Thomas vit avec son père Luc, un pêcheur. Sa mère n'est pas là, il ne sait pas pourquoi, car son père ne lui a jamais expliqué; jamais expliqué que sa mère Catherine était morte en couches. Luc a trop mal d'y penser, et aussi bien trop peur que cela fasse mal à Thomas de lui dire ça. Il ne lui explique donc rien, et alors Thomas imagine... que sa mère l'attend peut-être sous les flots. Ce silence douloureux et cette imagination enfantine vont plonger Thomas dans la mer, au risque de la noyade, au risque que Luc, après sa compagne, perde aussi son fils.
Ce très beau livre de la collection trimestre (n°11), édité en mars 2014 chez Oskar editeur ne parle pas vraiment de sirènes, mais plutôt de l'absence d'un être cher, et de l'importance de la communication parents-enfants : Luc cache la vérité à son fils pour ne pas le peiner, Thomas cache son interprétation des faits à son père pour ne pas l'inquiéter. Un mutisme qui mènera au danger.
C'est ce silence qui fera que Thomas se dirigera vers la sirène, et non par des sons mélodieux; c'est une sirène sans chant. La séduction qu'elle exerce sur l'enfant est tout simplement d'être sa maman, vivante mais empêchée de le rejoindre à cause de sa queue de poisson....
Quand son père se rendra compte qu'en laissant l'enfant dans le silence il l'enferme dans un monde de contes, qu'il l'infantilise et le désarme face à la réalité rude et froide, d'une façon qui peut le mener à la mort, il devra le sauver de son filet, ce filet ambivalent dans lequel « chaque jour il [...] enferme quelques larmes » et qui est peut-être composé des " fils qui empêchaient Luc de parler »...
L'écriture de Benoît Broyard est très accessible: bien que la nouvelle fasse 23 pages au total, les phrases sont courtes et simples, dénuées de pathos, et pourtant cachent des abîmes d'émotion, sans jamais faire appel à des points d'exclamation ou du vocabulaire savant. Certaines formules sont d'une belle poésie. le texte est sobre, limpide, rien de superflu ; beaucoup de choses sont laissés à l'imagination des lecteur/rices: âge de Thomas, le lieu, le temps... Ce flou dont on s'aperçoit à peine permet à l'histoire d'aquérir une relative universalité, de parler au plus grand nombre.
Les graphismes de Laurent Richard répondent au texte à chaque page : une illustration pleine page à gauche, à droite le texte. Tout comme l'écriture, les dessins en bichromie bleue sont sans esbroufe, bien que d'une certaine complexité : montages de dessins, de vieilles photos, de gravures, de textures de cartes maritimes, de découpages, il me faut bien avouer que les visuels que j'avais pu apercevoir de ce livre sur le blog "1 page lue chaque soir" de VanessaV m'avaient de suite séduite ! le jeu de miroir entre les pages 24 et 34, entre moment rêvé et moment réel, est aussi très réussi. Il y a un certain humour doux dans ces illustrations, qui apporte de la respiration à un récit qui pourrait prendre un peu trop à la gorge autrement.
Un très bon livre!
(la critique complète, ainsi que quelques images, sur mon blog http://sirenologie.canalblog.com/)
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