Pour approcher un autre Racine, et surtout aller à sa rencontre lors d'une visite dans le duché d'Uzès, là où il découvrit, enchanté, un soleil différent, un peu celui de la Grèce et de l'Italie et qui allait féconder son inspiration.
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Les plus beaux jours que vous donne le printemps ne valent pas ceux que l'hiver nous laisse, et jamais le mois de mai ne vous paraît si agréable, que l'est ici le mois de janvier.
Le soleil est toujours riant,
Depuis qu'il part de l'Orient
Pour venir éclairer le monde,
Jusqu'à ce que son char soit descendu dans l'onde.
La vapeur des brouillards ne voile point les cieux ;
Tous les matins, un vent officieux
En écarte toutes les nues :
Ainsi nos jours ne sont jamais couverts ;
Et dans le plus fort des hivers,
Nos campagnes sont revêtues
De fleurs et d'arbres toujours verts.
Les ruisseaux clairs et murmurants
Ne grossissent point en torrents :
Ils respectent toujours leurs rives,
Et leurs naïades fugitives,
Sans sortir de leur lit natal,
Errent paisiblement, et ne sont point captives
Sous une prison de cristal.
Nos oiseaux ne sont point forcés
De se cacher ou de se taire,
Et leurs becs n'étant pas glacés,
Ils chantent à leur ordinaire,
Et font l'amour en liberté
Autant l'hiver comme l'été.
Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,
La lune, au visage changeant,
Paraît sur un trône d'argent,
Tenant cercle avec les étoiles :
Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.
J'ai fait une assez longue pause en cet endroit, parce que, lorsque j'écrivais ces vers il y a huit jours, la chaleur de la poésie m'emporta si loin, que je ne m'aperçus pas que le temps se passait et qu'il était trop tard pour porter mes lettres à l'ordinaire. Je recommence aujourd'hui, 24 janvier, à vous écrire ; mais il est arrivé un assez plaisant changement ; car en relisant mes vers, je reconnais qu'il n'y en a pas un de vrai : il ne cesse de pleuvoir depuis trois jours, et l'on dirai que le temps a juré de me faire mentir. J'aurai autant de sujet de faire une description de mauvais temps, comme j'en ai fait une du beau ; mais j'ai peur que je ne m'engage encore si avant, que je ne puisse achever cette lettre que dans huit jours, auquel temps peut-être le ciel se sera remis au beau ; je n'aurais jamais fait. Cela m'apprend que cette maxime est fort vraie :
''La vita al fin, il di loda la sera''
(Loue la vie à sa fin et le jour au soir)
extrait : (Lettre de Jean Racine à Monsieur Vitart -- Uzès, le 17 janvier 1662)
Je ne fais qu'arriver d'une lieu et demie d'ici, où j'étais allé promener ; car il est impossible de demeurer longtemps dans la chambre par le beau temps qu'il fait en ce pays. Les plus beaux jours que vous donne le printemps ne valent pas
ceux que l'hiver nous laisse, et jamais le mois de maI ne vous paraît si agréable, que l'est ici le mois de janvier.
Le soleil est toujours riant,
Depuis qu'il part de l'Orient
Pour venir éclairer le monde,
Jusqu'à ce que son char soit descendu dans l'onde. (...)
Nos oiseaux ne sont point forcés
De se cacher ou de se taire,
Et leurs becs n'étant pas glacés,
Ils chantent à leur ordinaire,
Et font l'amour en liberté
Autant l'hiver comme l'été.
Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,
La lune, au visage changeant,
Paraît sur un trône d'argent,
Tenant cercle avec les étoiles :
Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
ET NOUS AVONS DES NUITS PLUS BELLES QUE VOS JOURS;
Au reste, pour la situation d'Uzès, vous saurez qu'elle est sur la montagne fort haute, et cette montagne n'est qu'un rocher continuel : si bien qu'en quelques temps qu'il fasse, on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers, qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant ; car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-une au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir ; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis. J'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant, et on m'a appris depuis qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange. L'huile qu'on en tire sert ici de beurre, et j'appréhendais bien ce changement ; mais j'en ai goûté aujourd'hui dans les sauces, et sans mentir il n’y a rien de meilleur. On sent bien moins l'huile qu'on ne sentirait le meilleur beurre de France.
- (extrait : Lettre de Racine à La Fontaine, Uzès, le 11 novembre 1661)
(Lettre de Racine à La Fontaine - Uzès, le 11 novembre 1661)
J'ai bien vu du pays et j'ai bien voyagé,
Depuis que de vos yeux les miens prirent congé.
Mais tout cela ne m'a pas empêché de songer toujours autant à vous que je faisais, lorsque nous nous voyions tous les jours.
Avant qu'une fièvre importune
Nous fît courir même fortune,
Et nous mit chacun en danger
De ne plus jamais voyager.
Je ne sais pas sous quelle constellation je vous écris présentement ; mais je vous assure que je n'ai point fait encore tant de vers depuis ma maladie. Je croyais même en avoir tout à fait oublié le métier. Serait-il possible que les Muses eussent plus d'empire en ce pays, que sur les rives de la Seine ?
... /...
A Mademoiselle Vitart, Uzès le 31 janvier 1662
Les reproches mêmes sont doux
Venant d'une bouche si chère !
Mais si je méritais d'être loué de vous,
Et que je fusse un jour capable de vous plaire,
Combien ferais-je de jaloux !
Rencontre proposée par Yves le Pestipon. Jean Racine, Lettre à La Fontaine, 11novembre 1661, de «De Lyon» à la fin.
On lit, on joue, on voit, on étudie beaucoup les tragédies de Racine. On a raison, mais on oublie parfois qu'il eut une vie, des amis, et qu'il écrivit des lettres. Ce qui nous reste de sa correspondance occupe presque tout un volume de la Pléiade. C'est passionnant, et c'est admirablement écrit. Parmi ces lettres, celle qu'il écrivit d'Uzès, le 11novembre1661, vaut par son ton, son humour, ses anecdotes, et son destinataire, le célèbre fabuliste qui ne l'était pas encore. On y découvre des complicités, presque de «loup» à «loup», une pratique de la langue, des styles, et du voyage, qui nous en apprend beaucoup sur le xviiesiècle français, et fait rêver.
Très petite bibliographie
Racine, Oeuvres complètes, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 2006.
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04/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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