Nous sommes en l'an de grâce 1749. Une expédition menée à des fins scientifiques par Erik Larsson, afin d'établir une cartographie de l'intérieur du continent sud-africain, de ses richesses zoologiques et de sa flore, disparaît corps et biens : le guide s'est suicidé, les porteurs hottentots se sont égaillés dans la nature, un raid boschiman a tout emporté des marchandises et des animaux ou presque, Erik Larsson s'est volatilisé; seule son épouse Elisabeth a survécu. Elle réapparaît en février 1751, et fait sa rentrée au Cap accompagnée par un esclave en fuite, Adam Mantoor, dont la chronique nous apprend qu'il est flagellé et étranglé un mois plus tard par un exécuteur des basses oeuvres. C'est par ces quelques données factuelles et semble-t-il réelles que s'ouvre le récit; ainsi l'auteur entreprend de conter ce que l'on ignore de ces deux années d'errements dans le Veld, mais que les mémoires de la rescapée aurait laissé entrevoir et deviner.
L'auteur nous plonge donc dans l'Afrique du Sud des colons, à la moitié du XVIIIème siècle, alors que ces derniers étaient cantonnés à la région du Cap et dissuadés par les autorités d'explorer l'intérieur du pays. Il s'agit d'un évident jeux de miroir avec l'Apartheid qui sévissait toujours à la parution du roman (1976). Cet homme et cette femme que tout oppose - préjugés raciaux, traumatismes des blessures et des humiliations endurées, vont accomplir l'inconcevable rapprochement. Les éléments déchaînés, les dangers du Veld, la souffrance endurée ralentissent leur progression certes, mais en s'imposant à eux, ils dépouillent ces oripeaux que les conventions humaines ont tressés, et les ramènent à leur conditions premières, tel le couple originel (les prénoms des personnages sont suffisamment évocateurs) en une montée des sentiments d'amour et dans la fusion des corps. Leur passion impossible et condamnée dès le début est une des plus belles histoires d'amour qu'il m'ait été donné de lire. La maîtrise d'
André Brink des ressorts de l'intrigue est magistrale ; la richesse des modes narratifs employés, l'entremêlement des flux de consciences des personnages, des réminiscences personnelles, tout est exposé sans véritable indication et nécessite la participation active du lecteur.
Hymne à la liberté, à la résistance face à l'oppression,
un Instant dans le vent peut fort bien se lire comme un roman d'aventures tant les péripéties et les souffrances endurées dans cette terre sud africaine, chère au coeur de l'auteur - sorte de monde en résumé, tant par la diversité de son climat, la richesse de ses paysages et de sa faune, sont nombreuses et passionnantes.
André Brink est un digne représentant de la littérature de son pays.