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Un livre qui a le mérite d'être pédagogique, si tant est que le lecteur veuille bien consentir quelques efforts d'attention. Sans aucun étalage de connaissances ostentatoire et inutile, Jean Paulhan ne tombe ni dans la glorification facile et ébahie des peintres cubistes, ni dans l'éreintement systématique de ceux qui les dénigre. Il s'agit pour l'auteur de donner un cadre qui permette de s'exprimer sur l'art moderne, l'inscrire dans une histoire de l'art. Sans être particulièrement disert sur ce sujet, on sent que Jean Paulhan redoutait que la peinture moderne devienne une affaire réservée aux pseudo-spécialistes, éloignée du grand public. Il lui arrive de partir dans des digressions assez amusantes à lire sur son expérience personnelle ou sa vie domestique et lorsque qu'il évoque son voisinage, voici ce qu'il dit à propos d'un antiquaire : « Et de quoi vit-il ? Il m'a confié qu'il avait pour acheteurs d'autres antiquaires, qui, à leur tour, je suppose… C'est un étrange métier, qui semble vivre de son propre fonds. Imaginez-vous un boulanger qui n'aurait pour clients que d'autres boulangers ? Un littérateur qui ne trouverait, pour goûter ses livres, que d'autres littérateurs ? (on voit cela d'ici. Ce serait effrayant.) » On voit bien le principe, de mieux en mieux, j'ai l'impression… Bref, Paulhan veut redonner confiance à « l'homme de la rue » - ainsi qu'il se plaît à le nommer -, car la peinture moderne s'adresse peut-être plus à lui, à son expérience immédiate, qu'aux manipulateurs de concepts. Et voici donc l'axe principal sur lequel s'appuie cet essai : Tout peut se résumer à une question d'Espace et de Vérité. le cubisme a d'abord été une oeuvre de destruction et presque d'anéantissement. La destruction de l'espace tel qu'il était envisagé depuis la Renaissance, c'est-à-dire celui de la perspective, du trompe-l'oeil. C'est une remise en cause de la géométrie euclidienne - en particulier de la troisième dimension -, issue d'un choc face à l'étrangeté d'être au monde. La quête menée par le cubisme a donc été une quête de vérité de l'espace. Il n'est pas une irréalité mais la vérité. Il n'est plus une représentation mais une présentation. Paulhan parle d'un « espace avant les raisons ». Envisager la peinture moderne sous cet aspect me parait un excellent moyen de l'inscrire dans l'histoire de l'art, sans y mettre un point final. Je suis plus réservé sur certaines échappées métaphysiques qu'en déduit l'auteur et sur une autre notion qui lui tient à coeur, celle du mystère, de l'indicible, la notion du Sacré. Il rapproche l'art moderne du zen ou de la mystique qui tout en se passant de raisons, et même en s'enfonçant parfois dans une totale absurdité, arrivent à réconcilier l'homme et son monde. J'ai beaucoup songé à Walter Benjamin et la fameuse perte de l'aura qu'il développe dans « L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique ». Au fond les deux auteurs sont d'accord, la reproduction est un phénomène qui détruit le sacré. Parmi quelques dictons cités par Jean Paulhan et propres aux peintres modernes selon lui, on trouve : « Produire, plutôt que reproduire », il entend par là que la peinture classique avec ses perspectives savantes est une reproduction de la nature ou de quoi que ce soit d'autre (quelque chose de contaminé par les idées), alors que la peinture moderne libérée des conventions classiques est une véritable production. Ce mot de reproduction utilisé par Jean Paulhan n'a donc rien à voir avec la reproduction mécanisée dont parle Benjamin. Et pourtant il est étonnant qu'ils s'entendent sur le fait que la reproduction, dans toutes les acceptions du terme, dans toutes ses techniques, est un phénomène qui finit par détruire le caractère sacré ou l'aura. + Lire la suite |
Christine Ferret, conservatrice des bibliothèques, adjointe au service Art, département Littérature et art de la BnF, vous propose un programme de lectures autour des peintres qui ont influencé Henri Cartier-Bresson :
- « Piero della Francesca », Alessandro Angelini, Imprimerie nationale, 2014 https://c.bnf.fr/NLC
- « Paolo Uccello », Mauro Minardi, Imprimerie nationale, 2017 https://c.bnf.fr/NLF
- « Oeuvres complètes », tome 2, Jean Paulhan, Gallimard, 2009 https://c.bnf.fr/NLI
- « Photographie », Henri Cartier-Bresson, Delpire, 1989 https://c.bnf.fr/NLL
- « Elle, par bonheur, et toujours nue », Guy Goffette, Gallimard, 1998 https://c.bnf.fr/NLO
- « L'Atelier d'Alberto Giacometti », Jean Genet, l'Arbalète, 1992 https://c.bnf.fr/NLR
- « Lettres sur Cézanne », Rainer Maria Rilke, Seuil, 1991 https://c.bnf.fr/NLU
En savoir plus sur l'exposition Henri Cartier-Bresson. le Grand Jeu : https://www.bnf.fr/fr/agenda/henri-cartier-bresson