Encore une enquête intrigante et bien menée sur les terres de Bretagne ! Une belle histoire et plusieurs passages très émouvants. On peut presque entendre, au fil des pages, les cornemuses qui résonnent dans les plaines celtes. Comme toujours, le dosage entre mystère et qualité des personnages est parfait!
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— Au fait Gwenn, je te rappelle qu’Isabelle et William viennent dîner tout à l’heure.
— Ce samedi ! Ah non, impossible ! Tu sais très bien que j’ai une répétition avec le bagad pour le cinquantième anniversaire.
Soazic Rosmadec porta un regard mi-amusé, mi-autoritaire sur son époux.
— S’il s’était agi d’un de tes clients, tu aurais bien vite oublié ta répétition.
Gwenn Rosmadec tenta bien de jouer à l’agacer, mais il savait que son épouse avait raison.
— Écoute, je te propose une alternative : je vais à ma répétition, tu les reçois à l’apéritif et je vous rejoins pour dîner. Ça me semble correct non ?
Soazic haussa les épaules. La passion de son mari pour la cornemuse était une citadelle inexpugnable. Il lui arrivait parfois d’en ressentir un brin de jalousie. De fait, cela faisait maintenant deux ans qu’il s’y était mis pour réaliser un vieux rêve d’enfance ; et à présent qu’il avait réussi à maîtriser l’instrument, ce n’était plus que du bonheur.
Gwenn se saisit de la sacoche qui contenait sa précieuse cornemuse, son practice[ 1 ] d’entraînement et les partitions sélectionnées pour le concert du cinquantenaire et c’est le cœur léger qu’il s’engagea sur la route du manoir de Keristin, local officiel du bagad de Ste Marine.
Les maisonnettes de marins pêcheurs, blanches, coquettes et coiffées d’ardoises luisantes, le saluèrent, mais trop pressé d’arriver, il ne remarqua même pas leur sourire. Il quitta bientôt la route principale pour s’engager dans un chemin de terre qui descendait vers la mer.
Niché dans un creux boisé des rives de l’Odet, le manoir de Keristin arborait une façade à l’architecture étrange. À première vue, on ne pouvait s’empêcher de penser à ces maisons néo-médiévales qui parsèment les campagnes anglaises et les romans de Walter Scott. Une série de tourelles et de cheminées carrées s’élevaient vers le ciel où, le soir, la lune jouait à cache-cache derrière les pans de murs. En bas, de larges baies vitrées en forme d’ogives recueillaient la lumière tandis qu’aux étages, des fenêtres carrées aux rebords sculptés filtraient les rayons par de petits vitraux colorés de style flamand. Sur le côté droit, une tour, plus haute que les autres, était surmontée de créneaux protecteurs et d’un mat où flottait gaillardement le drapeau noir et blanc de la Bretagne.
Devant le bâtiment, une pelouse digne d’un golf écossais descendait paisiblement vers l’embouchure de la rivière où une petite plage abritait un embarcadère de bois. C’est là que les voiliers reconstitués (goélettes, thoniers, lougres et autres fleurons de la marine d’antan) attendaient patiemment leur chargement de touristes ou d’amoureux de la mer et des embruns.
Un peu à l’écart, au bord de la rivière, se dressaient les restes d’un pigeonnier du XVIe siècle dont une partie des murs de pierre avaient été remplacés par une couche de béton. Au sommet, une pyramide de verre et d’aluminium abritait les visiteurs curieux de gravir les marches intérieures de ce témoin du passé.
Gwenn poussa la lourde porte en chêne épais bardée de clous noirs énormes et pénétra dans un vestibule. Les vitraux verts coloraient étrangement les quelques meubles en marronnier sombre qui avaient été déposés là, sans doute parce qu’on n’avait pu leur trouver une autre place. Contre le mur, un vieux bureau, un ordinateur, un vase rempli de roses, des dossiers et des partitions et surtout une accorte dame qui s’adressa au visiteur en souriant :
— Bonjour Gwenn