LXII. Vois ce qu'a fait un certain architecte de Cnide ! Il avait construit la tour de Pharos, ce rare et merveilleux édifice, du haut duquel un feu éclairait au loin les navigateurs, pour les empêcher d'aller se jeter sur les brisants de la côte difficile et impraticable de Parétonium. Après avoir achevé son ouvrage, il y grava son nom fort avant dans la pierre, et le recouvrit d'un enduit de plâtre, sur lequel il écrivit le nom du roi qui régnait alors. Il avait prévu ce qui devait arriver. Au bout de quelques années le plâtre tombait avec les lettres qu'il portait, et l'on découvrit cette inscription : « Sostrate de Cnide, fils de Dexiphane, aux dieux sauveurs, pour ceux qui sont battus » des flots. Ainsi cet architecte n'a pas eu en vue le moment présent, le court instant de la vie, mais l'heure actuelle et les années à venir, tant que la tour serait debout et que subsisterait l'œuvre de son talent.
LVI. La brièveté est utile partout, et notamment quand on a beaucoup à dire ; mais elle doit moins consister dans les mots et dans les expressions que dans les faits. Je dis toutefois que, s'il faut simplement effleurer les faits qui manquent d'intérêt et de valeur, on doit insister sur ceux qui ont de l'importance ; néanmoins, il y en a beaucoup qu'on peut omettre. En effet, si pour traiter vos amis, vous avez fait préparer un festin, vous n'irez pas, au milieu des gâteaux, des volailles, des plats choisis, des sangliers, des lièvres, des ventres de truies, servir une sardine, un plat de purée ou tout autre ragoût ; vous négligerez cette nourriture commune.