« Depuis que j'écris ce livre, ils sont nombreux à avoir cassé leur pipe » constate Amaury Nauroy, jeune auteur français dont c'est le premier livre. Et quand il dit que seule compte « la connivence entre les vivants et les morts sans quoi toute vie devient irrespirable », les larmes viennent aux yeux du lecteur, en même temps que la reconnaissance.
Car c'est tout le propos, l'ambition et la valeur inestimable de ces « quelques proses » que de redonner vie à « un monde en train de sombrer. »
Quel monde en fait ?
Celui d'une certaine « Suisse intérieure ». Un univers souvent méconnu où gravitent C.F. Ramuz, Gustave Roud, Philippe Jaccottet et quelques autres sur lesquels a veillé l'éditeur Henry-Louis Mermod, le « Gallimard helvétique. »
Un soir d'orage (« c'est là que tout a commencé »), Amaury Nauroy, trempé jusqu'aux os, se trouve par hasard (mais le hasard existe-t-il ?) dans une réunion de notables lausannois invités à fêter Philippe Jaccottet. Le poète, déjà âgé vient de perdre sa soeur, mais il n'en parle pas. Au contraire, il plaide pour la lumière et la joie et « l'électrisant réconfort des petites illuminations quotidiennes. »
Amaury Nauroy, lui-même hanté par des tristesses personnelles, a dans sa poche son « gri-gri » : une carte postale de la Ronde de Nuit au centre de laquelle rayonne une étrange petite figure féminine, support de tous les rêves et de tous les possibles.
La joie poétique de Jaccottet et l'« humble petiote » du tableau de Rembrandt vont pousser Amaury Nauroy dans le TGV Lyria Paris –Lausanne, souvent, encore et encore (dix ans…), pour enquêter, rencontrer les témoins, lire, « prendre le pouls d'une tribu de poètes et d'artistes » , voir avec Jacques Chessex le cimetière de Ropraz où il sera enterré, constater que C.F. Ramuz écrivait face à une fenêtre protégée d'épais barreaux, et se plonger dans la lumière du lac.
Et le miracle est que la démarche d'Amaury Nauroy se révèle être bien autre chose qu'une enquête documentaire ou archivistique. le lecteur émerveillé comme « l'humble petiote » de la Ronde de Nuit assiste à la naissance d'un véritable écrivain, au style personnel, enjoué et non dénué d'humour, mélange de Proust, Cingria, Ramuz, voire Saint-Simon (peut-être), mais toujours humble, porté à la contemplation des choses minuscules (l'héritage du grand-père paysan), traversé de doutes et de luttes contre un certain sentiment d'imposture (« il me semblait tout à l'heure que jamais je n'arriverais au bout de mes phrases »).
Reste surtout la conviction qu'il faut écrire (et vivre) « contre le désastre du monde et contre sa propre mélancolie. »
Ces « Rondes de nuit » sont un véritable trésor et une inestimable quête. Puissent-elles bouleverser de nombreux lecteurs.
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Au seuil de ce livre, je repousse toute mélancolie. Tant que me sera accordée l'élémentaire satisfaction de me supporter moi-même, je ne jetterai pas mon bonheur en pâture au néant. Car si je reconnais qu'en déchirant ce qu'il faut bien nommer les apparences, la douleur comme une hache, ouvre un accès vers une autre réalité, je doute qu'il faille voir noir pour voir vrai. Lorsque nous sommes saisis d'enthousiasme, et donc d'émerveillement face à un paysage ou à la vie d'un homme - peu importe !- nous subissons aussi comme une initiation l'épreuve d'un réel « plus authentiquement réel. » Voilà ma conviction.