Jean Paulhan a 29 ans lorsqu'il publie son premier livre, « Les Hain-teny merinas » (1913), recueil de poésies populaires qu'il a traduites et étudiées au cours d'un séjour de deux ans à Madagascar.
Mais qu'est-ce exactement qu'un hain-teny, dont le sens littéral est « science des paroles » ? Il s'agit d'un texte proverbial et poétique (proche du pantoun malais), dont la signification est souvent obscure et le thème presque toujours amoureux. Généralement, les hain-teny se récitent en public, lors d'une veillée, et miment un débat amoureux entre un homme et une femme. Beaucoup de ces
poèmes sont très beaux, très étranges, même si, comme le montre
Paulhan, leur sens n'est pas toujours facile à démêler.
Et c'est en cela que ce livre me semble important : bien avant
Roman Jakobson,
Jean Paulhan montre en effet qu'en poésie, la fonction esthétique du langage prime sa fonction informative, au prix, parfois, d'une certaine obscurité ; il met également en évidence l'importance des phénomènes de répétition (assonances, anaphores) et de parallélisme, ce que Jokobson ne théorisera que plusieurs années plus tard ; enfin, en même temps que
Blaise Cendrars, il n'hésite pas à supprimer la ponctuation dans la version malgache des hain-teny.
Vu du point de vue des Malgaches, ce livre a aussi fait date. Il a permis de réhabiliter un fonds poétique national, que l'élite christianisée s'était mise à mépriser, à cause de son contenu un peu leste. C'est ainsi que les plus grands poètes malgaches, de
Jean-Joseph Rabearivelo à Flavien Ranaivo, ont fait du hain-teny l'une de leurs formes poétiques privilégiées.