Jamais je n'avais lu un Polar dont le point de départ était le meurtre d'un animal... Un groupe d'internautes, nommé Stop Hunting France, recherche une jeune femme accusée d'avoir tué un lion lors d'une partie de chasse. Un garde au parc national des Pyrénées est du lot. Il va tout faire pour la retrouver... J'avoue avoir été un peu dérouté dans un premier temps, puis vite embarqué par ce scénario surprenant, d'autant que les motifs de réflexion sur des sujets très actuels sont nombreux : la chasse en premier, notamment la chasse safari, la disparition accélérée de la faune sauvage, le pouvoir d'action – ou de nuisance – via internet, la responsabilité individuelle et le rôle de régulation que devraient avoir les États. On peut bien sûr se contenter de le lire comme un roman d'aventure, dans les paysages magnifiques des montagnes pyrénéennes au début et à la fin du roman, et dans le nord-ouest de Windhoek en Namibie, lors de la traque du lion.
Dès les premières pages est donné à voir un thriller sans nuance qui semble évoluer vers un dénouement prévisible. Mais ce serait sans compter sans la capacité de l'auteur à introduire de plus en plus de complexité. C'est un roman choral, la parole est donnée à plusieurs narrateurs : à Martin, garde national assermenté vite inquiétant, pour moi, dans ses certitudes ; son collègue Antoine, plus positif mais s'effaçant vite de l'intrigue ; Apolline, la chasseuse à l'arc en partance vers la Namibie pour sa chasse au lion, cadeau de son cher papa pour ses vingt ans ! On a ensuite la vision des évènements en Namibie avec la parole de Komuti, fils d'un éleveur Himba et même le ressenti de Charles… le lion poursuivi à la fois par Appoline et Komuti.
Martin est un anti-chasse viscéral, il passe son temps sur le terrain, à ruminer sur l'extinction des espèces, sur la crise climatique, sur la puissance des lobbies de la chasse et sur les faibles moyens dont il dispose au quotidien – l'auteur, ayant un passé professionnel dans ce domaine, en sait certainement beaucoup sur le sujet. de plus, lui et son collègue ne retrouvent aucune trace de Cannelito, dernier ours avec un peu de sang pyrénéen qui fréquentait la forêt. Alors, quand il trouve sur les réseaux sociaux une photo d'une jeune femme avec un arc devant la dépouille d'un lion, il décide de mener l'enquête et projette de la livrer en pâture à l'opinion publique dès qu'il aura retrouvé sa trace.
Dans la partie qui se déroule en Afrique, Komuti observe ces blancs venus de pays lointains pour la chasse aux trophées, leur mépris pour l'histoire et les coutumes de son pays. Komuti est en concurrence avec Apolline et l'organisateur de l'approche, un allemand nommé
Lutz, pour chasser ce lion qui, en anéantissant son troupeau de chèvres, a laissé sa famille sans ressources et sans statut social, lui interdisant tout espoir de se marier avec la belle Kariungurua.
Sont en présence deux attitudes parfaitement opposées et inconciliables avec le risque d'une explosion de violence. Martin est un écoanxieux, agissant seul, vite dépassé par ses convictions, Apolline cherche à plaire à son père, gamine usant d'anglicismes, profitant sans trop réfléchir de leur passion commune pour la chasse... et de l'argent de papa. Les deux sont dans des postures qui ne permettent pas d'accéder à des choses plus justes sauf à un moment très bref, lorsque Apolline entre en empathie avec Kariungurua, l'amoureuse de Komuti. le collier que celle-ci offre à Apolline marque un pont symbolique entre les deux cultures. L'avenir devrait se construire collectivement, dans le respect de la vie, sans ajouter de violence supplémentaire mais lorsque cela n'avance pas assez vite, des individus comme Martin se mobilisent pour le meilleur et pour le pire...
On sent beaucoup de travail pour écrire ce roman avec une envie d'en mettre assez pour convaincre les amateurs de rebondissements, d'action et de poursuites avec quelques soucis de vraisemblance. L'auteur connaît parfaitement la faune et la flore, il est allé sur place en Namibie se renseigner directement – deux pages de remerciements en attestent. Il nous donne beaucoup de détails sur cet arc de chasse à poulies digne des BD d'anticipation : le Mathews AVAIL, son tunnel de visée et ses flèches meurtrières aux pointes Striker Magnum, donnant de l'intensité à l'action, matière à des allers-retours avec la chasse ancestrale et ses arcs rudimentaires.
La fin amène son lot de surprise, un rééquilibrage dont on aurait pu douter au départ, je n'ai pas été déçu... le roman policier et thriller est un genre qui, à côté d'un rythme et d'un récit devant faire monter l'adrénaline, véhicule d'une manière ou d'une autre des idées… Celui-ci, en choisissant le thème de la chasse, de l'utilisation des réseaux internet pour agir, une sorte d'action directe – avec sa violence aveugle – face au manque d'action des États, aborde bien des problèmes de notre époque. Sujets passionnants et risqués, une audace qui n'est pas pour me déplaire et qui m'a conduit à ouvrir des sites proposant des séjours safari. Triste expérience des passions tristes que ces photos de trophées dévoilent…
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Chronique avec illustrations sur Bibliofeel (Photo personnelle de la couverture avec camélias et un titre de musique d'Afrique du sud). Lien direct ci-dessous...
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