« L'audace d'espérer »
Par quel profond mystère, volonté ou hasard, le doigt du Destin se pose un jour sur l'épaule d'un être pour le désigner au pays comme l'élu attendu ? Ou s'agit-il d'une prédestination ? Il appartiendrait alors à la Divinité, si chère aux Américains empreints de religion, de rendre ses décrets. C'est la calme certitude du Révérend Otis Moss, promoteur du mouvement des Droits civiques aux côtés de
Martin Luther King : le métis hawaïen en proie au doute, au nom improbable de Barak Hussein Obama, est chargé de la mission de guider la nation hors du désert vers une Terre biblique promise.
« Chaque génération est limitée par ce qu'elle sait. Ceux d'entre nous qui ont participé au mouvement, les géants comme Martin, les lieutenants et les fantassins comme moi... nous sommes la génération Moïse. […] Nous sommes sortis d'Égypte, pour ainsi dire. Mais nous n'avons pas pu poursuivre notre voyage au-delà.
« Vous, Barack, vous faites partie de la génération Josué. Vous et vos semblables êtes responsables de la prochaine étape. Les gens comme moi peuvent vous offrir la sagesse de leur expérience. Peut-être saurez-vous tirer des leçons de nos erreurs. Mais, au bout du compte, c'est à vous, avec l'aide de Dieu, que revient la tâche de bâtir à votre tour sur nos propres fondations, et de mener notre peuple et ce pays hors du désert. » (p.174)
La conquête des sommets « Yes we can ! »
Plus prosaïquement, à la lecture de ses Mémoires, la réussite d'
Obama s'explique par la triple conjonction de facteurs de réussite, un alignement exceptionnel de planètes. Un, le moment de l'histoire des Etats-Unis ; deux la profonde volonté de changement du pays ; trois les qualités d'exception d'un être lancé dans l'action, tel « un boulet qui vient d'être éjecté d'un canon ».
Les années Bush sont marquées en effet par les années de guerre en Irak, le tsunami économique de la crise des subprimes et la mondialisation, autant de « changements qui bouleversaient le paysage urbain, non seulement à Chicago mais partout ailleurs aux États-Unis – le déclin de l'industrie, l'exode des populations blanches loin des centres-villes, la paupérisation de toute une frange de la population, silencieuse et isolée, tandis que l'apparition d'une nouvelle classe éduquée accentuait le phénomène de gentrification dans certains quartiers. » (p. 28). Sans compter la fatalité originelle des USA, la discrimination raciale qui divisait le pays et conduit jadis à la guerre de Sécession.
D'où la formidable volonté de changement : « Le pays était avide d'une nouvelle voix. Je ne serais jamais en meilleure position pour me lancer et, grâce à ma popularité auprès des jeunes, dans les minorités et chez les indépendants, j'étais en mesure d'élargir le champ au profit des démocrates dans toutes les élections à venir. »
L'élection présidentielle résulte de la rencontre entre un homme et un peuple. Et
Obama réunissait toutes les qualités pour réussir : un relatif manque d'expérience malgré son cursus honorum de sénateur le l'Illinois puis du Congrès, un homme neuf, jeune la quarantaine, loin des intrigues et des compromis de Washington.
Un Verbe chargé d'émotion et de sincérité portant à la communion « Et puis, au bout d'un moment, je trouve mon rythme. La foule cesse de rugir et écoute en silence[…] C'est une sensation physique, une émotion qui se propage comme une onde électrique entre vous et l'auditoire […] Vous avez touché au coeur d'un esprit collectif, vous avez atteint quelque chose que nous connaissons et désirons tous – le sentiment d'un lien qui abolit nos différences et les remplace par une immense vague de possibilités – et vous savez que ce moment, comme tous les moments les plus importants de la vie, est éphémère, et que bientôt le charme sera rompu. » (convention démocrate nationale).
Enfin la volonté et l'ambition de changer le monde « Mais l'idée de l'Amérique,
la promesse de l'Amérique : ça, je m'y accrochais avec une obstination qui me surprenait moi-même. « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux » – voilà l'Amérique telle que je la concevais. L'Amérique de la Déclaration d'indépendance, de Tocqueville, le pays de
Whitman et de Thoreau, où nul ne m'était inférieur ou supérieur ; l'Amérique des pionniers qui étaient partis vers l'Ouest en quête d'une vie meilleure ou des immigrés qui avaient débarqué à Ellis Island, poussés par la soif de la liberté. » (28)
Une longue et difficile odyssée, un incessant travail d'équipe le mèneront enfin jusqu'à la Terre promise : « Et puis, tout à coup, mon visage a surgi en gros plan à l'écran et ABC News a annoncé que j'allais devenir le quarante-quatrième président des États-Unis. Tout le monde a explosé de joie. […] Quoi que j'aie pu accomplir pour ma part, c'étaient eux, leur talent, leur travail acharné, leur perspicacité, leur ténacité, leur loyauté et leur générosité, ainsi que le dévouement de toute l'équipe, qui avaient rendu ce moment possible. »
Conclusion : se confronter à la réalité du monde
Une terre promise narre l'odyssée d'un obscur métis idéaliste né à Hawaï qui deviendra le premier président noir du pays. Un Rêve américain, à la portée de tous : « Ce livre est avant tout pour ces jeunes gens une invitation à refaire le monde une nouvelle fois, et à faire advenir, par le travail, la détermination et une bonne dose d'imagination, une Amérique qui se mettra enfin au diapason de tout ce qu'il y a de meilleur en nous. » (Préface)
Un plaidoyer pro domo certes - il lâche ses coups et donne, enfin, libre cours à ses colères et à ses indignations - qui révèle les grands traits de caractère d'un président habité par ses convictions, déterminé, volontaire, plein d'humour et porté à l'émotion ; mais, confronté à la réalité du monde, il s'oblige à composer, à limiter son action par « cynisme, calcul, et une forme de prudence déguisée en sagesse » (p. 816) ; au risque de décevoir comme le prévient
Vaclav Havel « Votre malédiction, c'est que les gens attendent beaucoup de vous. Car cela signifie qu'ils pourront être vite déçus. C'est une chose dont j'ai l'habitude. Je crains que cela ne soit un piège. »
Si
Barack OBAMA in fine s'est appliqué en pédagogue avec autant de scrupule aux détails de sa Terre promise, à ses Travaux et ses jours, nous le comprenons à présent et il le savait, c'est qu'il présente ici les pièces à conviction de sa présidence à la postérité et au jugement de l'Histoire.