Quelquefois, le soir, il s'en allait secrètement glisser, dans la boite du Journal de La Rochelle, une de ses copies de poète. Le lendemain, le journal publiait, sans nom d'auteur, le poème ou le récit, ou le morceau de critique. Et tout le monde le signait sans hésitation du nom d'Eugène Fromentin.
Il commençait à dessiner, à peindre. Son père, le docteur morose, lui inculqua, puisqu'il était lui-même un artiste amateur, et point maladroit, les rudiments du métier. L'heure était cependant venue de choisir pour cet enfant une carrière sérieuse.
Il possède désormais cette conviction très ferme, sur laquelle s'appuiera tout son effort de peintre et d'écrivain, que l'artiste, loin d'imiter les maîtres, doit s'inspirer uniquement de lui-même, de ses émotions et de ses souvenirs, et qu'il doit, s'il a l'ambition de parler un langage original, nouveau avec sincérité, appartenir à un pays, en refléter l'image, en répéter l'accent. Il ne fut, en effet, lui-même un déraciné qu'en apparence. Au fond de sa conscience résonnait toujours l'écho de sa patrie.
Il suivait nonchalamment les cours de l'École de Droit, avec assiduité les leçons de Michelet, de Quinet, de Sainte-Beuve, à la Sorbonne. Il apprenait, curieux de la beauté des oeuvres humaines, à aimer Paris, et aux alentours, Versailles, Saint-Germain, Montmorency, les paysages pittoresques qui associent au charme de la nature les clartés glorieuses de l'histoire. Il dessinait de plus en plus, sans maître,la forme changeante des choses, et retenait dans ses dessins, autant qu'il le pouvait, le frémissement caché des âmes.