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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lorsque le Comité Nobel a décerné son prix à la nouvelliste canadienne, elle avait 82 ans et venait d'annoncer qu'elle arrêtait d'écrire. Je suppose que l'ironie de la situation n'a pas échappé à Alice Munro. Comme elle n'avait pas échappé à Doris Lessing sept ans plus tôt, pas spécialement réjouie de se voir attribuer le prestigieux prix. Trop tard, avait-elle lancé aux journalistes qu'elle avait découvert amassés devant son domicile alors qu'elle revenait du marché, son cabas sous le bras, une chance qu'elle ne fût pas déjà morte.
L'ironie, l'auto-dérision sont au moins une chose que ces deux écrivaines d'exception ont en commun. Alors que le Comité Nobel célèbre en elle « la souveraine de l'art de la nouvelle contemporaine », Munro déclare que si elle a choisi d'écrire des nouvelles, c'est parce que le format court était le seul format qui lui parût conciliable avec les contraintes de la vie de famille… Elle a d'ailleurs relativement peu écrit, eu égard à la longévité de sa « carrière » : quatorze recueils en quarante-cinq ans.
Mais que ce prix fût sans doute arrivé trop tard n'implique pas qu'il soit inutile. Bien au contraire. En récompensant une femme infiniment discrète, fuyant de tous temps les interviews et les festivals, car s'afficher en public comme écrivain « serait une vaste fumisterie », l'Académie suédoise a non seulement mis à l'honneur un genre littéraire généralement considéré comme mineur, la nouvelle, mais aussi mis en lumière une oeuvre qui, sans cela, serait probablement restée assez largement méconnue en dehors de son pays, le Canada. Certes, de grands auteurs nord-américains comme Jonathan Franzen et Joyce Carol Oates enjoignaient depuis des années au public de lire Munro, mais il faut reconnaître qu'ils n'était pas légion, ceux qui la lisaient.
Avant l'attribution du Nobel, je n'avais jamais entendu parler d'elle. Et même après, je ne me suis pas précipitée sur son oeuvre. Je me la figurais comme une petite dame parlant d'une petite voix de petites choses, je m'attendais donc à m'ennuyer un peu. Lorsque j'ai ouvert pour la première fois son dernier recueil, Trop de bonheur, et lorsque j'ai entamé la lecture de la première nouvelle, Dimensions, j'ai aussitôt ressenti une fascination proche de l'hypnose. C'était environ un an après le Nobel, à l'automne 2014, et je me souviens exactement du lieu où je me trouvais, ici à Gordes, loin de Paris où je vivais à l'époque, dans cette pièce-ci qui tient lieu de salon, dans ce fauteuil en velours rouge face à la cheminée où je m'installe souvent pour lire en fin de journée. J'ai lu la nouvelle d'une traite, et je me suis dit que même si Alice Munro n'avait écrit pour toute oeuvre que cette unique histoire, elle aurait amplement mérité le prix Nobel. Je me suis également demandée s'il était possible que les neuf autres nouvelles de ce recueil, et aussi celles de ses précédents recueils, puissent atteindre une telle intensité. Maintenant que j'ai lu pratiquement toute son oeuvre, la réponse est oui, très souvent.

Munro va à l'essentiel, chacun de ses mots est pesé au trébuchet. Ses histoires requièrent une lecture très attentive, non parce qu'elles parleraient de choses compliquées. Non parce que les phrases qui les composent seraient méandreuses ou digressives comme chez Proust ou Simon. Mais parce qu'elles disent un maximum de choses en un minimum de mots. Munro, c'est la puissance de la concision. Ce qui ne veut pas dire que son écriture est sèche et plate, absolument pas. Qu'en en juge dans cet extrait tiré de Fiction :

« Toute la sagacité de son ivresse, toute sa jubilation expulsées d'elle comme un vomi. A part ça, elle n'avait pas la gueule de bois. Elle pouvait se vautrer dans des lacs d'alcool, semblait-il, et se réveiller aussi sèche, aussi aplatie, qu'une plaque de carton. »

Dans ses dernières oeuvres, surtout, elle touche au plus près à la quintessence du langage. Quand je relis La recherche du temps perdu, je saute allègrement des passages qui m'intéressent moins sans perdre le fil de l'histoire. Il m'est même arrivé de relire l'oeuvre de Proust à l'envers, en commençant par la fin, par le temps retrouvé. Chez Munro, une lecture « à sauts et à gambades » est impossible. Sauter une phrase ou y être peu attentif a de grandes chances de vous faire passer à côté d'un élément essentiel pour la compréhension de l'histoire. Ce d'autant plus que les éléments essentiels prennent souvent l'aspect le plus anodin.

Ainsi dans Visage, le narrateur, affligé d'une large tache de naissance violacée qui lui défigure la moitié du visage, nous raconte comment sa mère, « une sainte », s'y prenait pour le préserver :
« « Cela rend le blanc de cet oeil-là d'autant plus joli et clair », fut l'une des sottises excusables que disait ma mère dans l'espoir de m'amener à m'admirer moi-même. Protégé comme je l'étais, j'avais tendance à le croire. »
Ce « protégé comme je l'étais » nous paraît parfaitement anodin. Rien de plus naturel, en effet, à ce qu'une mère dont l'enfant a le visage défiguré fasse en sorte de le protéger de l'hostilité du monde extérieur. Sauf que nous découvrirons dans la suite de l'histoire ce que recouvre effectivement cette « protection ». Car avec Munro, les choses sont rarement celles que l'on croit. Elles en cachent souvent une autre, qui en cache une autre, qui en cache…etc…

Dans Radicaux libres, nous faisons connaissance avec Nita, dont nous comprenons qu'elle vit seule et qu'elle est déprimée. Nous apprenons dès la deuxième page qu'elle vient de perdre son mari d'une façon aussi inattendue que soudaine :
« Elle n'eut pas le temps de se demander pourquoi il était en retard. Il était mort et s'était effondré contre la pancarte qui annonçait une promotion sur les tondeuses à gazon devant la porte du magasin. »
Apprenant que le mari décédé était âgé, bien plus âgé que sa femme, nous croyons avoir affaire à un récit de deuil difficile, de chagrin inexpiable et de solitude insondable, certes, mais qui s'inscrit dans l'ordre des choses. Sauf que l'ordre des choses n'est pas celui que nous croyons. Distillant ses informations au compte-goutte, Munro va nous conter une tout autre histoire, en faisant surgir au moment où on s'y attend le moins l'imprévu sous les traits d'un inquiétant jeune homme.

L'imprévu est également au coeur de Dimensions, une nouvelle qui porte à son sommet l'art de conjuguer le plus grand mystère à des révélations savamment dosées. La nouvelle s'ouvre sur Doree, qui se rend au prix d'un trajet très long et très fatigant dans une « institution » un dimanche à neuf heures du matin. Dans le paragraphe suivant, nous apprenons qu'elle est femme de ménage dans un hôtel, un travail ingrat et éreintant qu'elle aime précisément pour cela. Intrigués, nous sommes. Qui aime faire un travail ingrat et éreintant, dont il est précisé qu'il comporte « des tâches répugnantes »?
Parce qu'il « occupait ses pensées jusqu'à un certain point et lui causait une telle fatigue qu'elle parvenait à dormir la nuit ».
Dans le paragraphe suivant, nous comprenons qu'il lui est arrivé quelque chose (un événement imprévu), et que ce quelque chose fut suffisamment notable pour qu'elle ait sa photo dans les journaux, une photo prise avec ses « trois enfants, le nourrisson, Dimitri, dans ses bras, et Barbara Ann et Sasha de part et d'autre, regard tourné ves l'objectif. » Nous apprenons dans la foulée qu'elle a changé d'apparence depuis la photo, et qu'elle se fait désormais appeler par son second prénom : Fleur.
En quatre petits paragraphes et en moins de deux pages, nous voici ferrés et les questions se bousculent. Qu'a donc fait cette femme pour se retrouver reléguée dans un boulot dévalorisant? Pourquoi cette longue et éreintante expédition lors de son seul et unique jour de congé? Où sont ses enfants? Pourquoi ne veut-elle pas qu'on la reconnaisse?
Nous découvrons peu à peu les éléments, l'enchaînement de circonstances qui ont mené au drame, drame que l'on peut qualifier, après coup, d'inéluctable. Inéluctable puisque ce qui était seulement une possibilité parmi des centaines d'autres est effectivement advenu.

L'imprévu, c'est par définition un événement qui n'était pas prévu. Mais l'imprévu, ce n'est pas nécessairement ce qui n'était pas prévisible. Par tâtonnements successifs, grâce à une subtile construction faite d'allers-retours entre le passé et le présent, grâce, surtout, à une connaissance très fine des mécanismes à l'oeuvre dans les conduites humaines, Munro nous montre la succession de décisions ou de non-choix, les ramifications que les personnages ont empruntées mais qu'ils auraient pu ne pas prendre, l'enchaînement de circonstances fortuites qui les mènent inéluctablement au drame. Et c'est ainsi qu'elle réussit cette chose surprenante, paradoxale, que résume joliment la quatrième de couverture : La célébration, dans chacune de ses histoires, du mariage de l'inattendu et de l'inexorable.
J'ai dit Elle nous montre. C'est une formule trop crue ou trop simple pour qualifier l'écriture de Munro. Elle ne montre pas, elle dévoile peu à peu. Ce dévoilement n'est jamais total. Aucune explication définitive n'est apportée à des comportements dont les tenants et les aboutissants restent profondément mystérieux.

« C'est la profondeur de ce mystère, alliée à la limpidité du style, qui font la puissance de cette oeuvre ».

Florence Noiville
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J'ai enfin lu Alice Munro !

Et ça a immédiatement matché entre nous ! À tel point que j'ai couru à la librairie Arthaud pour acheter 2 autres recueils d'elle alors que je n'avais lu que les premières pages de la première nouvelle.

Alice Munro est vraiment une nouvelliste de génie (selon Wikipedia, elle n'a écrit qu'un seul roman) ! Elle arrive à instiller du suspens dans chacune de ses nouvelles alors que les personnages (sauf peut-être dans le premier texte de ce recueil) ne font rien d'exceptionnel.

Chacune des nouvelles de "Trop de bonheur" a la force d'un roman et Alice Munro manie l'art de la phrase juste qui fait mouche ! Par exemple, dans la première nouvelle, "Dimensions", elle décrit le mécanisme d'une relation toxique en une économie de phrases qui en disent bien plus long qu'un discours :

P21-22 : Après quoi elle fit plus attention à ce qu'elle disait. Elle vit qu'il y avait des choses auxquelles elle était habituée qu'une autre personne pouvait ne pas comprendre.

P23 : Cela empira peu à peu. Pas d'interdiction directe, mais un surcroît de critiques.

Voilà ! Alice Munro dit en quatre phrases ce qu'une personne victime de manipulation arrive difficilement à exprimer.

En plus, Aline Munro est très drôle quand elle fait preuve de dérision envers elle-même... comme dans la nouvelle intitulée "Fiction" :

P69-70 : Un recueil de nouvelles. Pas un roman. Voilà qui est déjà une déception. L'autorité du livre en paraît diminuée ; cela fait passer l'auteur pour quelqu'un qui s'attarde à l'entrée de la littérature, au lieu d'être assurément installé à l'intérieur.

À croire qu'elle lit dans nos pensées françaises ! MDR

Certains fâcheux disent qu'Alice Munro a eu le Nobel parce que l'académie suédoise ne voulait pas le donner à Philip Roth... Et bien je ne suis pas d'accord !
J'adore Philip Roth pourtant je me sens peu concernée par ses histoires mais il me fait découvrir un monde que je ne connais pas.
En revanche, ce n'est pas le cas des nouvelles d'Alice Munro. Elle parle de choses de tous les jours qui font surgir des impressions de souvenirs, un peu comme la madeleine de Proust ! Ce sont des histoires universelles dans lesquelles la plupart des lecteurs.trices peuvent s'identifier.

Plus jeune, je ne n'aurais certainement pas apprécié les nouvelles d'Alice Munro mais aujourd'hui c'est un de mes plus gros coup de coeur de lectrice !

"Trop de bonheur" d'Alice Munro
Traduit par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
Éditions de l'Olivier (Bibliothèque de l'Olivier)
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Le titre est trompeur. Il est même plutôt faux. Les personnages de Alice Munro n'ont pas « trop de bonheur » mais le recherche plutôt – sans le trouver. Ce sont des femmes généralement. Mais elles compensent leurs manques par quantité de choses autres que du bonheur, et c'est sans doute cela qui nous les rend aussi captivantes.

Dans Fiction, qui est la nouvelle que je préfère, Joyce vit dans une belle maison en bois, au coeur d'une vraie forêt de pins Douglas. Jon, son mari, restaure et fabrique du mobilier en bois, tandis que Joyce est professeur de musique. « Jon et Joyce s'étaient connus au lycée dans une ville industrielle de l'Ontario. Joyce avait le deuxième QI le plus élevé de leur classe et Jon le plus élevé du bahut et probablement de la ville. » Cela ne les empêcha pas de partir à la découverte du monde, puis de se former chacun à un métier qui n'était pas intellectuel. Tout va donc bien dans la vie de Joyce. Jusqu'à l'arrivée de Edie. Edie est une jeune fille qui a décidé d'apprendre l'ébénisterie. Et qui devient donc l'apprentie de Jon. Apparemment tout sépare Edie de Joyce. Ce n'est pas qu'elle est réellement bête, mais elle a des idées très arrêtées sur tout un tas de choses. Elle dispose cependant d'une grande qualité aux yeux de Jon : elle n'est pas bavarde.
Peu à peu Edie intègre la vie de Jon et Joyce comme s'incorporent les oeufs en neige dans un gâteau. Et Jon se met à parler comme elle. de nouveaux mots apparaissent dans sa bouche : « menacée », « pinard », « fragile » : des mots qu'il n'aurait jamais utilisés jusque là.
« Elle aurait dû comprendre, et à ce moment précis, même si lui était encore bien loin de le savoir, qu'il était en train de tomber amoureux.
En train de tomber. Cela suggère une certaine durée, subreptice. Mais on peut l'envisager plutôt comme une accélération, l'instant ou la seconde de la chute. Jon n'est pas amoureux d'Edie. Paf. Maintenant il l'est.(…) Il avait passé les sombres mois d'hiver cloîtré dans son atelier, exposé aux émanations pleines d'assurance d'Edie. C'est comme tomber malade à cause d'une ventilation défectueuse. »

Edie a supplanté Joyce dans le coeur de Jon, et naturellement elle vient s'installer avec Jon dans la belle maison de bois, avec son enfant. Les seuls bons moments que passent Joyce sont désormais ceux où elle fait travailler l'enfant d'Edie en musique, et la ramène ensuite chez elle en voiture, la cuisinant au passage pour essayer de savoir comment ça se passe entre sa mère et son ex-compagnon.

Dans la seconde partie, on est tout de suite en face d'une Joyce nouvelle, mariée à un certain Matt, neuropsychologue et violoniste amateur. On les voit aux prises avec la grande fête d'anniversaire de Matt. Tout a l'air d'aller pour le mieux pour Joyce, qui règne en maîtresse de maison sur la famille de son conjoint et ses nombreux descendants. Jusqu'à ce qu'un petit incident gâche toute la fête de Joyce. Une certaine Christie se moque d'un compositeur, qui doit être probablement Buxtehude. Et cela suffit à déstabiliser Joyce : « L'espace d'un instant, elle ne sait plus quoi faire ni où aller ».

En discutant avec son mari, elle apprend que la fameuse Christie à l'air boudeur est écrivain. Ou plutôt qu'elle vient de faire paraître son premier livre, Comment faire pour vivre. Un titre que Joyce trouve stupide. Qu'elle achète néanmoins pour en savoir plus. C'est un recueil de nouvelles. Mais lorsqu'elle va tomber sur le titre Kindertotenlider (ou Chants sur la mort des enfants) et lire les premières lignes, « Elle habitait avec sa mère, une maison entre les montagnes et l'océan », Joyce va réaliser qui se cache en fait derrière le personnage de l'écrivain Christie ….

Voilà typiquement comme Alice Munro nous décrit les tourments de l'âme humaine, et notamment de celle des femmes. Elle n'a pas son pareil pour débusquer tout ce que l'on tente de cacher à ses proches et lever les masques que l'on emprunte dans la vie de tous les jours.

Certaines de ses nouvelles font froid dans le dos, comme dans Jeu d'enfant qui décrit les relations très ambiguës entre une petite fille normale, Charlene, sa meilleure amie de colonie, Marlene, et Verna, une petite fille de leur âge, handicapée mentale. Des relations très cruelles.

Enfin dans Trop de bonheur, qui donne son titre au recueil, l'auteur canadienne brosse le portrait d'une mathématicienne de haut vol, doublée d'une romancière, russe de nationalité, à la sortie de la Commune de Paris. Une nouvelle aux accents très tchékhoviens.

Avec beaucoup de sensibilité pour l'âme humaine, et une écriture à la pointe très acérée, Alice Munro campe des personnages dont on garde un souvenir précis bien après avoir refermé le recueil.
Prix Nobel de Littérature, elle mérite vraiment d'être lue en France pour son talent avéré – les nouvelles ne sont pas un genre mineur, qu'on se le dise !

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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Il m'est arrivé avec ce livre ce que tout lecteur honnête va avouer avoir vécu au moins une fois : que le début d'un livre déçoit ou ennuie et qu'on l'abandonne. Et que , au bout d'un temps variable, on reprend le livre et qu'il s'avère un coup de coeur ou une claque.
Ce recueil de nouvelles comprend dix histoires, racontées par la plume brillante d'Alice Munro (qui lui a valu un Nobel de littérature en 2013). Elles sont très différentes mais ont un point commun qui est d'ailleurs très justement saisi sur la quatrième couverture par le chroniqueur du Nouvel Observateur : « le mariage de l'inattendu et de l'inexorable ». Et une fois qu'on a saisi ce point c'est magique et monumental.
Ce sont des histoires qui surprennent des protagonistes pris dans une situation qu'on perçoit comme
« inexorable ». La fin est connue, impossible à éviter ou clairement dessinée. Sur ce fond va surgir un évènement qui, sans changer le coté inexorable, va modifier le ressenti, la perception, le « goût » qui reste à la fin.
Finalement c'est tout ce que c'est une vie : un mélange d'inexorable et d'inattendu. Et avoir réussi à saisir cela et le dire de dix manières différentes dans des nouvelles d'une vingtaine de pages chacune me parait un exploit pour lequel les qualificatifs me manquent.
Un mot aussi pour la traduction qui ne gâche rien, il n'y a pas une seule fausse note.
Un conseil quand même:ne commencez pas avec la première ou au moins ne vous arrêtez pas à la première.
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C'est avec plaisir que j'ai fais la lecture de ce recueil de nouvelles, elles sont toutes sans lien entre elles et très différentes . La psychologie des personnages est fine, les personnages sont divers et ont comme point commun la quête du bonheur. L'auteur sait nous captiver et nous emmener là où elle veut : meurtre, infanticide, accident… Autant d'obstacles au bonheur si difficile à débusquer. Des drames, des bonheurs , vérités cachées, peur du temps qui passe, des petits drames qui parsèment la vie de tout à chacun et qui ne laisseront pas le lecteur indifférent.

J'ai adoré suivre les destins de ces femmes qui n'ont pas été épargnées par la vie jusqu'au jour où leur destin bascule, le hasard se charge de changer la donne et de les mener vers le bonheur. C'est parfois très dur, parfois tragique, parfois violent mais écrit avec justesse et finesse.

Mais le titre est trompeur le bonheur n'est pas à chaque pages.

VERDICT

Si vous êtes déprimés ou tristes passez votre chemin ce livre n'est pas indiqué pour vous ou alors attendez d'aller mieux. Si vous aimez les destins de femmes, les destins qui se croisent ce livre est pour vous.
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« Il y a quelque chose en tout cas, dans le fait d'avoir traversé cette journée sans qu'elle soit un désastre complet. » (123)

Alice Munro est un peu comme une grand-mère à la Agatha Christie, elle part à la rencontre des âges de la vie à travers ses nouvelles, accordant la même bienveillance à l'enfant qu'à la personne en fin de vie. Mais si on lit, détendue, croyant suivre un fil romanesque qui se déroule en toute quiétude, le bateau tangue pourtant, d'abord imperceptiblement, puis franchement. Les personnages font de leur mieux, la lectrice fait de son mieux, mais le malaise s'installe, les situations glissent, nous échappent, alors que rien ne le laissait présager. L'invraisemblable, le drame, sont sous nos yeux alors même que le monde alentour n'a pas changé.

Alice Munro écrit au-delà de toute morale. Ni bien, ni mal, juste l'interaction entre des mondes intérieurs et la vie sociale. Elle se situe habilement à ce point de rencontre. Ce qui donne à chaque nouvelle sa dynamique singulière. Les kimonos, la rhubarbe et les chatouilles peuvent s'inviter dans différentes histoires sans en étioler la fraîcheur. À l'aise, elle manie le temps et l'espace comme des cubes.

« Elle lisait aussi des romans modernes. Toujours des romans. Elle détestait entendre le mot « évasion » appliqué à la fiction. Elle aurait pu soutenir, et pas seulement pour rire, que c'était la vraie vie qui était l'évasion. » (131)

Toujours un immense plaisir de lecture, la joie de découvrir des mots qui définissent certaines expériences de nos vies, l'envie d'y revenir, plus tard…
Lien : http://versautrechose.fr/blo..
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10 nouvelles, 315 pages. Alice Munro est l'écrivain de l'économie, du mot juste, de la phrase où tout fait sens, sans rien de superflu. Parce que dans chacun de ses textes, elle résume une vie. Et rien ne manque. Enfin, rien d'essentiel. Une situation, quelques événements disent tout. Rares sont les écrivains qui maîtrisent à ce point l'art de dire énormément en peu de mots. Et de toucher au coeur des êtres, à l'endroit le plus secret et le plus vital. Sans pathos, sans jugement.

Je ne vais pas faire la synthèse de ces histoires, ce serait de toute façon sans intérêt sans l'écriture et l'extraordinaire plume lapidaire d'Alice Munro. Peut être évoquer la dernière nouvelle du recueil qui lui donne son titre. A cause d'une certaine originalité, qui frappe. En effet dans ce récit elle quitte son Canada, pour s'attacher à la vie d'une personne réelle, Sofia Kovalevskaïa, une mathématicienne russe, qui fut aussi romancière, et qui vécut dans la deuxième moitié du XIXe siècle. C'est étrange, mais dans ce récit à priori le plus éloigné d'elle (en ce qui concerne le temps et l'espace) j'ai presque eu la sensation de lire le texte le plus personnel de l'auteur. le choix du personnage, ce que fut sa vie, et la vie des femmes à cette époque, en disent finalement pas mal sur Alice Munro, ses préoccupations et questionnements. Alors que ses textes sont caractérisés par une sorte de détachement, qu'ils laissent le lecteur avec les personnages, et que pour cela l'auteur se fait discrète, s'efface, là j'ai eu le sentiment de l'entrapercevoir d'avantage. En train de regarder Sofia, avec nous qui la lisons. C'est peut être le texte d'elle que je préfère.
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Je comprends pourquoi elle a eu le prix Nobel...
"L'écriture d'Alice Munro, au rythme lancinant, profond comme le blues et si sobre pourtant. Une écriture qui travaille l'émotion et l'intelligence en même temps. Au plus près du secret de toute vie. Dans une interrogation inlassable." (Le Magazine littéraire)
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De la belle et grande littérature à travers un genre un peu sous-estimé, et pourtant très exigeant, celui de la nouvelle. Des histoires qui ne peuvent laisser indifférentes, révélant chacune à leur manière les multiples méandres de l'âme humaine, la complexité profonde de l'être humain, des parcours de vie atypique, aussi. A découvrir absolument.
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Doree s'est mariée très jeune, avec un des aides-soignants qui ont veillé sur sa mère avant qu'elle ne meure. Lloyd a des idées très arrêtées et n'entend pas que Doree agisse ou pense à leur encontre. La jeune femme se croit satisfaite de sa vie, mais un jour, une dispute la pousse à se réfugier chez une voisine. Lorsqu'elle retourne chez elle, le lendemain matin, ses trois jeunes enfants sont morts, tués par son époux. C'est ensuite que l'histoire commence. Doree parviendra-t-elle à se reconstruire après ce drame ?
Les nouvelles d'Alice Munro nous offrent des tranches de vie de femmes et quelques fois d'hommes pour beaucoup ordinaires, ou dont les infirmités, difficiles à vivre, restent tout compte fait bénignes, telles une tâche de naissance d'une dimension excessive ou un bec de lièvre. L'auteur nous narre les aléas de la vie, ceux qui parfois tournent à la catastrophe et mèneraient au suicide maints héros de romans ; ceux qui, dans la vraie vie, entraînent la plupart d'entre nous dans les gouffres du désespoir puis les en laissent ressortir, marqués, mais vivants et aptes à continuer.
Il en est de même pour les personnages qu'Alice Munro dépeint. Ils pourraient exister, car leurs problèmes sont ceux des gens réels et leurs solutions, les mêmes. Cette véracité un peu mélancolique est peut-être ce qui a plu au jury du prix Nobel de littérature de 2013, qui a choisi de récompenser l'oeuvre de l'écrivaine canadienne.
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