Les hommes sont calmes et graves. De temps à autre l’un d’eux lâche une plaisanterie à voix basse. Des véhicules surgissent, qui disparaissent aussitôt. Nous avançons. À quoi pensent ces hommes en marche ? Au foyer, à la maison paternelle, aux amis, à une femme aimée ? Tout ça c’est le passé… Devant eux, la nuit, l’incertitude, la bataille ! Devant eux, la guerre ! Et qui sait, la mort ? Un canon tracté passe dans un grand bruit de chenilles. Nous nous étendons maintenant dans l’herbe humide. Il ne pleut plus, mais le brouillard s’épaissit. Les minutes passent. Sur nos montres, les aiguilles marqueront bientôt 4 h 30 ; alors, nous le savons, éclatera le tonnerre des batteries. Encore trois minutes… deux… plus qu’une… quelques secondes. Aucun bruit. On s’agite ! Du calme… Tout s’estompe dans le brouillard. La grande aiguille approche de la trentième minute. Ça y est ! Une brusque explosion. Une autre… Une autre encore. Ça n’arrête plus. Quelques secondes plus tard, les obus sifflent au-dessus de nos têtes. Sans discontinuer. Partout, les nerfs et le regard tendus, nous scrutons intensément le brouillard. Là-bas, quelque part dans cette zone incertaine, ce mur invisible, la frontière ! La guerre est commencée.
Les journaux sont rares, et la guerre qui se fait demeure incompréhensible. Une envahissante lassitude de l’âme correspond à l’engourdissement du corps. On voudrait on ne sait quoi ; ou plutôt si, combattre puisqu’on est soldat, ou rentrer chez soi si l’on ne se bat pas.
Dans les granges, transformées difficilement en dortoirs, les péroreurs arrivent à prouver que cette curieuse guerre sera gagnée sans difficultés, les Allemands n’étant pas plus désireux que les Français d’en découdre… On aura eu froid, on aura été séparé de sa famille, de ses amours, mais tout s’arrangera dès que le printemps fera fleurir les vergers. L’esprit guerrier, sans grande vitalité à l’heure de la mobilisation, a presque complètement disparu.
La politique extérieure de Hitler repose sur trois axes majeurs : effacer l’humiliation du « Diktat » de Versailles ; réintégrer dans le grand Reich les populations allemandes des États limitrophes (Autriche, Pologne, Tchécoslovaquie) ; conquérir à l’Est un vaste espace vital (Lebensraum), au détriment des « peuples inférieurs » et débordant largement les anciennes frontières de 1914. Pour parvenir à ses fins, il est résolu à employer systématiquement l’intimidation et la force : « Il n’y a que la violence qui puisse apporter une solution au problème allemand et la violence ne va pas sans risques. » La guerre est l’un des moyens de faire aboutir sa politique. En conséquence, il faut s’y préparer.
Hitler taxe ses généraux de défaitisme et de couardise. Le 28 novembre, il les convoque à la chancellerie pour les haranguer : « L’heure nous est favorable. Dans six mois, tout peut avoir changé. Le temps travaille pour nos adversaires. Aujourd’hui, il existe un rapport de forces qui ne peut être plus avantageux pour nous, mais qui ne peut que se détériorer. Ma décision est irrévocable. J’attaquerai la France le plus tôt possible. La neutralité de la Belgique et de la Hollande n’a aucune importance. Personne ne nous reprochera de l’avoir violée dès que nous aurons remporté la victoire. Tout espoir de compromis est enfantin : la victoire ou la défaite !
Guerre « mondiale », mais aussi guerre « totale » par la volonté, partagée, de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles d’écraser l’adversaire, en mobilisant jusqu’à l’extrême les ressources de la science, de la technique, de l’économie ou de la propagande. Guerre totale, également, parce qu’elle n’épargne pas les populations civiles, proies parfois involontaires des combats, mais trop souvent victimes délibérées de l’un ou l’autre camp : hommes, femmes, enfants massacrés par représailles, exterminés au nom d’une idéologie, sciemment écrasés sous les bombes dans le but de faire pression sur les gouvernements.
Jean Quellien invité du 12/13 de France 3 Basse-Normandie pour parler de son livre "Le Jour J et la bataille de Normandie".
http://www.orepeditions.com/1026-article-le-jour-j-et-la-bataille-de-normandie.html