Lire des essais ne me suffit pas. Il faut en plus que je me coltine des manuels. Je fais ça par intérêt et même par plaisir, ce qui devrait nous amener à convenir que j'ai des goûts discutables. Grand sociologue français,
Albert Ogien a beaucoup étudié et écrit sur les différentes formes que peut prendre la déviance, notamment les troubles psychiatriques ou la toxicomanie. Plus récemment, ses ouvrages sur l'activisme politique et la désobéissance civile (la plupart en collaboration avec la philosophe
Sandra Laugier) illustrent encore son attrait pour ce qui sort (et celles et ceux qui sortent) des sentiers battus.
Dans ce manuel donc, le tour de l'ensemble des grandes théories sociologique explicatives de la déviance est effectué.
Ogien présente les différents travaux significatifs en y ajoutant des observations qui pointent les limites de ceux-ci. C'est appréciable et cela limite l'effet « catalogue » de l'ouvrage. En creux, cela montre bien aussi la difficulté de la
sociologie de la déviance à produire des résultats qui font l'unanimité au sein de la communauté scientifique.
Ogien le reconnaît d'ailleurs explicitement lorsqu'il fait le bilan de ce tour d'horizon : « aucun argument décisif ne se dégage en faveur de l'une ou l'autre des théories exposées [dans cet ouvrage]. (...) On peut [toutefois] porter au crédit du travail sociologique la formulation de deux propositions. La première pose que l'organisation même de la vie sociale engendre et appelle la déviance ; la seconde affirme que définir de façon scientifique les caractéristiques universelles et invariantes de la criminalité et de la délinquance est une tâche à laquelle il faut renoncer. »
L'ouvrage est organisé autour de la distinction entre théories « causales » de la déviance et théories « compréhensives ». Là où les premières, envisageant une infraction comme un fait juridique, cherchent à déterminer « qui commet tel type d'infraction et pourquoi ? », les secondes y voient aussi un phénomène social, « un acte faisant l'objet d'un jugement qui met en lumière nos manières habituelles de concevoir la normalité ». Dès lors, les théories compréhensives vont interroger la notion même d'infraction et « rendre compte des procédures utilisées pour conférer un caractère déviant à un acte et en attribuer la responsabilité à son auteur ». Ainsi, la question posée par ce second type de théorie serait plutôt : « qu'est-ce que commettre une infraction ? ».
Cette dualité n'est évidemment pas définitive et absolue, mais présentée dans une visée pédagogique. Il s'agit d'expliciter les différentes théories accolées à chacune de ces perspectives sur la déviance. Cela étant dit, le texte est très technique et je dois confesser ne pas avoir réussi à en maîtriser toutes les subtilités. C'est d'ailleurs le reproche majeur que j'adresse à ce livre. J'attends d'un manuel, même destiné à des étudiant.es de second cycle universitaire, qu'il se mette au niveau de son public afin de lui transmettre l'étendue des connaissances sur un domaine donné. C'est trop peu le cas ici, et j'ai souvent eu le sentiment que l'auteur ajoutait de la confusion au lieu d'en retirer. Ou… on pourrait aussi envisager que je n'ai tout simplement pas les pré-requis nécessaires à la bonne compréhension de ce livre. Mais, de mon point de vue de lecteur, cela revient au même.