Ce qui frappe d'abord dans cette « mordante chronique » étalée sur neuf décennies, et qui est avant tout une autobiographie, c'est la précision des noms, des lieux et des dates. Archiviste de lui-même, André Paul semble n'avoir rien oublié, depuis sa prime enfance pyrénéenne. La variété des personnes côtoyées, amis comme adversaires, se reflète dans l'index des personnalités citées qui aimeront ou appréhenderont de s'y retrouver. La table des matières a été elle aussi soignée et les intitulés des dix chapitres et plus encore des sous-chapitres ne manqueront pas d'aiguiser la curiosité et d'orienter la lecture au moment d'ouvrir le livre.
« Mordante », cette chronique l'est à plus d'un titre. L'un de ses fils rouges est sans doute la polémique constante que notre « impertinent bibliste » a entretenue avec les milieux qu'il a fréquentés et l'époque – les époques devrait-on dire – qu'il a traversées, depuis la Seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours, en passant par
Vatican II, mai 68, jusqu'à la Manif pour tous : polémiques intellectuelles, savantes, éthiques voire ethniques qui sont comme les parties immergées, les sous-textes des livres qu'il n'a cessé d'écrire comme auteur et de produire comme éditeur dans le monde catholique. Les conditions de production et de réception de ces livres et des thèses qu'ils défendent sont ici éclairées des plus vives lumières. Elles disent, comme le rappelle
Danièle Hervieu-Léger sur la 4ème de couverture, le prix qu'il faut payer pour qu'existe « la pensée critique au sein de l'Église romaine ». Cet éclairage ne pourra qu'inciter soit à découvrir soit à relire les textes les plus marquants d'André Paul .
Un autre fil rouge, qui trouve un écho particulier dans l'actualité, dans ce qu'on appelle désormais « la crise des abus » dans l'Eglise catholique, c'est l'inventaire qui est dressé des « maladies sexuelles de la foi ». Pour cet inventaire qui commence avec sa propre vie d'enfant puis de séminariste, André Paul n'adopte pas la position de surplomb à laquelle il cède parfois dans les disciplines qu'il maîtrise. Il décrit son propre cheminement, la rencontre de maîtres au comportement ambigu, revient sur la première grande crise du célibat sacerdotal des années 70 avec le mouvement contestataire de prêtres « Échanges et dialogues », provoquée selon lui par la mise en oeuvre de décisions conciliaires trop peu maîtrisées. Il évoque à partir de sa brève expérience de confesseur au coeur du VIème arrondissement de Paris l'état de misère sexuelle dans laquelle l'Église maintient ses fidèles, rappelle qu'
Humanae vitae, l'
encyclique sur la contraception publiée par
Paul VI a été rédigée par un certain
Karol Wojtyla… Il retrouve un certain mordant quand il dénonce les « détournements protégés » de « la règle sacrée du célibat » dont il a été le témoin, par une hiérarchie soucieuse de conserver coûte que coûte au sein de l'Église ses « meilleurs » éléments, l'hypocrisie et la duplicité dans ce domaine étant le prix à payer par le système catholique. Et ce prix est élevé. Là encore, les faits que rapportent André Paul inciteront à relire un de ses maîtres-livres, Éros enchaîné. Il y critique le procréationnisme pythagoricien introduit dans la philosophie chrétienne par
Clément d'Alexandrie, position étrangère selon lui à l'évangile et qui entend imposer que la procréation et non le plaisir soit le seul but autorisé de l'activité sexuelle, à laquelle celle-ci doit rester intrinsèquement ordonnée.
Revisiter l'histoire de l'Église catholique depuis la guerre n'incite pas notre auteur à un grand optimisme quant à l'avenir du catholicisme. de la Rive droite bourgeoise dont il a fait sa retraite, il théorise une Église de petits restes urbains encore privilégiés et tentés par un narcissisme mortifère. Mais, en conclusion, il ne renonce pas à espérer un nouveau prophétisme, « ni réformateur ni restaurateur », que le « souffle de l'Esprit » ferait renaître. Dont acte.
Ce livre percutant, itinéraire singulier d'un homme singulier, se lit comme un roman à cheval sur deux siècles. Inclassable, André Paul agacera autant qu'il intéressera « tradis » et « progressistes », déjouant en permanence le « prêt-à-penser » des uns et des autres, comme l'ont fait tous ses livres depuis le premier, L'évangile de l'Enfance selon saint Matthieu, publié en 1968 et toujours au catalogue des éditions du Cerf.
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