Pour moi c'est du chinois. Ce mélange de langues, ces sortes d'idéogrammes latins, ces fractions de phrases accolées les unes aux autres, cet hermétisme volontaire ou non ne me dérange pas, il faut croire qu'il y a dans la poésie une syntaxe libre comme des vers libres. Je trouve même une sagesse particulière à la tradition du trobar clus. Elle demande adaptation et intérêt. Un intérêt à taux élevé, j'imagine, et usant, si l'on est impatient (un paradoxe pour une écriture aussi nerveuse). C'est différent si l'on s'arrête sur ces Cantos comme devant un paysage, un tableau ou un concert.
Qui peut les comprendre ? D'abord, qui lit le latin, le grec, ou même l'occitan (je crois qu'il y en a quelques phrases) avec suffisament d'aisance pour goûter la créativité de Pound, pour ressusciter ces langues qui ne sont pas mortes pour lui. Mais même avec cela, qui possèderait l'exacte culture de l'auteur, accumulée sur des dizaines d'années ? Il faut être serein face à cette multiplication de noms propres, face à cette solitude de la mémoire, et ne pas chercher dans cette traduction partielle autre chose qu'une initiaton partielle. J'ai lu
les Cantos proposés dans cette édition plusieurs fois et je les relirai encore longtemps et peut-être avec les autres et dans l'ensemble de leurs langues originelles, c'est-à-dire que bizarrement il en manque ici une seule, la principale.