Fragments d'une montagne: Les Alpes et leurs métamorphoses

Il y a eu l'anthropologue qui croit aux fauves (N.Martin), l'anthropologue qui mène l'enquête (N.Barley), voici l'anthropologue randonneur dans les Alpes, tant italiennes que françaises, suisses qu'autrichiennes ou encore slovènes. Et pour nous raconter la multiplicité et la complexité de ce territoire mythique, Nicolas Nova choisi le « fragment », retranscrivant en de petites textes ses notes de voyages, les discussions entendues dans un restaurant de montagne ou dans un train touristique, nous expliquant ce qu'est le « fauxklore, nous donnant la recette de nems savoyards ou rapportant encore une balade le long du bisse d'Ayent (qui figure sur nos billets de 100.-). Les anecdotes suivent de véritables réflexions sur les traditions alpines, les façons de dire la neige ou encore les glaciers qui fondent presque à vue d'oeil, avec des références à Elisée Reclus, Horace Bénédicte de Saussure, Samivel ou encore Ramuz ; le lecteur passant des petites pelotes de plastique régurgitées par les oiseaux et se déversant discrètement dans le lac Léman à une visite du musée alpin suisse de Berne. C'est un livre de la diversité, du relief, de l'imaginaire, de peurs et des fausses nouvelles qui appellent de vraies contemplations, des défis et de la réinvention, bénéfique parfois, néfaste dans d'autres circonstances. Un livre sérieux à l'esprit flâneur, idéal dans un sac à dos.

Ce journal, ce carnet de note, semble la version écrite du flux de photos Instagram de @nicolasnova. Comme si nous avions enfin accès au sous-texte de ces images. "Fragments d'une montagne" est un journal de réflexions, de choses vues, à travers les Alpes qui s'intéresse particulièrement aux métamorphoses et aux machineries, c'est-à-dire à ce qui se transforme et à ce qui est masqué à notre regard. D'une entrée l'autre, on voit se cristalliser une inquiétude sur le devenir de la montagne que Nova arpente en tout sens (en parlant assez peu de ses promenades elles-mêmes). Il nous parle plutôt des faux folklores, de ceux qui se réinventent et s'adaptent, de notre perception de la réalité et de ce qu'on ne voit pas de la machinerie montagne (des canons à neiges aux usages de l'hydroélectricité et autres technopaysages), des effets concrets du réchauffement... Nova semble lui-même aspiré dans ce qu'il décrit, "entre syndrome du dernier voyageur et tourisme tragique". Guettant ce qui s'ajuste, se transforme, se réinvente ou s'abandonne, Nicolas Nova nous invite à nous promener dans les Alpes avec lui, à regarder ce qu'il voit, ce qui l'amuse ou l'inquiète... et à déplacer notre regard avec lui. C'est largement suffisant pour prendre plaisir à ce petit voyage de 160 pages.