Il fallait les vivre, ces nuits sur le bitume glacial ; il fallait les tenir, ces longues journées à l’odeur de honte, sur ces trottoirs où chaque piéton passait sans un regard. Je n’en pouvais plus et cela avait été l’occasion pour moi d’un nouveau départ. J’étais loin d’imaginer qu’après mon installation, Soann aurait besoin de moi et d’un toit. Le cancer qui la rongeait en silence depuis tant d’années s’était réveillé sans appel. La rue, la prostitution, la drogue avaient eu raison de sa santé. La maladie avait pu s’installer et la détruire à petit feu. Rien ne l’avait arrêtée.
Je tenais face au manque avec l’espoir de rencontrer un homme. Seul un homme pouvait réparer ces cassures dues à ceux qui m’avaient détruite. Je tenais grâce à cet espoir. L’espoir de changer de vie.
J’espérais qu’un homme aimant et bienveillant me sauve de ce passé. Je voulais me voir comme dans un miroir dans les yeux de celui qui m’apporterait l’inverse de ce que j’avais connu. Je l’attendais depuis toujours ou presque.
Cela faisait maintenant quelques semaines que nous étions deux. Je me retrouvais donc là, dans cette chambre de bonne, avec mon amie, à attendre qu’un homme vienne me cueillir comme une fleur. C’était utopique d’y croire, mais cela me maintenait en vie, cela me donnait la force nécessaire pour avancer chaque jour.