Quelle belle découverte que ce poète malgache, qui, féru des poètes français, a de même écrit dans notre langue toute son oeuvre.
Voici des poèmes qui nous font voyager et ressentir l'ailleurs, là où la vie n'est pas plus simple et sans doute bien plus ardue à vivre qu'ici.
Cet ouvrage offre différents écrits de cet auteur et est le dernier à être paru après son suicide.
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Le Poème
Paroles pour chant, dis-tu, paroles pour chant,
ô langue de mes morts,
paroles pour chant, pour désigner
les idées que l’esprit a depuis longtemps conçues
et qui naissent enfin et grandissent
avec des mots pour langes —
des mots lourds encore de l’imprécision de l’alphabet,
et qui ne peuvent pas encore danser avec le vocabulaire,
n’étant pas encore aussi souples que les phrases ordonnées
mais qui chantent déjà aux lèvres
comme un essaim de libellules bleues au bord d’un fleuve
salue le soir.
Paroles pour chant, dis-tu, paroles pour chant,
paroles pour chant, pour désigner
le frêle écho du chant intérieur
qui s’amplifie et retentit,
tentant de charmer le silence du livre
et les landes de la mémoire,
ou les rives désertes des lèvres
et l’angoisse des coeurs.
Et les paroles deviennent de plus en plus vivantes,
que tu croyais en quête du Chant ;
mais elles deviennent aussi de plus en plus fluides et ténues,
comme cette brise qui vient des palmiers lointains
pour mourir sur les cimes sourcilleuses.
Elles deviennent davantage des chants,
elles deviennent elles-mêmes — ce qu’elles ont toujours été
jusqu’ici, en vérité.
Et je voudrais changer, je voudrais rectifier
et dire :
chants en quête de paroles
pour peupler le silence du livre
et planter les landes de la mémoire,
ou pour semer des fleurs aux rives désertes des lèvres
et délivrer les coeurs,
ô langue de mes morts
qui te modules aux lèvres d’un vivant
comme les lianes qui fleurissent les tombeaux.
(poème de PRESQUE-SONGES, p 84-85)
Les ruches secrètes sont alignées
près des lianes du ciel,
parmi des nids lumineux.
Butinez-y abeilles de mes pensées,
petites abeilles ailées de son
dans la nue enceinte de silence ;
chargez-vous de propolis
parfumée d'astres et de vent :
nous en calfeutrerons toute fente
communiquant au tumulte de la vie.
Chargez-vous aussi de pollen stellaire
pour les prairies de la terre ;
et demain, lorsque s'y noueront
les roses sauvages de mes poèmes,
nous aurons des cynorrôdons aériens
et des semences sidérales.
p 27-28 "Traduit de la nuit", IX
PRESQUE-SONGES
A tous mes amis, morts et vivants
fils d’Orient et d’Occident
Fruits
Tu peux choisir
entre les fruits de la saison parfumée ;
mais voici ce que je te propose :
deux mangues dodues
où tu pourras téter le soleil qui s’y est fondu.
Que prendras-tu ?
Est-ce celle-ci qui est aussi double et ferme
que des seins de jeune fille,
et qui est acide ?
Ou celle-là qui est pulpeuse et douce comme un gâteau de miel ?
L’une ne sera que violentes délices,
mais n’aura pas de postérité,
et sera étouffée par les herbes.
L’autre,
source jaillissant de rocher,
rafraîchira ta gorge
puis deviendra voûte bruissante dans ta cour,
et ceux qui viendront y cueilleront des éclats de soleil.
p 87
LA NOUVELLE TOMBE
Ma tombe est toujours ma tombe, mais mon coeur en est une autre. — C'est ma tombe en dehors de la terre ; c'est ma seconde tombe.
Ce ne sont pas des herbes qui la cachent, ni non plus une pierre mâle. C'est ma chair pleine de souci qui la dissimule.
Mes vibrants soupirs, mes larmes et mes sanglots incontenus y jouent les revenants et me hantent sans cesse.
Là sont les rêves conçus mais qui s'étaient dissipés invisiblement et brusquement. Là sont les épaves du bateau de l'Espérance.
Là les stances du passé et les chants de ma jeunesse sont ensevelis et ne se réveillent plus. Pas même pour donner un écho.
Là sont tous les projets, perdus et oubliés. Là gisent les os de mes jours lointains et des heures sans pouvoir.
Là se décompose lentement la chair. Là, elle flétrit et tombe, quoique jeune. Là sont les morts, tous les morts.
Que de fois relayés
et que de fois les mêmes,
dans la lumière ruisselante,
les laboureurs de l’azur ?
Ont semé quelles graines,
ont planté quelles tiges
au royaume du vent,
et sur les monts arasés ?
Sont en quel inconnu,
derrière quel feuillage
et sur quelle herbe haute,
près des rives du soir ?
— Boivent à une source noire,
arrachent cressons et menthes,
puis, couchés sur le dos,
regardent les astres croître
jusqu’à votre éclosion,
ô glaïeuls rouges et noirs,
et jusqu’au saccage par le jour
de leurs aires aériennes.
Le poème, Jean-Joseph Rabearivelo
lu par Gaston Dubois