J'ai découvert celui que certains appellent le « Rimbaud japonais » par hasard, lors d'une escapade à Bécherel la Cité du Livre.
Nakahara Chûya fut sans conteste un grand spécialiste de l'enfant terrible de la poésie française du 19e siècle, car il en traduisit les
poèmes et une partie de sa correspondance avec
Verlaine. Même précocité intellectuelle (Chûya commence à composer des tanka dès l'âge de douze ans), même destin tragique (il est mort d'une méningite sept ans plus jeune que Rimbaud), et un regard sans concession sur le monde. le regard et le style rimbaldiens ont significativement modelé la poésie de Chûya, même s'il faut admettre qu'on ne lui retrouve pas l'acuité et la profondeur intellectuelles de Rimbaud.
Avant cette empreinte déterminante vinrent les influences dadaïstes, et elles sont flagrantes dans le premier recueil de
poèmes (« Chansons d'une chèvre », 山羊の歌) par lequel débute l'ouvrage. Il en émane un refus des principes et des règles, une joyeuse liberté. Dans le second recueil cependant (« Chansons des jours d'antan », 在りし日のうた), le ton est beaucoup plus sombre car il est dédié à l'âme de son enfant mort Fumiya. La disparition de son fils à un très jeune âge provoqua chez Chûya une dépression, et le spectre de son fils survole nombre des
poèmes de cette période. Suivent d'autres
poèmes publiés de son vivant, ainsi que des
poèmes inédits.
L'ouvrage est joliment édité, imprimé sur papier de qualité, rehaussé de photographies de l'auteur et de ses proches, et même de quelques dessins de sa main. La poésie de Chûya est assez simple, ce qui explique sans doute qu'elle plaît beaucoup à la jeunesse japonaise. Je vous livre ici les premiers vers de deux
poèmes que j'ai bien appréciés, « Été » et « Les Os » :
« Presque crachant le sang cette mélodie cette langueur
Aujourd'hui encore le soleil brille sur les champs, il brille sur les blés
Presque dormante cette tristesse, et là au plus haut des cieux
Presque crachant le sang cette mélancolie, cette langueur »
« Holà holà, ce sont mes os,
Déchirant cette chair infecte
Et pleine d'angoisse du temps que je vivais,
Voilà délavée par la pluie,
Et brusquement sortie, la pointe de mes os. »