Tout commence à un croisement, dans la rue d'une ville anonyme. Lorsque le feu passe au vert, toutes les voitures démarrent. Toutes, sauf une. Celle d'un homme devenu subitement aveugle dans sa voiture.
Un autre homme lui vient en aide et le ramène chez lui. Sa femme rentre. Elle l'emmène chez l'ophtalmologue qui ne décèle rien d'anormal, ce qui l'intrigue énormément. Dans la soirée, il se penche sur ses ouvrages scientifiques dans le bureau de son appartement. Jusqu'à ce que comme l'homme du croisement, il ne voie plus qu'un écran blanc.
L'ophtalmologue est aveugle, la femme du premier aveugle est aveugle, l'homme qui lui est venu en aide est aveugle. Une épidémie de cécité s'abat sur le pays.
Les autorités sont dépassées. L'épidémie se propage et tout juste a-t-on le temps d'enfermer les premiers cas en quarantaine, dans un ancien asile d'aliénés. C'est là que vont se retrouver les premiers aveugles que nous avons rencontrés, y compris la femme de l'ophtalmologue qui se déclare aveugle pour pouvoir rester avec son mari.
Contre toute attente, elle est la seule à ne pas perdre la vue. Et donc la seule qui pourra assister de ses propres yeux à la perte de repères de ses congénères, tant spatiaux que sociaux. Les aveugles sont livrés à eux-mêmes. Personne pour leur indiquer où sont les toilettes, pour vérifier que tout le monde a bien sa part de nourriture, pour leur dire si c'est le jour ou la nuit.
Ces gens sont parqués dans les dortoirs et advienne que pourra. La déshumanisation se fait de plus en plus insistante à mesure que le roman progresse, sous le regard discret de la femme du médecin qui ne peut pas dévoiler qu'elle voit encore, sous peine de devenir l'esclave de son dortoir. Elle assiste à tout : ceux qui défèquent dans le couloir, ceux qui copulent dans un coin, ceux qui pleurent en silence. Chacun se bat pour survivre, jusqu'à ce que l'innommable soit atteint.
On n'est pas sans penser à un roman post-apocalyptique. Il faut faire face à des situations inédites, avec une perte de repères totale qui va au-delà de la perte de la vue. Il faut sauver sa peau, quitte à commettre des actes autrefois impensables.
Il peut être difficile d'entrer dans ce texte dont les caractéristiques peuvent rebuter plus d'un lecteur moyennement motivé. Notamment pour les nombreux dialogues, qui ne sont pas lisibles d'emblée. Ils sont regroupés dans un bloc, les répliques se suivent et on sait qu'on passe d'un personnage à l'autre par l'emploi d'une virgule et d'une majuscule.
Saramago utilise de longues phrases, certains passages peuvent perdre la concentration du lecteur. Enfin, les personnages ne portent pas de nom ; ils sont désignés par leur fonction.
Pour autant, on s'attache rapidement à ces personnages. Non véritablement pour ce qu'ils sont mais pour l'injustice subie : le malheur qui leur tombe dessus sans que ne perce l'espoir d'un jour meilleur. On les suit dans leur quotidien, qui sera marqué par de nombreux rebondissements, en se demandant comment tout cela va se terminer.
L'aveuglement n'est pas un roman accessible à tous, non pas qu'il faille être d'une intelligence supérieure, mais parce qu'il demande un effort de la part du lecteur. C'est un effort qui vaut le coup et je suis très contente d'avoir franchi le pas !
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