Je découvre la littérature de
Patrick Modiano par ce court (143 pages chez Folio 1978) livre, le 2ème de la trentaine de ""
romans" qu'il a écrit et de la trilogie dite de "l'occupation".
Des phrases courtes, souvent sans verbe mais pas ou peu de points de suspensions, à l'opposé de la manière de parler de
Patrick Modiano (si vous ne l'avez jamais entendu parlé, faites-le, c'est particulier et touchant je trouve). Beaucoup de personnages. La véritable "décadence" était du côté des opportunistes parasites de l'occupation nazi et non dans la société de "jouissance" critiquée par Pétain, comme on le voit dans la BD Ida Mauz de Daniel et
Alex Varenne (né en 1939). Une ambiance qui m'a rappelé aussi
India Song de
Duras (le livre et le film) et ces élégants qui semblent s'ennuyer au bord d'un gouffre qu'ils pressentent..
Modiano use aussi de la répétition, mais pas comme
Duras. Lui reprend certaines phrases, réflexions, à intervalles variables, ce qui donne l'impression de revenir aux mêmes lieuxs et moments, d'où cette "ronde" (de nuit). Bien vu ce titre.
Modiano crée ce récit comme s'il suivait en tournant l'intérieur d' un entonnoir : à la fin on en apprend davantage sur les personnages et l'intrigue.. et c'est la chute.
Une manière à la fois succincte et précise de décrire les lieux, version courte de la manière de décrire dans
la Modification de
Michel Butor (paru 10 ans avant).
Un narrateur assez paumé qui dit "je" sans qu'on sache (et lui non plus) trop qui il est et d'où il vient (c'est le thème central de l'oeuvre de
Modiano apparemment) qui n'est pas sans lien avec le Meursault de l'Étranger de Camus. le narrateur convoque à la fin un nom pour son père et
c'est tout à fait étonnant !
Quand on connait un peu quelle a été la vie de
Patrick Modiano, ce roman devient plus intéressant car c'est déjà une quête de ce qu'ont fait ses parents - son père surtout - de leur(s) occupation(s) sous l'Occupation (
Modiano est né vers la fin de la guerre, n'a quasiment pas connu son père qui a eu des activités mystérieuses et lucratives..).
Non seulement
Modiano connait très bien Paris mais je pense qu'il s'est en plus documenté et son récit a une portée historique précieuse, comme si on vivait l'époque de l'intérieur. Il a nommé d'autres noms des personnages ayant réellement existé à cette période. La frontière entre réel et suppositions est comme la ligne de démarcation, plus ou moins poreuse.
" Qui sait ? Un maniaque s'intéressera peut-être, dans quelques années, à cette histoire. Il se penchera sur la "période trouble" que nous avons vécue, consultera de vieux journaux. Il aura beaucoup de mal à définir ma personnalité."
Plutôt réussi comme récit mais l'ambiance (de l'époque) y est vraiment moche.. ce qui m'empêche de mettre au moins 4 étoiles.. Je vais pourtant lire le suivant (
les boulevards de ceinture) pour découvrir, cette fois nouvelle, comment il s'y prend pour évoquer cette histoire et cette Histoire, comment il construit un récit à partir de fragments du temps de son enfance..