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sur 285 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le chérif Les rend son étoile dans un mois pour cause de retraite. Mais avant, en plus des affaires courantes de drogués à la meth, il va devoir traiter une histoire d'empoisonnement de sa chère rivière. Comme souvent, c'est le pot de terre contre le pot de fer quand Gerald, un vieil homme violent et acariâtre, est accusé du forfait par un propriétaire local. Bien que soutenu par Becky, la directrice zélée du Creek Park et poétesse à ses heures, Gerald aura besoin de toute l'expérience et du non conformisme du chérif pour le sortir de ce piège.

Poétique, envoûtant, âpre, tel est le monde de Ron Rash. On s'y plonge avec délectation, sans trop savoir ce qui nous emporte le plus, de ses personnages attachants, tellement humains, ou de cette nature que ses mots subliment, mais disent à quel point il déplore que ses montagnes soient gangrenées par la drogue et le chômage. Nostalgique, Ron Rash l'est sûrement. Dans ce roman noir où il joue avec la part d’ombre et de lumière de ses personnages, il semble que les Appalaches d'aujourd'hui lui font regretter un monde disparu. Pour lui qui juge une société par l’état de sa nature, qui pense que les paysages sont structurants, qu’ils nous façonnent, qu’ils sont notre destin, quand on sait que l’eau des Appalaches n’est plus potable, on imagine ce qu’il pense de l’Amérique de Trump.

Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard pour cette belle découverte et opportunité de rencontrer Ron Rash...
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Tout laissait penser à Les, shérif d'un comté situé dans un coin des Appalaches, que les trois semaines qu'il lui restait à effectuer avant de prendre sa retraite, seraient, sinon calmes, du moins sans grand imprévu. Seule une opération antimeth, inscrite au programme pouvait apporter peut-être un peu d'imprévu.
Mais cette tranquillité va être brisée lorsque quelqu'un va verser de l'essence dans le torrent, torrent qui traverse la propriété du riche Tucker. Les belles truites argentées meurent. Les riches citadins qui venaient au relais de Tucker, pêcher dans un décor magnifique et sauvage, vont donc fuir.
Tucker accuse aussitôt Gerald, ce vieil irascible qui ne comprend pas pourquoi il ne peut plus parcourir à son gré les rives de cette rivière qu'il a toujours connues et qui malgré les panneaux d'interdiction, continue à les arpenter.
Becky, la garde forestière et Les, le shérif, ne peuvent pas croire que Gerald ait pu commettre un tel geste tant il aime et respecte cette nature. Les va donc devoir mener l'enquête pour savoir qui est le responsable d'un tel geste.
Les principaux personnages de ce roman sont deux : Becky, gardienne d'un parc naturel qui écrit des poèmes et représente la défense de l'environnement, et Les, ce shérif bientôt retraité. Tous deux ont un point commun : un passé douloureux et encombrant.
Mais celui qui tient la vedette, si l'on peut dire, c'est le paysage entre rivière et montagnes, paysage somptueux que Ron Rash connaît bien et décrit d'une façon sublime. Je suis restée scotchée par ses descriptions tant elles sont superbes et on ne peut que rentrer dans le paysage à son tour.
Malheureusement, la beauté qu'offre la nature, avec les fleurs, les arbres, les animaux, les montagnes et les cours d'eau, cette beauté est menacée par les entrepreneurs modernes et on en arrive au conflit entre profit et écologie.
L'auteur met également bien l'accent sur la méthadone, ce fléau qui abrutit les esprits et endommage les corps. Les descriptions des ravages causés par la meth sont si réalistes qu'elles en sont effrayantes.
En fait, c'est le constat de la disparition d'un monde gouverné par l'argent. Tout au long de ce polar, ce sont ces deux mondes qui se côtoient, celui à l'ancienne, représenté notamment par Les qui, tout au long de sa carrière, a tenté de fluidifier les rapports sociaux, et celui des coups, de l'intimidation, de la violence du pouvoir.
Ron Rash a réussi de façon très brillante un roman à la poésie éblouissante et également un roman politique, un roman noir.
J'avais apprécié cet auteur avec Par le vent pleuré, mais Un silence brutal m'a vraiment épatée, enchantée, bouleversée.
Je remercie vivement les éditions Gallimard (La Noire) et Lecteurs.com qui, dans le cadre des Explorateurs du polar 2019, m'ont permis de passer d'aussi beaux moments avec cet ouvrage.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Une tragédie en cinq actes. Dans une petite localité des Appalaches, le shérif Les est à quelques semaines de prendre sa retraite. Il règle les affaires courantes. C.J. Crant, un ami d'enfance vient le trouver pour qu'il fasse comprendre à Gérald, un septuagénaire cardiaque, qu'il doit cesser de venir braconner les truites arc-en-ciel, sur la propriété de son patron, Tucker. L'affaire n'aurait rien de tragique si le neveu et héritier du braconnier n'était un junky et un trafiquant de Meth, et si on ne retrouvait pas quelques jours plus tard, les truites de la réserve de Tucker, faisant la planche, mortes dans l'eau empoisonnée de la rivière, Gérald devenant de facto le coupable idéal.
Les relations qui lient les acteurs de ce drame et l'humanité du shérif et de Becky, la garde forestière écolo, donnent toute la dimension tragique de cette histoire. le « silence brutal » est cet instant où la catastrophe vient juste de se produire, où le temps suspend sa course, où la respiration est retenue. C'est cet instant où le bruit devient abruptement silencieux. C'est aussi la fin muette de cette histoire. On retrouve l'antagonisme du titre, entre la nature magnifique et sauvage de cette belle région de l'Est des États-Unis, et la pollution culturelle, industrielle qu'apportent immanquablement les hommes. le roman de Ron Rash est aussi un manifeste pour l'écologie.
La poésie de Ron rash est bien présente tout au long de ce texte. La traduction d'Isabelle Reinharez rend parfaitement bien l'onirisme de certains passages et la lecture claire et fluide pour l'ensemble de cet ouvrage.
Sans pour autant tomber dans l'usage abusif de superlatifs, comme je l'ai lu souvent lors de critiques sur cet auteur, je dirai que le roman de Ron Rash est honnête et qu'il remplit parfaitement le contrat de nous offrir un très agréable moment de lecture.
Merci à Babélio masse critique et aux éditions Gallimard, collection La Noire, pour m'avoir permis de découvrir cet auteur. Ce fut une heureuse rencontre.
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Quelle que soit l'idée qu'on a envie de développer sur Un silence brutal, on se rend compte qu'il est toujours possible de trouver des arguments tout aussi convaincants pour défendre le point de vue inverse : cela en fait un roman ambivalent prodigieusement intéressant. S'agit-il d'un roman centré sur la part d'ombre des personnages ? Certainement ; mais l'auteur les montre également sous leur meilleur jour. S'agit-il d'un roman qui oppose un âge d'or passé à un présent gangrené par la destruction de la nature et les ravages de la métamphétamine ? Absolument ; mais le passé est aussi celui des traumatismes, et le présent, celui de leur cicatrisation. S'agit-il d'un roman sur la nature ? Bien sûr ; mais l'humain est également au centre, qu'il la préserve ou la détruise. S'agit-il d'un roman lent ? Oui : il est souvent contemplatif et fait la part belle à la poésie ; mais on le dévore aussi, pour connaître la solution aux mystères sur lesquels il est construit. Au total, j'ai beaucoup aimé cette absence constante de manichéisme.

Cette impression a été renforcée par la rencontre avec l'auteur organisée par Gallimard, à laquelle j'ai eu la chance d'assister grâce au cercle littéraire de la Fnac, que je remercie encore. L'auteur s'y est montré aussi à l'aise en décryptant sa filiation avec Edgar Allan Poe ou William Faulkner, auteurs "du sud" qui ont toujours obtenu plus de reconnaissance en France qu'aux Etats-Unis, qu'en citant Procol Harum (A whiter shade of pale… la notion de nuances de sombre ou de clarté a été un des fils rouges de la rencontre). Il a également expliqué que ses romans se suivent et ne se ressemblent pas, parce qu'il n'a juste aucune envie d'écrire inlassablement le même livre. Or, il a déjà obtenu un prix en France pour Une terre d'ombre, et la salle a également évoqué plusieurs fois Un pied au paradis ou Serena. Un livre, un auteur, une oeuvre, une langue poétique et très belle aussi dans sa traduction : de quoi avoir très envie de le découvrir davantage !
Lien : https://www.fnac.com/Un-sile..
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Le temps passe, le monde reste. Pour s'en rendre compte, il faut « invisager avant de voir ». Invisager, c'est à dire sentir, ressentir, imaginer, transposer, relativiser. Autant de choses que notre monde contemporain ne fait plus…

En Caroline du Nord, dans les Blue Ridge Moutains au coeur des Appalaches, la rivière poissonneuse qui attire les clients par centaines au lodge de pêche de Tucker a été volontairement empoisonnée. Et tout accuse le vieux Gérald, voisin marginal qui refuse de céder son terrain attenant au domaine.

Pas de bol pour Les, le shérif. À dix jours de sa retraite, il se serait bien passé d'avoir à trancher ce différent et à embastiller Gérald, d'autant plus que Becky, la garde forestière et leur amie commune le défend bec et ongles. Mais plus que la rivière, c'est la vallée entière qui est en fait contaminée, passée de joyau naturel à repaire de dealers de meth et spéculateurs immobiliers. Mist Creek Valley est devenue Meth Creek Valley, et les survivants de l'ancien monde tentent de s'en accommoder.

Dans Un silence brutal, Ron Rash – magnifiquement traduit par Isabelle Reinharez – nous livre bien plus qu'une intrigue noire, un brin désespérée et somme toute, pas grandement originale. C'est un plaidoyer en faveur du temps qui passe, du monde qui nous dépasse, subsiste et subsistera après et malgré nous.

Aujourd'hui, « une fois descendu de leurs voitures, les touristes brandissent des appareils photos ou des téléphones portables, comme s'ils étaient incapables de voir sans eux. Je repense à ce que disait Richard “Ils ne sauront même pas qu'ils vivent dans ce monde“ ».

À cette culture de l'instant, Rash oppose l'invitation à « invisager » le monde, rappelle Lascaux, cite Giono et convoque la flore de Mist Creek Valley – Connaissez-vous les suzannes-aux-yeux-noirs, salsepareille, barbon à balais, lobélies cardinales, monardes, eupatoires pourpres, digitales fanées, pomme de sapin de Fraser, bouleaux verruqueux, fleur de bignone, angélique du Japon, tulipier de Virginie… ? – en nous invitant avec Becky à nous laisser fasciner par une vipère cuivrée, un pic flamboyant, un scinque pentaligne, un machaon, une limace léopard, des guêpes maçonnes, une chouette rayée, un carouge à épaulettes rouges, une moufette du galax, des mouches de mai, une truite brune, un mocassin d'eau, une perche mandarine, quelques vandoises ou ménés, une salamandre, ou plus simplement, de magnifiques truites mouchetées…

Un silence brutal, c'est une histoire simple mais un splendide livre, où la langue de Rash s'égare en poésie au service de ce cri d'alerte que le chantre des Appalaches ne cesse de pousser en faveur de la préservation de toutes les ressources.
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Une histoire américaine à deux voix, celle de Les, un shérif au bord de la retraite et celle de Becky, responsable d'un parc naturel.

Quand le shérif est appelé pour enquêter sur l'empoisonnement d'une rivière à truite, on a l'intrigue et les rebondissements d'un polar.

On a aussi la vie rurale, le quotidien d'un milieu isolé dans les Appalaches où tout le monde se connait. Mais cet isolement, c'est aussi la misère et une misère amplifiée par les fléaux des drogues dures.

On a surtout les beautés de la nature, avec des descriptions poétiques de la faune et de la flore de ce coin de Caroline du Nord, mais aussi ses merveilleux ciels étoilés.

Mais ce roman, c'est aussi le poids du passé, le traumatisme d'une enfant rescapée de justesse d'une de ces tueries de masse qui hantent les États-Unis, ce sont les remords d'un garçon sauvé d'un accident par un ami, la culpabilité face à la dépression et à la tentative de suicide d'un proche, c'est la honte, la peine et tout ce qui pèse sur les coeurs et les consciences.

Un auteur que je découvre avec plaisir et dont les autres oeuvres s'ajouteront à ma PAL.
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La collection La Noire de chez Gallimard qui avait disparu depuis 14 ans, refait surface avec, excusez du peu, le nouveau roman de Ron Rash ! Vous savez tout le bien que je pense de cet auteur. C'est donc avec délectation que j'ai ouvert ce livre.

Comme d'habitude, l'auteur nous entraîne dans sa région d'origine, les Appalaches, où se déroulent toutes ses histoires (après en avoir discuté avec lui lors d'un salon, ce n'est pas près de changer !). On va donc s'intéresser au destin d'habitants d'un petit village retiré. Dans cette micro société, les règles sont légèrement différentes et tout ne se passe pas comme ailleurs. Les conflits se gèrent au cas par cas et les coutumes prennent parfois le dessus sur les lois.

Les acteurs de cette aventure sont à l'image de leur environnement. Ils sont rudes, incontrôlables et directs. Cette enquête sur un fait divers va creuser le fossé entre deux générations. D'un coté, les anciens qui cherchent à régler les conflits avec diplomatie, pour le bien de la communauté et de l'autre, les nouveaux qui vont défendre leurs intérêts personnels et professionnels, sans faire de compromis.

L'auteur réussit une nouvelle fois à reproduire avec justesse l'atmosphère des lieux. On est immergé dans cette ambiance rustique où la nature est omniprésente. Celle-ci apporte sa contribution à cette histoire liée à l'écologie et l'évolution des mentalités.

La plume de Ron Rash est toujours exigeante et dégage une certaine poésie. Toujours défenseur des paysages sauvages et fin analyste de l'humanité, il nous offre un roman complexe, à la fois social et environnemental. En maître du roman noir rural, il sait parfaitement associer son amour de la nature et son analyse du genre humain. Je peux donc confirmer qu'il s'inscrit parfaitement dans la charte de cette nouvelle collection et deviendra, j'en suis sûr, un représentant incontournable à l'avenir!
Lien : http://leslivresdek79.com/20..
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Voilà deux bonnes nouvelles. le retour de Ron Rash d'une part avec un roman plus consistant que Par le vent pleuré, paru il y a près de deux ans. La renaissance de la mythique collection La Noire d'autre part.
C'est quelque part du côté des Blue Ridge Mountains, dans les Appalaches que vit Les, shérif à trois semaines de la retraite. Ces trois semaines pourraient couler tranquillement, n'étaient quelques impondérables : une descente à faire dans un lieu de fabrication de meth, et un conflit à régler entre le vieux Gerald et les Tucker. Les seconds, entrepreneurs qui ont racheté des terres en limite du parc régional afin d'organiser des parties de pêches pour riches touristes, refusent avec force les incursions du premier sur leur propriété et l'accusent de braconnage. Les, qui entretient avec Becky, la garde du parc régional et seule véritable amie de Gerald, une relation platonique, entend régler le problème à l'amiable. Mais les événements se précipitent dans la petite communauté, et le shérif se trouve vite pris en porte-à-faux entre ce que la justice l'enjoint à faire et la manière dont sa conscience l'incline à agir.
À travers cette histoire somme toute banale du quotidien d'une petite ville des Appalaches Ron Rash porte un regard tendre, certes, mais aussi aigu sur la manière dont s'articulent les relations de cette communauté rurale à travers quelques-uns de ses habitants. le fil de l'enquête de Les met à jour les interactions, les arrangements, les vieux comptes non soldés, la façon dont tout le monde est lié d'une manière ou d'une autre et combien cela peut être à la fois rassurant et étouffant.
« Dans une zone aussi rurale que la nôtre, tout le monde est rattaché à tout le monde, si ce n'est par les liens du sang du moins de quelque autre façon. Dans les pires moments, le comté ressemblait à une toile gigantesque. L'araignée remuait et de nombreux fils reliés les uns aux autres se mettaient à vibrer. Quand j'entrai dans le café un grand silence envahit la salle, signe que les gens savaient déjà. Quelques conversations reprirent, mais à mi-voix, des paroles échangées concernant la météo ou la pêche, le genre de sujet dont on parle quand tout le reste est exclu. »
C'est du fragile équilibre entre ces deux sentiments antinomiques dont parle Rash et aussi, peut-être à rebours du discours habituel, de la difficulté de la résilience. Becky, Les, Gerald, C.J. l'employé de Tucker ou encore Barry, l'adjoint, portent chacun leur lot de douleurs, de culpabilité ou d'incompréhension face à ce que leur monde devient et doivent composer avec. Ceux qui arrivent à rebondir, à passer outre, ne s'en sortent pas forcément mieux que les autres. Derrière tout cela, il y a aussi, la façon dont la société se trouve bouleversée par une crise bien plus profonde que vient mettre en lumière la pathétique histoire de Robin et de sa déchéance après avoir plongé dans la meth.
En reprenant là des thèmes qui finissent par devenir des motifs habituels de l'actuelle littérature américaine qui raconte cette Amérique des marges, oubliée, et qu'il a aussi mis en scène dans ses belles nouvelles d'Incandescence (auxquelles font aussi échos celles de Daniel Woodrell dans Manuel du hors-la-loi, pour ne citer que lui), Ron Rash réussit néanmoins à agencer un roman cohérent et court qui ne donne pas l'impression d'un trop plein de tout – de scènes d'action, de meth, de vétérans, d'introspection, de culpabilité, d'exaltation de la nature ou de dénonciation de telle ou telle politique ou attitude. Et cela ne l'empêche nullement de dire beaucoup, de forger des personnages complexes, avec leurs qualités, leurs failles, leurs défauts et leurs contradictions. Bref, c'est une fort belle manière de rendre La Noire à la vie.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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A une époque où les clivages littéraires étaient bien marqués, Patrick Reynal, alors directeur de la Série Noire, créait en 1992 La Noire, pendant de l'emblématique collection Blanche de Gallimard en empruntant la maquette, version négative, de la fameuse couverture épurée au double liseré rouge, estampillée du sigle nrf. Outre l'habillage, c'est bien évidemment dans le contenu littéraire, se situant à la lisère des genres, que réside la volonté de nous faire découvrir des textes dont l'ambition est de transgresser aussi bien les codes de l'écriture que ceux de l'intrigue qui se situe parfois bien au-delà de la résolution d'une enquête ou de la critique sociale pour nous entraîner sur des thématiques plus vastes que peuvent offrir les littératures de genre avec un rapport plus ou moins marqué avec la violence, reflet d'un monde déliquescent. Succédant à Harry Crews, James Crumley, Manchette, Larry Brown ou Jérôme Charyn, pour n'en citer que quelques uns, c'est Ron Rash qui incarne, avec son nouveau roman Un Silence Brutal, le retour de la Noire dont l'aventure éditoriale s'éteignait il y a de cela quatorze ans avec le départ de Patrick Reynal et dont la renaissance ne peut que nous réjouir.

Shérif d'un comté reculé de la caroline du Nord, dans les Appalaches, Les aspire à clôturer ses dossiers alors qu'il ne lui reste plus que trois semaines avant la retraite. Mais il lui faut encore effectuer une descente dans une de ces caravanes croulantes abritant un laboratoire de méthamphétamine et régler un conflit entre Gérald, un vieux fermier irascible et son voisin Tucker, riche propriétaire d'un relais de pêche destiné aux citadins fortunés en quête de nature. Mais la rupture est consommée lorsque l'on découvre que du kérosène a été déversé dans la rivière et que tout accuse Gérald d'avoir commis le forfait. Les n'en demeure pas moins sceptique tout comme Becky, directrice du Locart Creek Park, qui croit en l'innocence du vieillard. Imprégnée par la nature qui l'entoure, éprise de poésie et appréciant le caractère brut de Gérald, la garde-faune ne peut concevoir le geste malintentionné du vieillard qui ne peut faire de mal aux truites qu'il apprécie tant. Dans cette région perdue, la confrontation avec cette volonté du profit se heurtant à la préservation de l'héritage d'une faune qu'il faut respecter ne peut que tourner court. Une confrontation qui devient l'incarnation de deux univers que tout oppose.

Capter l'instant de la lumière d'un soleil couchant nimbant une prairie au pied des montagnes ou saisir les ravages de cette violence sociale incarnée par la consommation de crystal meth qui touche les membres des communautés les plus reculées, Ron Rash possède cette capacité à restituer la beauté et les douleurs d'une nation avec des textes sensibles, imprégnés d'émotions et de poésie. L'importance des mots choisis, la subtilité des phrases soignées, il faut donc saluer la rigueur du travail de traduction qu'a effectué Isabelle Reinharez en traduisant l'ensemble de l'oeuvre de Ron Rash pour restituer toute la quintessence d'une écriture au style épuré qui se concentre sur l'essentiel.

Avec Un Silence Brutal, Ron Rash décline sur le mode de l'intrigue policière les intrications entre les différents membres d'une petite communauté des Appalaches en se concentrant sur la posture de Les ce shérif ambivalent, doté d'une certaine sagesse, qui arrondit ses fins de mois en fermant les yeux sur les trafics des cultivateurs de marijuana mais qui a à coeur de préserver la quiétude des habitants en oeuvrant avec circonspection. Un portrait tout en nuance comme celui de Becky cette garde-faune qui porte en elle le souvenir d'une tuerie de masse dont son institutrice et ses camarades ont été victimes et que l'auteur évoque avec une belle retenue qui ne fait que renforcer la tension et l'horreur de la situation. Il en va de même pour cette descente dans une caravane sordide abritant un laboratoire de méthamphétamine qui aura des répercussions sur certains membres de l'équipe du shérif. Ainsi donc Ron Rash décline toute une galerie de personnages faillibles surmontant du mieux qu'ils le peuvent les épreuves auxquelles ils doivent faire face avec en ligne de mire cette soif de rédemption ou de pardon pour les uns ou plus simplement ce droit à l'oubli ou cette velléité de passer à autre chose pour les autres afin de se débarrasser de cette culpabilité qui les encombre.

Un Silence Brutal, c'est également l'occasion pour l'auteur de mettre en scène cette confrontation brutale avec cette Amérique clinquante incarnée par Tucker, propriétaire d'un lodge destiné aux pêcheurs fortunés, qui se frotte à un voisinage modeste personnifié par Gérald qui n'entend pas subir le dictat des plus riches n'aspirant qu'au profit. Ainsi, même dans la quiétude de ces grands espaces sauvages, Ron Rash met en exergue le tumulte du conflit des classes sociales qui atteignent l'ensemble de protagonistes en révélant la face sombre de certains d'entre eux prêts à tout pour obtenir une part des bénéfices. Roman noir, imprégné d'une force poétique fascinante, Un Silence Brutal évoque avec une rare intensité toute la beauté d'une région où la communauté doit subir les avanies d'une nation qui l'a reléguée à la marge de la société.

Ron Rash : Un Silence Brutal (Above The Waterfall). Editions Gallimard/La Noir 2019. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez.

A lire en écoutant : Sullen Girl de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Sony Entertainment Inc.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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J'ai la chance d'avoir découvert Ron Rash il y a presque 10 ans, grâce au Divan, mon extraordinaire librairie. L'addiction a été immédiate et totale. Pour moi, il est l'un des plus grands écrivains, toutes époques et nationalités confondues. L'ensemble de ses livres est d'une beauté et d'une justesse absolues. La constance dans l'excellence pour de vrai. La parution de chaque nouveau livre est un événement que j'attends avec frénésie et délectation. Habituellement, j'achète LE livre le jour de sa parution et le contemple jusqu'à l'été, le gardant précieusement pour ma PAL estivale, un peu comme l'oncle Picsou avec son tas d'or mais avec encore plus de passion.

Cette année, cela n'a pas été le cas et je l'ai lu presque à parution car grâce à Babelio et à Gallimard, j'ai enfin pu rencontrer Ron Rash et même lui parler...J'ai néanmoins conservé son livre pour le week-end juste avant la rencontre. Attendre pour mieux savourer. Pour une impatiente comme moi, cela n'arrive jamais, c'est exceptionnel, impossible même sauf que c'est Ron Rash.

Ce long préambule pour expliquer que mon attente est extrême mais avec Ron Rash et ce livre, elle est encore dépassée. le pitch semble classique : Les, un shérif à trois semaines de la retraite, se trouve confronté à une affaire mystérieuse d'empoisonnement de truites d'un relais de chasse tourné vers le tourisme. Les soupçons se tournent immédiatement vers Gérald, le vieux voisin bougon et taciturne avec lequel le propriétaire du relais, un riche parvenu, est en conflit. Sauf que Becky, la gardienne du parc naturel voisin, une poétesse solitaire "qui n'est pas autiste mais a cherché toute sa vie à le devenir" et éperdument éprise de nature, avec laquelle notre shérif entretient une relation amoureuse tourmentée ne croit pas du tout que Gérald ait pu tuer les truites qu'il aimait tant. Déjà un peu moins classique...d'autant que cette affaire ne commence qu'à la troisième partie du livre. Pas vraiment les codes du polar n'est-ce pas ???

Ron Rash est le seul écrivain qui sait aussi parfaitement et intimement mêler le noir " le gris foncé" (nous a t-il dit lors de la rencontre) et le nature writing.

La nature, celle des Appalaches, région qu'il aime tant, est omniprésente dans son oeuvre, les arbres, les oiseaux, l'eau surtout (il y a toujours une rivière dans un Ron Rash !). Il nous a dit que pour lui, la qualité de l'eau était un indicateur de l'état d'une société. Dans ce livre, l'eau a été empoisonnée...

Les personnages sont extrêmement beaux, complexes et émouvants. Tous deux ont un point commun originel : celui de ne pas savoir su (ou pu) tenir une promesse, Les avec son ex femme atteinte par la dépression, Becky envers son institutrice lors d'une tuerie d'université. Ils sont abimés et rongés par la culpabilité, Becky surtout. Je crois qu'elle est mon personnage féminin préféré depuis que je lis (de très longues années donc). Elle trouve le courage de continuer à vivre dans sa communion avec la nature et dans sa relation avec les jeunes enfants qui visitent son parc comme Ron Rash l'a justement précisé lors de la rencontre. Elle veut transmettre sa passion à tous ceux qui l'entourent.

Ce livre recèle tant de trésors qu'il est impossible de tous les évoquer. Il aborde une pluralité de thèmes avec sobriété et justesse - l'amour de la nature, les effets pervers de la technologie qui nous coupe du monde, le langage, l'amitié donnée et reçue, la difficulté du rapport à l'autre, les ravages de la meth qui broie les êtres, la culpabilité et la rédemption. L'écriture est sublime, en alternant les voix de Les et de Becky. Une totale maîtrise pour leur donner vie et voix. Ron Rash nous a expliqué avoir commencé le roman avec la seule voix de Les mais il lui manquait un ingrédient essentiel : la voix de Becky. Et quelle voix ! L'occasion pour nous de découvrir le Ron Rash poète par petites touches savamment distillées. À ce propos, j'aimerais adresser un coup de chapeau ébloui à Isabelle Reinharez qui a réalisé une véritable prouesse de traduction, avec un travail inouï sur le langage dont elle a repoussé les frontières pour mieux donner vie à l'écriture de Ron Rash. C'est une traductrice à la mesure de Ron Rash et pour moi c'est le plus beau des compliments.

Ron Rash nous a expliqué qu'il commençait l'écriture de chaque roman juste avec une image - celle de la truite pour Un silence brutal et que ses personnages s'imposaient à lui. C'est peut-être pour cela qu'ils sont si terriblement vrais...

Un IMMENSE merci reconnaissant encore à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette rencontre qui nous a permis d'aller vers Ron Rash comme les personnages de ses romans. C'était un moment vraiment fort.

(j'attends maintenant le prochain Ron Rash !)








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