Susan Newham-Blake est une auteure sud-africaine, dont Pocket nous offre, en édition de poche, le premier titre traduit en français. On ne pas parler d'Afrique du Sud sans évoquer les problématiques inhérentes à la société et à l'histoire du pays. Si l'apartheid est censé appartenir au passé,
Nelson Mandela y a sacrifié quelque trente années de sa vie, la ségrégation raciale ne s'efface pas si facilement, les dominants acceptent rarement de se voir déposséder de leurs privilèges.
Susan Newham-Blake choisit de son côté de relier des fils entre les deux communautés, à travers l'histoire de vie de deux individus et leur statut de femmes victimes de négligences ou maltraitance, plutôt que d'en retracer toutes leurs différences.
Tout part en effet d'entretiens entre une psychologue, Ana, blanche, la quarantaine, célibataire autant que solitaire et Zuri, collégienne et scolarisée dans une école privée, noire, qui va sur ses quatorze ans. Si Zuri a un statut un peu particulier puisque fille adoptive d'une mère célibataire, et blanche de surcroît, elle vit dans un environnement totalement blanc, privilégié. Ana est la solution ultime pour Helen cette mère à bouts de solutions vis à vis d'une fille qui se coupe et dont elle n'arrive pas à comprendre les causes de son mal. Cette toute jeune fille est pour Ana un détonateur, le révélateur même de sa propre souffrance, qu'elle tente bien de dissimuler sous ses ablutions incessantes d'alcool. Et plus elle tire les fils de l'écheveau de cette jeune adolescente prise en conflit entre son identité sud-africaine et la blanchité qui compose son entourage afin de découvrir la source même de sa souffrance, plus ce sont ses propres sédiments de souffrance qui remontent à la surface. On découvre bien vite que ce n'est pas une simple question de couleur, de racisme, qui a poussé Zuri dans le cabinet de la psychologue, même si la problématique raciale est présente d'un bout à l'autre du livre.
Transfert de la psychologue sur la jeune Zuri, je ne prendrai pas le risque d'évoquer des concepts psychologiques qui ne sont pas de ma compétence, en tout cas la souffrance de Zuri trouve un écho dans la personnalité d'Ana, qui est déjà pas mal en vrac lorsqu'elle débute cette psychothérapie avec sa patiente. Et c'est bien ces échos, ces résonances du mal-être de l'une au mal-être de l'autre, et qui pourtant s'inscrivent en opposition, qui me semblait adroitement articulées. Et bien plus que de différences racistes, si un lien tenu se crée effectivement entre elles, c'est par ces non-dits qui jalonnent leur existence, et qui finissent par prendre le dessus. Contre toute attente, c'est un roman dont on peut saluer la concision, les longueurs inutiles ne font pas partie des défauts qu'on peut lui reprocher, il suffit parfois de n'en pas écrire trop, et c'est une qualité qui se fait rare. Point de chapitres interminables sur toutes les branches de la famille de l'une et de l'autre, de digressions sur les problématiques sociétales, qui pourtant, au vu du contexte, étaient légion.
Malgré les différences qui séparent Ana et Zuri, l'auteure a érigé une autre sorte de point commun qui relie des personnalités différentes, se servant même de ces différences pour embrouiller le jeu du dominant/dominé, redistribuer les cartes depuis l'histoire d'Ana, qui a grandi entre deux parents blancs, une femme noire exploitée jusqu'à la moelle, jusqu'à celle de Zuri, qui a grandi dans un milieu privilégié, qui ne se sent ni tout à fait noire et encore moins blanche. Leurs drames personnels les relient, faisant d'elles deux jeunes femmes abusées ou négligées, davantage d'ailleurs que la sud-africaine noire et la sud-africaine blanche. du boucan assourdissant de la capitale du pays, ou tous sont réunis dans une même cacophonie chaotique, et la violence d'un pays fortement ségrégationniste, ces deux voix se laissent entendre l'une à travers l'autre et cette union salvatrice laisse un espoir, faible mais réel, quant à une coexistence possible entre plusieurs sensibilités davantage que plusieurs peuples, les uns descendants des colons, les autres autochtones.
J'ai choisi ce titre parmi la sélection proposée par lecteurs.com, et je suis ravie d'avoir fait un bon choix : j'ai un coup de coeur pour cette histoire, ces destinées féminines qui se rencontrent fortuitement et influent l'une sur l'autre dans un sens constructif, bien au-dessus des contingences raciales, j'ai un coup de coeur pour cette couverture sobre et épurée, si révélatrice. Ce roman allie plusieurs thèmes, non seulement qui me tiennent à coeur, le féminisme, le racisme, la maltraitance, la négligence, la maternité, qui sont traités ensemble avec brio, évitant qu'un thème, aussi essentiel soit-il, je pense au ségrégationnisme sud-africain, prenne le pas sur tous les autres sujets.
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