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EAN : 9782493213471
320 pages
NOUVEL ATTILA (19/05/2023)
4/5   4 notes
Résumé :
Trois femmes vivant dans la même rue partagent l’obsession du temps qui passe, et le désir d’arrêter le flux fragile des choses. Chacune compense le sentiment aigu du périssable par un désir très fort de bâtir : une famille, une maison, une église. Elles n’ont
toutefois aucun moyen de se rencontrer car elles vivent à trois époques différentes.
Andreea Rasuceanu part à la recherche de l’âme de Bucarest : ses paysages, son histoire, sa modernité, ses cro... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Avec un peu plus de 90 occurrences dans le texte, Bucarest apparaît, statistiquement, presque toutes les trois pages. C'est incontestablement un véritable personnage du roman. J'aurais pu dire que la ville devient la quatrième FEMME du livre, mais hélas, en roumain il s'agit d'un masculin : symbole fort, car les trois autres femmes de ce roman historique y sont très attachées. D'aucuns, qualifient le livre de monographie historique de la ville de Bucarest plutôt que de roman, et j'aurais tendance à faire pareillement. C'est une monographie du point de vue de personnages vivant à des époques différentes où la mort rôde.

La version française de « O formă de viață necunoscută », comporte des notes très utiles, dont notamment cet avertissement du début : « Le texte se déroule à trois périodes historiques distinctes : le XVIIIe siècle, alors que la Roumanie est sous influence turque, divisée en deux principautés, la Moldavie et la Valachie ; la Première Guerre mondiale, où le pays est disputé / occupé par trois armées ennemies – allemande, bulgare, ottomane – ; et l'après-guerre, où la dictature succède très vite au mirage de la Libération. À chaque âge, le pays éprouve les menaces respectives de la peste, des bombes, et de la dictature, tout en conservant ses permanences et, sous le lustre des boulevards commerçants et cosmopolites, l'inaltérable mystère de ses vieux quartiers ».

En effet, Andreea Rasuceanu, a passé son doctorat sur une étude de la rue Mântuleasa à Bucarest. C'est un sujet qui lui tient à coeur et qu'elle maîtrise, comme nous le prouve amplement le livre.

Il y a également, et j'en félicite l'éditeur ou la traductrice qui en ont eu certainement l'idée (en effet, dans l'original cela n'y est pas) trois arbres généalogiques qui établissent les liens entre les personnages et la narratrice.

Je préfère, de loin, son autre roman, Vântul, duhul, suflarea, pas encore traduit en français.

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Prodigieux, la Roumanie empreinte de mémoire, tisse ici la langue qui octroie le sens le plus exact. La merveilleuse rencontre avec trois femmes, Stanca, Elena et Ioana.
Ce chef-d'oeuvre est un classique dès sa première majuscule.
Un livre qui perdurera pour des millénaires. Ce genre de roman socle qui encense les bibliothèques du monde.
Une référence, un incontournable et intemporel roman.
Tout ici est à retenir. Ne serait-ce que déjà le bruit furtif des pages qui viennent à notre rencontre. Une connivence avec la maturité , l'empreinte d'une trame extraordinairement dépliée et belle à couper le souffle.
La traduction perfectionniste de Florica Courriol habite le récit. On ressent d'emblée une complicité. Un rythme au ralenti, efficace et qui donne au texte la plus magnifique des polyphonies. Des croisements, des cheminements et des fragments qui vont être de mimétisme, tant l'ambiance reste constante. C'est cela le réel d'une littérature. Une lucidité indépassable et fondamentale.
Prenez soin des arbres généalogiques en premières pages. Ils sont le plan, le début d'un intrinsèque. Une déambulation dans Bucarest, la rue Mântuleasa en apogée, au plus fort de son Histoire.
Trois femmes qui ne se connaîtront jamais. Et pourtant elles vivent dans la même rue, mais les années séparent leurs habitus, leurs prises sur la Roumanie. Elles sont pourtant si gémellaires, en quête de l'âme de Bucarest. Entre la vie et la mort, le flottement des aiguilles sur cette ville qui palpite et fusionne avec les évènements.
La narratrice pénètre le seuil. Annonciatrice des turbulences, des émois, des perditions, des écueils et des attentes. Elle connaît Ioana. Conte, mais laisse son regard balayer les rais de ce lieu où elle-même a vécu. On ressent une appartenance.
« Depuis la mort de Ioana, le monde s'est écroulé, il a fait gris toute une année. Je l'ai cherchée partout désespérément… Nous ne serons plus jamais toutes les deux au même endroit. Plus jamais toutes deux au même instant ».
Elle qui a vécu dans un appartement. Elle dont la gestuelle « n'était rien de ce qu'elle avait espéré ».
Stanca qui attend son mari et qui ne reviendra jamais. D'ombre et de lumière, l'inconnu comme la mort, trouble ses pensées. L'amertume comme la mélancolie, Budapest pictural de gris et de noir. Digne et altière, apeurée et triste, Stanca est une rue désordonnée, fébrile et imprévisible.
« Stanca ne craignait pas la mort, en revanche les cimetières lui faisaient peur et notamment leurs croix de bois noirci envahies d'herbes voraces ».
Elena est enseignante en français. Petru son mari et leur fils Victor devenu mutique et sourd. Une marionnette endormie après un bombardement. L'asthme qui dévore cet enfant. « Elena comprenait les retraites hors du monde, ou du moins avait l'impression de les comprendre. Dans l'hébétude des insomnies et de la peur, tout le monde changeait de comportement. Dès les premiers sons de sirènes, les Bucarestois se précipitaient dans les caves ».
La guerre aux abois, Bucarest ensanglantée, une forme de vie imprévisible et risquée. L'inconnu fissure le miroir. Plus de traversée plausible.
Le roman est une toile de maître.
Ioana « comme une simple bougie au fond d'une maison plongée dans l'obscurité. Sa voix semblait venir de nulle part ».
la vie qui glisse et la mort qui rôde. L'idiosyncrasie d'une Roumanie en apothéose. L'écriture de renom comme une pomme que l'on croque à pleines dents, juteuse mais acidulée. L'amertume en puissance. le flou de l'inconnu. La vie et la mort comme le rocher de Sisyphe. L'insurmontable lâcher prise. Ici, vous avez tout de ce pays, ses miracles comme ses retournements, ses sables chauds, ivres de poussières et les larmes salées prêtes à éclore.
Andreea Rãsuceanu peint la Roumanie. Rassemble l'épars et ne laisse rien au hasard. Elle dessine l'étoile filante de ce pays. On est en transmutation dans les dramatiques tableaux d'un pays ployé sous les affres. L'inconnu à l'instar de l'invisible et de l'impalpable. Une rue, l'âme et la force d'un pays. L'union d'elles-Ailes. « Une forme de vie inconnue » ne s'oubliera jamais. La Roumanie comme un écho qui sonne le glas du temps passé et que l'on peut étreindre encore à l'infini. Publié par les majeures Éditions Le Nouvel Attila.


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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Elena adorait se promener sous les grands châtaigniers de ce petit tronçon : au printemps, pour les grosses inflorescences blanches qui ressemblaient à des chandeliers suspendus ; à l’automne, pour les fruits ronds qui tombaient sur le bitume avec un bruit sec.
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Ces jours-ci, M. m’a envoyé une image de Edward Hopper : un couple de petits vieux assis au bord d’un lit dans une chambre au milieu de nulle part. Leurs regards fixes, parallèles, ne se rencontreront jamais. Insérée dans le corps du mail, l’image m’a hypnotisée. Je ne veux pas que nous devenions comme eux, a-t-il écrit en gras au-dessous. Que veux-tu qu’on devienne ? lui ai-je répondu. Ça. Dans le mail, le dessin d’une forme jaune, dans un dégradé d’intensité. Un jeu abstrait de couleur et de lumière.
Ainsi serons-nous.
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La mort, n’importe quelle mort, pouvait très bien se présenter avec cette grâce et cette délicatesse, dès lors qu’elle était figurée par le pinceau d’un artiste, sur une estampe japonaise par exemple.
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Des trouées de lumière vacillante, un air pur d’antan, une odeur venue d’un autre temps. Comme si la rue avait été protégée par une cloche permettant de conserver les effluves du passé. En dehors de ce qu’elle avait appris des cours d’histoire et des quelques légendes qu’on colportait encore, quelques anecdotes et une liste de noms privés de visages, Elena regrettait souvent, dans la chaleur moite de l’été, de ne pas connaître grand-chose de la ville au milieu de laquelle ils vivaient. La véritable histoire, ils n’en connaissaient rien ; Bucarest avait la mémoire courte, n’enregistrait que quelques figures et événements singuliers, pas toujours les plus significatifs ni les plus intéressants.
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Les médecins roumains sauvaient les vies des soldats allemands avec la même abnégation qu’ils l’auraient fait pour n’importe qui. Ils n’en gardaient pas moins à l’esprit que ces soldats retourneraient sur le front tirer sur leurs adversaires roumains, dans cette guerre sans espoir et sans fin. Là n’est pas le plus grave, poursuivait le docteur Deleanu. Il était aussi inquiet à cause des évolutions de l’armement, qui causaient des blessures parfois inopérables par manque d’instruments adaptés.
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