Qui a envie de croiser un jour
Baron Samedi, alias Baron Cimetière, le lwa des morts, qui porte un haut de forme et des lunettes? Après avoir lu la trilogie de
Tonton Clarinette signée
Nick Stone, pas moi. Heureusement, il n'apparait qu'à la fin du roman, roman qui débute avec l'héritage providentiel d'un oncle d'Amérique.
Michel Lentenoy, Parisien bon teint, devient du jour au lendemain propriétaire d'une maison sur les bords de la West Pearl River, près de la Nouvelle-Orléans. Il fait connaissance (bibliquement) avec deux femmes, une créole et une quarteronne, vadrouille dans le bayou, visite le Vieux Carré, et fasciné par le passé de la ville, décide de découvrir l'univers du vaudou. Grace à des rencontres opportunes, Lentenoy évite les pièges à touristes et les quimboiseurs de pacotille pour bénéficier d'une véritable initiation.
Jacques Sadoul l'abandonne parfois à ses découvertes et nous propulse dans le passé de la Nouvelle-Orléans sur les traces, dès 1819, de la mythique Marie Laveau, prêtresse vaudou, qui fut l'une des femmes les plus puissantes de la ville et dont le souvenir est encore très présent.
Les aventures de Lentenoy, naïf, curieux un peu falot, pour ne pas dire cucul la praline ont le mérite de nous donner à voir ce qu'il reste du vaudou et de la présence créole à Big Easy au-delà des ersatz attrape-touristes. Mais le lecteur se demande parfois quel est ou sera le lien entre les deux récits, espérant de ne pas tomber sur le Maître des Carrefours au détour d'un chapitre pour lui indiquer la direction à suivre…
La partie consacrée à Marie Laveau est la plus intéressante. L'auteur fait revivre une société extrêmement codifiée, socialement et racialement (on comprend enfin les écrits de Saint-Méry sur la théorie arithmétique de l'épiderme dans les colonies), qui vit son chant du cygne. Après la vente de la Louisiane, le monde créole se meurt. Mais avec la révolution de Saint-Domingue il s'est soudain enrichi d'une importante communauté d'exilés, planteurs blancs, milliers d'esclaves et libres de couleur qui vont raviver le vaudou et le français.
Baron-Samedi offre donc un beau voyage dans une ville unique où les libres de couleur, hommes et femmes, pouvaient exercer des fonctions importantes, et où la liberté de moeurs, légèrement occultée derrière des persiennes quand même, était totale. le romancier
Lafcadio Hearn ne s'y était pas trompé: “Times are not good here. The city is crumbling into ashes. It has been buried under taxes and frauds and maladministrations so that it has become a study for archaeologists...but it is better to live here in sackcloth and ashes than to own the whole state of Ohio.” ( Inventing New Orleans: Writings of
Lafcadio Hearn). Et ça tombe bien, Sadoul en a fait l'un de ses personnages. Rien que pour cela, le roman vaut bien trois étoiles.