Le coup de pistolet pourrait-il se transformer en coup de coeur ou en un coup au coeur ? Ce texte à l'échelle d'une nouvelle me fait entrer dans l'univers de son auteur,
Alexandre Pouchkine, issu de l'ancienne noblesse russe, écrivain rebelle, exilé pour cela, poète aussi, il mourut en duel à l'âge de trente-sept ans. Ces derniers détails ne sont pas anodins s'agissant du thème de la nouvelle, l'âge des protagonistes aussi, comme si
Pouchkine avait commencé à imaginer ici ce qui serait son destin...
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, ces choses-là m'ont toujours troublé, ces mots écrits, imaginés par un écrivain et qui deviennent un jour réalité jusqu'à se retourner contre lui.
Si
Pouchkine alla en duel pour les yeux de la femme qu'il aimait, ici l'honneur à défendre se porte à d'autres endroits.
Mais cette chose-là, le duel, vient toujours pour une question d'honneur. Cela m'a toujours fasciné, autant pour le geste qui le provoque que pour les codes, les rituels qui suivent... Geste grotesque, presque phallique, où l'arme est emplie autant de testostérone que de poudre... On en rirait presque s'il n'y avait pas à chaque fois un mort à l'autre bout de la prairie...
Les duels ont été interdits par Richelieu. Cela n'a pas empêché qu'ils aient lieu fréquemment après, de manière clandestine. J'ai appris qu'un ministre de
François Mitterrand,
Gaston Defferre, s'y adonnait volontiers...
Ici s'invitent les choses romanesques, l'ambiance d'une garnison avec des soldats qui s'ennuient, essaient de briser cet ennui comme ils peuvent, l'alcool, le jeu, la provocation, la violence, le panache, l'honneur forcément qu'il faut défendre bêtement... On provoque un soir, éméché, on se croit plus fort que tout, un héros presque au-dessus de la mêlée ; le lendemain qui déchante déjà obligerait à regretter, s'excuser, mais voilà, ce satané honneur est là, ce truc bête comme tout, qui en a amené plus d'un à manger les pissenlits par la racine...
Il y a cet homme qui attire les regards. Il s'appelle Silvio, un hussard de trente-cinq ans. Il manie le pistolet avec dextérité et suscite l'admiration des plus jeunes soldats de la garnison, comme le narrateur. Silvio est capable de tuer une mouche sur un mur, et de loin. Heureux homme inventant l'insecticide avant tous ces produits toxiques qui polluent notre atmosphère aujourd'hui ! Si je savais manier les armes contre les moustiques comme Silvio, les murs de ma chambre seraient troués comme de l'emmental...
Un soir, un jeune officier ivre provoque au jeu Silvio... Plus tard, Silvio se confie au narrateur, il lui révèle qu'il porte en lui une dette d'honneur vis-à-vis d'une ancienne histoire, il attend le jour, le moment pour honorer cet honneur, cette dette qui attend. Il est prêt à attendre toute sa vie, il est patient...
À partir de cet instant, à partir d'une confession, le récit s'est emballé pour mon plus grand plaisir, convoquant l'attente, l'inattendu, l'acte romantique aussi... jusqu'au dénouement qui m'a étonné, je ne m'attendais pas à cela et c'est pour cela que cette nouvelle m'a réjoui...
Je vous laisse découvrir ce beau texte, éblouissant en si peu de mots et de pages, magnifiquement traduit par
André Gide.