Outrages (1990) est l'un des films les plus personnels de Brian De Palma, dont il a caressé le projet pendant vingt ans avant de réussir à lui donner forme. Le long métrage narre l'enlèvement, le viol puis le meurtre d'une jeune paysanne par une escouade de soldats durant la guerre du Vietnam, et les efforts d'un militaire, qui a refusé de participer au crime, pour faire condamner les coupables. Mais avant d'être l'un des films majeurs sur le sujet, Casualties of Wa... >Voir plus
Le livre de Nathan Rera est le plus passionnant dans sa première partie extrêmement documentée sur les éléments historiques à l'origine des récits autour de "Casualties of war / Outrages". Il est est exemplaire dans sa manière d'exposer une mise en narration progressive, ses altérations et points de vue : d'une part via le "roman" journalistique de Daniel Lang, puis dans une touchante chronique de films morts-nés et de films pirates dans les seventies (jusqu'à évoquer Wes Craven), pour aboutir à l'oeuvre de de Palma.
Maudit par son échec et atypique dans la série de films sur le Vietnam produits entre "Le merdier" et "L'échelle de Jacob", le film de 1988 perd par cette étude a l'essoreuse un peu de sa dimension singulière et de son mystère, ce qui est le mérite mais aussi la limite de l'hypercontexctualisation. Toute la partie sur le tournage, qui cherche à retranscrire les apports de chacun et à ne passer à côté d'aucun aléa, est cependant un peu longue. Des témoignages auraient peut-être pu figurer en annexes. D'autant que finalement, on se rend bien compte que de Palma l'emporte tout le temps dans le processus créatif, et impose sa lecture du récit de Lang par le prisme de sa vision morale et du cinéma : il fait fi de remarques justes de son scénariste, de Scorsese en projection, et se montre trop précautionneux en s'autocensurant de son fait sur une scène importante. On peut aussi être un peu déçu que le 'remake' "Redacted" ne soit que survolé : il y avait peut-être encore à jouer sur les fantômes ultérieurs du film finalement réalisé, autant que sur les fantômes des films inachevés.
En revoyant "Outrages" hier soir pour finir, je me rends compte aussi que la découverte récente de l'économie et du cinglant du livre de Daniel Lang participe aussi à me rendre le de Palma bien moins fort. Je suis plus gêné par l'incarnation boy-scout et trop héroïque de Michael J.Fox notamment : l'Eriksson du livre de Lang est autrement passionnant dans son conflit moral, et mystérieux. Je crois que de Palma en est resté à une innocence brisée et à la corruption métaphorique au coeur de toute son oeuvre : une révolte et un abattement presque romantique qui est la force première de son film, de ses moments oniriques et de ses blocs d'émotions, mais aussi sa limite hors du genre.
À ce titre je ne suis pas certain qu'il faille militer pour, comme le fait l'auteur, faire de ce film une oeuvre féministe qui peut répondre au post me-too, à la question du male gaze ou à la culture du viol. "Redacted" le fait peut-être mieux dans mon souvenir, même si la scène ambiguë ou Eriksson soigne Oahn provoque le regard du spectateur. le film de de Palma présente surtout une bande de soldats vue comme des enfants perdus, même dans leur rapport au ressentiment et à la virilité, ce qui est une limite : qu'ils soient soumis au leader dans une logique de groupe , ou rêveurs égarés (dont l'incarnation de Fox manque quelque peu la dimension morale et coupable). le monde "adulte" n'étant représenté que par l'institution militaire et son énergie forcenée et très violente à démonter la prise de conscience individuelle, à couvrir ce qui dérange. C'est fort mais assez court en dernière partie, et il demeure avec l'interprétation des soldats que leurs actes restent attachés à une "chaîne" de corruptions qui a sa limite ici.
J'ai été notamment frappé dans cette nouvelle vision du film par la manière dont de Palma est focalisé sur le personnage de John Leguizamo dans la scène du viol et du meurtre d'Oahn. le pathétique "enfantin" du personnage, une forme de chute initiatique dans dans sa dignité, prend dans cette situation plus de place que la victime (qui elle-même dans sa figuration représente quelque chose de l'enfance), quand bien même de Palma reste très attentif à la représentation du crime et de l'horreur.
Concernant Oahn, la lecture de Nathan Rera de l'imaginaire et de la représentation des victimes de guerres et de génocides reste cependant très intéressante, mais là aussi on aurait préféré que çà soit plus développé dans l'iconographie, que ça prenne le pas sur d'autres éléments plus anecdotiques. Reste un livre dense et immanquable si ce film représente quelque chose de fort et d'intime dans sa vie cinéphilique, ou dans son intérêt pour l'histoire. En dépit de toutes les nouvelles limites que je lui trouve à l'issue de ces lectures et de ce nouveau visionnage, "Outrages" demeure un film très important dans mon 'panthéon' personnel.