Mon avis :
Le tour du monde du roi Zibeline est le genre de livre qui a la faculté, dès les premières lignes, de m'accrocher un sourire de satisfaction sur le visage. L'apparente simplicité de l'écriture ne souligne que mieux la qualité d'un texte peaufiné jusqu'aux moindres détails. Tout est à sa place, ajusté avec rigueur et précision. Dans le monde de l'automobile : les plus grands carrossiers l'ont bien compris, si la perfection est dans le détail, l'élégance a besoin de sobriété et d'harmonie. C'est grâce à cette évidence que provoque la pureté de leurs lignes que certains modèles sont devenus éternels, hors des modes et des tendances. Cette même alchimie irrigue la plume de
Jean-Christophe Rufin, qui fait que l'on reconnaît au premier coup d'oeil la création d'un maître-artisan.
Comme il est dit dans le résumé, le roi Zibeline n'est pas un personnage de fiction, mais un aventurier bien réel doublé d'un homme cultivé, né dans la noblesse hongroise du XVIIIe siècle. Maurice Auguste Aladar Beniowski, de son vrai nom, a déjà inspiré plusieurs écrivains, principalement au XIXe et début XXe siècle. Sa vie était connue puisqu'il avait lui-même écrit ses Voyages et ses Mémoires, en français, édités à Paris en 1791. On en trouve d'ailleurs une édition moderne, sous le titre « Mémoires et voyages » (784 pages), parue aux éditions Phébus en 2010.
Jean-Christophe Rufin, comme ses prédécesseurs, disposait donc du matériau pour bâtir son récit.
N'ayant pas lu les oeuvres des autres auteurs, je me garderais de faire une comparaison, d'autant que celle-ci serait certainement difficile étant donné l'usage très différent qu'il a été fait du personnage : Juliusz Slowaski en a fait le héros d'un poème, Kotzebue le met en scène dans un drame, Louise Muhlbach dans l'un de ses romans,
Alexandre Duval en fait un opéra comique et
Prosper Cultru en a écrit la biographie. le livre de Rufin est également une biographie, mais romancée, et construite avec une mise en abyme, puisque c'est Beniowski et sa compagne, les héros du roman, qui racontent leur propre histoire. le récit tient donc à la fois du huis clos (tout se passe dans la même pièce, dans l'appartement de Benjamin Franklin) et du roman d'aventures, tant la narration du couple nous fait voyager dans différentes parties du monde. Les changements de voix permettent éventuellement au lecteur de souffler, à l'instar de ce pauvre Franklin vieillissant et mal en point, mais surtout à l'auteur d'explorer différentes facettes du roi Zibeline, car, si l'on connaît bien ses faits et gestes, Beniowski, dans ses écrits, a peu livré de lui-même. Pour ainsi dire, le squelette existait, il restait à y mettre de la chair. Et c'est cela que
Jean-Christophe Rufin a merveilleusement accompli.
Le tour du monde du roi Zibeline ne peut que séduire le lecteur, d'abord par sa qualité littéraire, ensuite parce que ce récit est aussi captivant qu'édifiant et qu'il s'adresse autant aux férus d'histoires qu'aux amateurs d'aventures.