Ce n'est ni un roman, ni un essai historique… Mais qu'est-ce donc ?
Une pièce de théâtre ! Une pièce de théâtre très particulière ! Un soldat sur scène représente à lui seul tous les pauvres bougres italiens, extirpés jusque dans les campagnes les plus reculées pour aller affronter la mort. La pièce écrite en italien… Pardon ? Vous dites ? … En patois italien ? … Ah, dans des patois italiens issus de tout le royaume ? … Des paroles qui sonnent le napolitain, le sarde, le piémontais, et combien d'autres encore !
Cet acteur sur scène représente à lui seul tous les soldats connus, méconnus et inconnus d'Italie venus mourir pour la patrie ! La patrie, mais qu'est-ce donc pour un paysan du Frioul pour qui son « pays » s'arrête à la sortie de son village ? Qu'est-ce donc pour un Napolitain jamais auparavant sorti de sa ville ? C'est la tragédie de tous ces oubliés envoyés à la mort pour un pays dont ils ignorent presque tout tant leur univers se résume le plus souvent à la terre qu'ils labourent.
Loin d'être unifiée, la langue italienne est celle de la culture, des gens éduqués, de ceux qui ont fait des études… Une minorité qui parle de patrie, de gloire… à des hommes qui ne découvrent qu'ils sont Italiens que dans la boue des tranchées, au milieu des cadavres putréfiés d'autres pauvres zigues comme eux, éclatés sous les pluies de métal, crevant de faim et de soif… Et de froid dans l'effroi !
L'auteur de théâtre,
Mario Perrotta, réussit le véritable exploit de faire s'exprimer tous ces patois dans un salmigondis compréhensible par… les Italiens ! Rassurez-vous, amis francophones, des traducteurs, dont
Florence Courriol et
Filippo Fonio, ont réuni leurs multiples talents pour faire vivre « en français » le « témoignage » de ce Soldat Inconnu quinze-dix-huit. Quel nom bizarre, ne trouvez-vous pas ? quinze-dix-huit !? Rappelez-vous que l'Italie est entrée dans la Grande Guerre en 1915 et non en 1914 comme la France et la Belgique, ou encore les états du Commonwealth !
Pour autant, y a-t-il tant de différences que cela avec un poilu français de la Première Guerre mondiale ? La situation n'était-elle pas quelque peu similaire avec ces Bretons, ces Poitevins, ces Basques, ou encore ces Corses ? N'ont-ils pas vécu les mêmes horreurs ? Probablement qu'en France, l'utilisation du français était bien plus répandue que l'italien en Italie, et que l'enseignement rendu obligatoire par la loi
Jules Ferry du 28 mars 1882 rendait la compréhension plus aisée (mais pas nécessairement pour les soldats plus âgés qui n'avaient pas bénéficié de l'enseignement obligatoire).
Le soldat 15-18 va évoquer l'ensemble de la guerre, et l'entrée dans le conflit pays par pays, en s'exprimant comme des paysans auraient pu le faire en 1914. Cela rend la pièce d'autant plus crédible.
L'ouvrage présente sur la page de gauche le texte en « italien » et sur la page de droite, sa « traduction » en français. Essayez de lire à haute voix le texte et vous serez transportés dans la peau de ce(s) soldat(s) inconnu(s) aux multiples accents.
C'est peu dire que cette pièce, montée en 2015 pour célébrer le centième anniversaire de l'entrée en guerre de plus de quatre millions et demi d'Italiens est « violemment » pacifiste. Toutes les horreurs du conflit sont évoquées. Nul doute, qu'à part l'usage de technologies nouvelles, un combattant en Ukraine, aujourd'hui-même, n'aurait aucune peine à se reconnaitre dans ce « Milite Ignoto », ce soldat inconnu qu'on n'oubliera jamais… du moins c'est ce qu'on affirme à l'entrée des cimetières militaires. Il suffit de voir dans quel état se retrouvent certains cimetières militaires français pour se rendre compte que c'est du pipeau (contrairement aux cimetières américains ou du Commonwealth).
Si ce sujet vous intéresse, laissez-vous tenter par cette lecture. Peut-être aussi un metteur en scène audacieux vous offrira l'opportunité de la regarder au théâtre, accompagnée par des éclairs et les sons des canons !
La fin de l'ouvrage, strictement en italien, traite du parcours de
Mario Perrotta et du théâtre en Italie (1920).