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sur 1360 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'Aveuglement” est le roman le plus captivant qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps mais aussi celui que j'ai refermé avec le plus grand soulagement. Son atmosphère oppressante et nauséabonde, rien que d'y penser j'en ai la chair de poule !

Imaginez une pandémie qui, en quelques semaines, frappe de cécité la population dans son ensemble ! La dimension extraordinaire et brutale du cataclysme empêche la mise en place de la moindre organisation salvatrice et engendre un chaos absolu.
Sans eau, sans électricité, les aveugles errent en groupes disparates à la recherche de nourriture qui jour après jour se raréfie dans les magasins saccagés. Les personnes les plus vulnérables expirent dans la rue au milieu des voitures abandonnées et des déjections de toutes sortes. Les cadavres encore chauds sont la proie de chiens faméliques, de rats énormes, d'oiseaux nécrophages...
Le lecteur accompagne un groupe d'une dizaine de personnes, les toutes premières victimes du fléau mises en quarantaine, qui dans son malheur a la chance inespérée de compter en son sein une femme qui voit encore. Cette dernière par prudence feint la cécité et seul son mari, médecin ophtalmologue, est au courant de cette heureuse anomalie du destin.

Avec “L'Aveuglement”, paru en 1995, le futur Nobel José Saramago signe une fiction incroyablement réaliste dans laquelle la bestialité prend rapidement le pas sur toute humanité. Heureusement le comportement altruiste et l'intelligence de la femme du médecin atténuent quelque peu la noirceur ambiante !
L'étrangeté de cette fiction est encore accentuée par la syntaxe singulière de l'écrivain portugais chez qui la virgule est reine.

Constamment collé aux basques des protagonistes dans leurs déplacements à tâtons, le lecteur sidéré par le degré apocalyptique de l'intrigue fera jusqu'au dénouement... les yeux ronds.
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Réglez vos mirettes !
Ni vu, ni connu, imaginez qu'un bonhomme, puis deux, puis trois, puis beaucoup, les enfants, les femmes, les construits, les déconstruits, les mal construits, les reconstruits et les bien foutus, everybody en body ou en peignoir, perdent subitement la vue au volant de leur voiture, pendant une séance chez un ophtalmo ou en beurrant des tartines.
Pas vu pas pris ? Et bien si. le gouvernement tente d'enrayer l'épidémie en réquisitionnant un hospice abandonné pour enfermer les victimes et les cas contacts. Quelques aveugles de naissance égarés sont également enfermés, principe de précaution oblige. L'armée est chargée de les rationner avec ordre de tirer à vue en cas d'évasion.
Dans cette quarantaine forcée, à la solidarité initiale entre victimes va succéder le pire et le meilleur de l'humanité. Pour ne pas abandonner son mari devenu aveugle, une épouse, bon pied bon oeil, s'est laissée enfermer avec les obtus de la cornée et va tenter de sauver son mari et ses anciens patients : un enfant bigleux, une jeune fille aux lunettes teintées, un vieillard au bandeau noir, le patient 0 et un voleur de voitures en bonus.
Comme la cécité a touché aussi bien de bons samaritains que de viles crapules, la loi du plus fort s'instaure au sein de cette communauté fortiche à Colin-maillard, où s'entassent plusieurs centaines de malades. En mode survie, revenus à l'état de nature, les besoins primitifs de chacun priment peu à peu sur toute humanité. C'est oeil pour oeil. Tout le monde peut se garer sur les places pour handicapés.
Je vous conseille d'acheter cette fable immorale du prix Nobel Portugais les yeux fermés. Ce texte, paru en 1995, n'est pas seulement dérangeant et passionnant, il nous rappelle de la façon la plus crue, dans un récit qui n'épargne aucun détail, qu'il est plus important d'observer que de voir sans regarder. L'auteur tape aussi comme à son habitude sur les pouvoirs autoritaires et sur l'individualisme.
Je n'ai pas suivi cette histoire en confiance comme un aveugle suit son labrador sur un passage piéton. José Saramago m'a fait traverser une autoroute les yeux bandés derrière un caniche. Il fait du lecteur un voyeur, détaillant ce que les personnages ne peuvent plus voir, les impudeurs, la saleté, l'oubli de soi et un rapport au corps débarrassé du regard des autres. Pratique pour se balader à poil dans son jardin mais un brin humiliant quand il s'agit de fréquenter les toilettes publiques en nocturne. Cette cécité protège finalement ses personnages de l'ignominie qu'ils supportent.
Ce roman, adapté au cinéma dans un film que Julianne Moore ne parvient pas à sauver malgré son talent ( « Blindness – 2008), prend une dimension de récit post apocalyptique quand les personnages quittent leur prison et tentent à tâtons de parcourir une ville où la recherche de nourriture constitue l'unique raison de vivre.
L'auteur portugais n'a jamais été tendre avec la religion mais ce roman a une résonnance biblique avec la parabole du Christ pour les pharisiens : « Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous les deux dans la fosse. » Source Evangiles selon Luc, Matthieu et Wikipédia qui marche aussi avec les moutons. Brueghel en a fait un tableau, forcément très gai.
Il faut croire qu'il n'y a pas que l'amour qui rend aveugle.
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Science-fiction et Prix Nobel peuvent cohabiter et même faire bon ménage : L'Aveuglement est un roman de José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, et seul auteur portugais à avoir eu cet honneur.

Un homme au volant de sa voiture ne redémarre pas au feu vert. Concert de Klaxons et protestations n'y feront rien : l'homme est subitement devenu aveugle! C'est inquiétant et intrigant, mais très vite on comprend que c'est le cas index d'une série interminable de cécités subites : le seul contact visuel avec une personne atteinte par ce « mal blanc » (ces aveugles-là ne sont pas plongés dans les ténèbres mais dans un vide blanc), provoque la maladie.

Rapidement les autorités réagissent et parquent les sujets atteints dans un hôpital psychiatrique désaffecté. Les conditions sont ultra-précaires et rapidement les parias sont confrontés à des obstacles de toutes sortes, et à des conditions d'hygiène épouvantables. Et une femme parmi eux s'en rend compte de manière plus aiguë que les autres puisqu'elle est la seule à ne pas être atteinte. Elle a juste feint le handicap pour accompagner son mari.

Lorsque les cas se multiplieront au dehors, l'existence des reclus, plus de trois cent dans des locaux destinés à recevoir nettement moins de pensionnaires, les conditions de survie deviendront inhumaines. Et c'est alors que se manifeste la part animale de l'homme.


Autant dire que le récit est terrifiant et l'empathie nous fait souffrir avec eux. Peu importe que l'idée de départ soit peu crédible. Les conséquences, elles, sont totalement plausibles. Et l'horreur de la dégradation physique et des souffrances charnelles est amplifiée par l'infamie des outrages psychologiques. C'est glaçant.

Le style est particulier et demande une attention soutenue : les dialogues ne sont pas séparés du récit, les phrases, juste sépares par des virgules, ce qui oblige à s'interroger sur qui dit quoi. Difficile de juger de la traduction, mais le style m'a plu parfois bizarre.

D'autres particularités rendent ce récit singulier, comme l'absence d'identité des personnages, nommés en fonction des circonstances qui les ont introduits dans le roman : la femme du médecin, le premier aveugle, le chien des larmes…

C'est un roman marquant. Merci à Gwen21 pour ce cadeau.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Il était temps que j'écrive quelque chose à propos de ce roman alors que nous sommes en plein confinement à cause de cette pandémie du Coronavirus. Car, il s'agit bien d'une situation semblable dans ce roman où une épidémie des plus étranges se propage dans une ville pour atteindre tout le pays et se propager à travers le monde.

L'aveuglement est un roman atroce où le réalisme d'une situation imaginaire renforce cet aspect cruel de l'histoire. José Saramago conduit en maître la trame de son roman en décrivant jusqu'à où l'humanité entière peut s'abaisser et atteindre une bestialité hideuse. En effet, on suit le parcours d'un groupe de personnes, dont le nom n'est pas mentionné et qui sont mises en quarantaine après avoir été contaminées par une maladie étrange ; une cécité blanche ! Au fur et à mesure que l'épidémie se développe et que la base où étaient enfermées ces personnes reçoit d'autres malades, on assiste à une dégradation totale des principes et des moeurs. La panique et l'envie de survivre les poussent à faire des comportements inhumains. Tout cela on le voit grâce à la femme de l'un des malades ; la seule qui peut voir, par bonheur ou par malheur car elle sera témoin de toutes ces ignominies.

Ainsi, la perte de la vue entraîne la perte de ce garde-fou contre le mal. Les aveugles ne voyant plus rien se permettent tout et sachant que personne ne les voient, ils se sentent plus libres dans le manque de tout contrôle moral ou pénal. Par contre la cécité a permis aux gens de découvrir, de « voir » leur véritable nature, de sonder leur côté caché, presque diabolique. Car précisément ils étaient « des aveugles qui voient, Des aveugles qui, voyant, ne voient pas ».

Cette histoire des aveugles guidés par cette femme, comme l'image de la liberté guidant le peuple, au milieu des excréments, des cadavres et des ordures, est une horrible satire de l'infamie de l'Homme et de sa faiblesse ; son insignifiance. Cette femme réussit à les aider à survivre (surtout le groupe qu'elle guide) mais elle ne pourra pas, malgré ses efforts, à les tirer de leur bestialité. Cette histoire où les noms des personnages et des lieux sont absents prend une dimension universelle et répond parfaitement à la définition du roman selon Kundera puisqu'elle décrit mieux que n'importe quel essai la condition humaine. Chose ironique, le titre original est "Essai sur la cécité".

Le style de Saramago est assez singulier (pour ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de lire ses romans). Les dialogues ont une forme inhabituelle puisque récit et dialogue ne sont séparés ni de tirets ni de guillemets ; seules, des majuscules nous informent du début de chaque réplique et du changement des interlocuteurs. La narration dense et compacte nous tient en suspens et l'on se voit parcourir des paragraphes qui s'étalent sur plusieurs pages et où la virgule est la reine. Mais dès qu'on s'habitue à son style particulier, on entre dans le jeu de Saramago.

Le roman est d'une profondeur remarquable, et sincèrement on ne sort pas indemne de cette lecture. Malheureusement, son adaptation cinématographique n'était pas à la hauteur de ce roman.
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Mon histoire avec Saramago est plutôt particulière. Elle a commencé il y a presque 15 ans, en même temps que mon attirance pour les prix Nobels. C'est sans doute le premier auteur récompensé par le prix que j'ai lu parce qu'il l'avait été. Après m'être rendu compte que trois de mes auteurs préférés (Camus, Faulkner et Garcia Marquez) étaient tous trois lauréats, j'ai commencé à regarder plus attentivement la liste complète. Et, ayant trouvé un livre de Saramago dans ma bibliothèque, j'ai donc commencé la découverte par Histoire du siège de Lisbonne, loin d'être un des plus connus de l'auteur. J'ai continué par L'année de la mort de Ricardo Reis, Cain... là encore des livres plus confidentiels de l'auteur. Et ce n'est que plus récemment que j'ai lu L'autre comme moi (après avoir vu l'adaptation ciné Enemy de Denis Villeneuve), déjà plus connu. La route me mène donc tout droit à L'aveuglement, sans doute le best-seller de l'auteur, en tout cas le plus lu sur ce site.

Comme pour la grande majorité de ses livres, Saramago commence par une idée simple mais forte. Ici c'est "Et si tout le monde devenait aveugle". A partir de là, il développe son style propre, fait de longs paragraphes à la ponctuation frustre, surtout composée de virgules. Les dialogues s'entremêlent, une petite musique s'installe. Les phrases trop bien construites sont le plus souvent ironiques mais on n'est pas à l'abri au détour d'une page de voir débouler la poésie, l'émotion, le sublime.

En partant de cette première idée simple, l'auteur semble vouloir en explorer toutes les implications, et il nous plonge avec lui dans les méandres de cette obscure clarté subie par ses protagonistes. On plonge ici surtout dans l'horreur de la situation, on descend à chaque chapitre d'un étage supplémentaire alors qu'on croyait être descendu au plus bas. Les conséquences les plus "quotidiennes" de cette cécité globale progressive sont explorées jusqu'à l'écoeurement. le questionnement est politique au premier abord, avec la gestion de la crise, mais dérive vite vers le religieux, le sociologique, l'existentiel pour venir questionner en profondeur notre humanité et ce qui en fait l'essence. On ne peut à certains moments que faire certains parallèles avec la crise sanitaire actuelle et sa gestion (et on en vient à se dire qu'on a quand même évité le pire !) et on se dit qu'une épidémie qui handicape les gens d'un sens est sans doute plus terrible que celle qui les tue... surtout si la contamination devient aussi rapidement globale.

A la fin de l'ouvrage, je me dis que Saramago reste lui-même, dans ses plus grands succès comme dans les livres plus confidentiels. Ce qui a sans doute fait le succès de celui-ci est l'effet plus "choc" de la grande idée de base, qui ne peut qu'interpeller tout lecteur, d'où qu'il soit dans le monde. Et c'est sans doute ce qui a aussi contribué à sa Nobélisation, survenue seulement 3 ans après la parution du roman.
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Au feu vert, les voitures s'élancent mais dans une file d'attente une voiture est arrêtée, les klaxons s'acharnent, des conducteurs excédés sortent pour pousser la voiture encombrant la circulation, mais l'homme à l'intérieur, paniqué, gesticule et crie : « je suis aveugle »… C'est le début d'une indicible épidémie qui s'abat sur le pays à une vitesse foudroyante, les gens sont subitement frappés par une lumière blanche et aveuglante. Seule une femme n'est pas touchée par l'épidémie, ses yeux deviendront précieux pour ces aveugles privés de tout repère.

La prunelle de nos yeux est précieuse mais savons-nous voir l'essentiel, «sommes nous des aveugles qui, voyant, ne voient pas ». Faut-il devenir aveugle pour réellement voir ce qu'il y a de plus caché en nous. Bandez vos yeux et imaginez ce que serait le monde si nous devenions tous aveugles. Saramago l'a étonnamment imaginé et nous raconte ce que serait le monde sans nos yeux.
Un roman paradoxalement lumineux qui m'a entrainée parmi cette horde d'aveugles anonymes, perdus et réduits aux mêmes conditions.
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L'Aveuglement (1995) est un grand livre, le genre qu'on n'oublie pas. José Saramago (1922-2010) est d'abord un conteur hors-pair. Il part d'une situation banale, des voitures qui attendent au feu rouge, vous présente un petit nombre de personnages ordinaires et les plonge peu à peu dans un monde terrible, apocalyptique. Sa phrase est sinueuse, labyrinthique, avec beaucoup de rythme. Et puis sa voix vous guide au milieu de celle des personnages avec sa petite lampe à huile quand vous êtes perdu dans l'allégorie, ou que vous êtes trop éprouvé par la cruauté des hommes. Il digresse volontiers avec une explication en aparté, un proverbe ou bien un dicton qui vous arrache un sourire tout en créant une connivence rassurante.

Un automobiliste arrêté devant un feu de circulation se trouve soudainement plongé dans une blancheur aveuglante. C'est le premier aveugle. Un homme serviable le ramène chez lui. Il lui volera sa voiture. L'automobiliste et sa femme se rendent chez l'ophtalmologiste. Dans la salle d'attente, un petit qui louche, un vieillard portant un bandeau, une jeune femme aux lunettes teintées. L'ophtalmologiste qui l'examine consciencieusement ne peut rien pour l'automobiliste. le soir en plein désarroi le médecin se confie à sa femme dévouée. le lendemain il est aveugle. Suivront la fille aux lunettes teintées en plein travail, le petit garçon louchon etc. La femme du médecin est la seule qui continue de voir. Elle décidera de simuler la cécité pour demeurer avec son mari. Les autorités sanitaires prévenues par le médecin placent le groupe en quarantaine dans le dortoir insalubre d'un ancien hôpital psychiatrique désaffecté.
Livrés à eux-mêmes, avec pour seul lien avec le monde extérieur, la voix mécanique d'un fonctionnaire qui leur donne des ordres à travers un micro, ils s'organisent tant bien que mal. Mais bientôt arrivent d'autres aveugles de plus en plus nombreux, de plus en plus affamés, de plus en plus sales. Les aveugles sont alors plongés dans la plus répugnante des promiscuités. Les gardiens apeurés reçoivent l'ordre de tirer à vue en cas de tentative d'évasion. Une horde de scélérats confisque la nourriture et réclame des femelles en échange de rations. Dans le groupe que nous suivons, la femme qui voit guide les autres…
Les personnages n'ont pas de nom, ils sont désignés par leur fonction ou par un détail physique qui les rendent proches et universels. Sans repères et sans regard sur eux-mêmes, les âmes sont nues et les corps sans pudeur. Chaque homme révèle sa vérité individuelle : impuissance, bassesse, lâcheté, cruauté mais aussi courage, sens du sacrifice. Les besoins primaires prennent le dessus sur tous les beaux discours. La peur paralyse le système démocratique et engendre la violence aveugle des soldats. A l'intérieur du groupe, l 'individualisme ne mène à rien face au chaos, à la violence. Mais comment s'organiser ? Comment se défendre ? La femme qui simule la cécité est plus lucide et clairvoyante que les autres mais souffre de voir l'horreur. Il est plus facile de se voiler la face et de détourner la tête. Son mari, le médecin dira à la fin du livre : « Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles. Des aveugles qui voient. Des aveugles qui, voyant, ne voient pas. »

Merci Chrystèle !
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Une logorrhée, un fleuve, un océan : voilà le style de José Saramago.

Une catastrophe : une maladie, le « mal blanc » s'abat sur l'humanité. Tous deviennent aveugles, sauf une seule femme. Effroi, puis mise en quarantaine dans la désorganisation la plus totale, et fuite de cet enfer…pour aller où ? : voilà l'histoire de « L'aveuglement ».

Des dialogues qui s'emmêlent, des gestes qui se lient les uns aux autres, des paroles qui font mouche, des pensées essentielles, des dictons opportuns, tout raconte la vie, le destin de l'homme, l'entraide, l'amour, la sexualité, la sauvagerie, l'instinct de survie : voilà la philosophie de « L'aveuglement ».
« Qui parmi nous se considère encore aussi humain qu'il croyait l'être avant ? »

J'ai été entrainée sans être capable d'opposer quoi que ce soit comme résistance. Emportée dans ce roulis sans fin des mots qui déchirent, qui décrivent avec dureté l'épouvante des hommes privés de la vue, qui aident aussi à vivre.
Magnifique roman sans aucune respiration, sans temps mort, même si les morts sont nombreuses.
Parce que la vie est là et nous force à tenir.
Parce que les mots existent pour être prononcés et agir.
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Difficile de ne pas se laisser aveugler par l'admiration pour ce roman qui présente un mélange de fiction sociale et de huis clos psychologique, dans un style d'écriture tout à fait particulier.

À première vue, c'est la mise en page qui saute aux yeux, une écriture qui semble faire une économie d'alinéas qui donne au texte une fausse apparence de densité alors qu'en fait, on y trouve une prose tout à fait accessible et de nombreux dialogues.

À l'aveuglette, on rencontre ensuite les personnages, des personnes qui n'ont pas de nom : ce sont la femme du médecin, la fille aux lunettes noires, le premier homme, etc. Comme si les protagonistes devaient garder une forme d'anonymat, des gens qui vivent dans le présent de l'histoire, mais que l'on ne connaît pas vraiment.

Par les yeux de l'auteur, on observe le déroulement de l'action, l'épidémie de cécité qui touche la population, les amours, les meurtres, des situations qui explorent divers aspects de la condition humaine.

On apprécie l'humour voire même la dérision dans le commentaire social, la lumière qui nous fait voir aussi jusqu'à quel point notre monde compte sur nos yeux : que deviendraient tous ces livres et toutes ces oeuvres d'art sans des yeux pour les lire et les contempler ?
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Les hommes sont aveugles, mais ils ne le savent pas encore. Indifférents, malveillants, mais encore vivants. Tout à coup, une blancheur lumineuse emplit le champ de vision d'un homme, effaçant couleurs, formes, visages. Le voilà terrifié, seul et sans repères. La cécité blanche se propage parmi les hommes, faisant de ces nouveaux aveugles des pestiférés, que l'on va bien vite abandonner dans des camps.

C'est le chaos, l'horreur, l'indicible. Des scènes semblables à ce que l'humanité a déjà vécu, lorsque l'homme devient une bête sauvage, sauf que dans ce cas-là, la bête sauvage est aveugle.

Quelle est cette cécité blanche qui laisse l'homme errer à l'aveuglette et dévoile « en pleine clarté », sans qu'il puisse ne rien cacher, sa nature la plus odieuse, la plus honteuse?

Dans ce monde apocalyptique, nous suivons un groupe d'individus internés dans un hôpital de fous. Ils ne sont pas fous, ils sont aveugles, à part une femme qui leur servira de guide, son mari ophtalmologue n'étant plus d'aucun secours dans ce nouvel univers. Dans ce monde on oublie les apparences, on se rattache à un son de voix, à un geste de tendresse, à une écoute attentive. Dans ce camp, l'intimité n'existe pas, l'hygiène est impossible, la faim et la peur commandent.

Ce petit groupe réuni autour de la femme qui voit va se retrouver comme voguant sur un océan de cruauté, dont les vagues de violence tentent de les faire couler. La barque résiste aux assauts de la tempête. À demi morts mais encore à demi vivant, émergeant de l'aveuglante blancheur du monde, capables encore de voir malgré leur cécité. Comme s'ils s'étaient tournés à l'intérieur d'eux –mêmes, à la recherche des sentiments perdus, des mots qui manquent, cherchant une étincelle d'espoir pour « éteindre cette cécité ».

On peut être aveugle de bien des façons. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
« C'est une vieille habitude de l'humanité que de passer à côté des morts sans les voir. »

Oui, nous voyons, pour la plupart, mais les apparences, les ombres, la peur, l'égoïsme nous aveuglent. Notre vue manque de sincérité, de vérité. Voir c'est autre chose, un peu comme le dit le Petit Prince.

L'aveuglement est un roman percutant, dérangeant, qui nous oblige à ouvrir les yeux sur la noirceur de l'humanité. J'ai beaucoup aimé l'écriture. Des phrases courtes, des dialogues sans tirets, guillemets, ou retours à la ligne. Comme pour nous mettre dans la peau d'un aveugle, qui ne sait pas qui a parlé, qui ne sait pas où diriger son regard.

Les personnages n'ont pas vraiment d'identité non plus, ils se confondent dans la masse, tous égaux, tous aveugles. L'apparence ne compte plus. L'homme médecin des yeux, qui ne sert plus à rien, la femme guide, qui aimerait parfois ne plus voir, le vieil homme, qui n'est pas si vieux, la femme aux lunettes teintées, qui dévoile sa sensibilité, le garçon devenu orphelin que la jeunesse sauve du désespoir.

« Chaque jour je verrai moins, même si je ne perds pas la vue je deviendrai plus aveugle chaque jour parce qu'il n'y a plus personne pour me voir. »

Ne pas fermer les yeux, éclairer le monde, effacer les ombres, pour que le monde ne devienne pas aveugle et sans espoir.

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