôme doré d'al-Aqsa ... incandescent sous la chaleur" (p. 375), pas un traître mot sur les gens, ces "arabes", qui vivent là, qui ne sont même pas nommés, ce qui constitue la négation la plus violente qui soit de l'Autre.
Pour mémoire, les "arabes de nationalité israélienne" représentent environ vingt pour cent de la population d"Israël, soit presque deux millions de personnes, représentées par onze députés (sur 120) à la Knesset : il faut croire que les écrivains israéliens ne les voient pas, mais alors pas du tout du tout. C'est ignoble.
Comment un tel roman confinant à l'apartheid s'est-il vu attribuer un "prix des lecteurs" en France, aux éditions du Seuil ?
Les "grands écrivains" israéliens pourraient prendre modèle sur
Yasmina Khadra (pseudonyme de
Mohammed Moulessehoul) qui eut le courage d'écrire «
L'attentat» (2005 - ISBN 978-2-266-16269-2 – voir recension) : même si ce roman n'est pas spécialement réussi, il a le mérite d'aborder une certaine vérité, dont on pourrait croire qu'elle constitue une obligation morale forte pour un universitaire et à plus forte raison pour un écrivain, quelle que soit sa nationalité.