Deux couvertures parce que vous le valez bien ! J'ai reçu le roman dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio avec la première : longue mèche de cheveux blonds qui s'apprêtent à être coupés par une paire de ciseaux rouillés. Tout de suite nous reviennent en mémoire des histoires de jeunes filles tondues avant d'être jugées, tondues pour rajouter la honte et l'humiliation à la condamnation qui va suivre, tondues pour nier leur féminité.
La deuxième couverture est plus moderne et correspond davantage selon moi à la dystopie imaginée par
Emily Schultz. Il s'agit d'un nuancier avec des échantillons de cheveux teints disponibles dans tous les salons de coiffure. le blond y occupe la place centrale ! le personnage principal, Hazel Hayes est fille de coiffeuse et connaît par coeur ces nuanciers : elle sait dissimuler sa flamboyante rousseur sous un brun terne ! Pas très à l'aise dans ses baskets, elle aime se fondre dans le décor et démonte dans sa thèse le primat de la femme idéale : grande, mince, blonde et option non obligatoire, douée de raison. Elle habite Toronto mais bénéficiaire d'une bourse pour poursuivre son travail à New-York, elle séjourne dans la ville à la grosse pomme quand surviennent les premiers cas de "rage" blonde. Des femmes blondes, que cette couleur soit naturelle ou pas, sont soudain frappées de folie et s'attaquent sans aucune distinction de sexe ou d'âge aux premières personnes qui croisent leur chemin.
Hazel découvre au même moment que sa courte liaison avec son directeur de thèse a créé un "dégât collatéral" inattendu : elle est enceinte et ne sait pas comment réagir face à cette grossesse. Les événements vont se charger de décider à sa place. L'auteur nous décrit avec une précision clinique les comportements d'une société moderne face à une pandémie. Face au péril blond, nos contemporains n'ont pas plus d'humanité que leurs ancêtres qui chassaient les femmes soupçonnées de sorcellerie. Les salons de coiffure ne désemplissent pas, les femmes se rasent les cheveux ou les teignent pour cacher leur blondeur originelle : elles craignent les réactions de rejet ou de peur.
Les blondes ne suscitent plus le désir mais la peur !
Les hypothèses les plus fantaisistes circulent sur ce virus, les médias les relaient et attisent les craintes. Hazel tente de regagner Toronto mais est arrêtée à la frontière où la toison de son pubis la trahit. Elle va subir huit semaines d'isolement dans une école primaire réquisitionnée, qui tient plus de la prison que d'une résidence de vacances. Quand elle sera autorisée à quitter ce lieu, il sera trop tard pour avorter. C'est peut-être cette vie qui pousse en elle qui va lui donner l'énergie d'affronter un monde déboussolé, où la peur de la contamination génère des comportements extrêmes qu'ils soient individuels ou collectifs : un policier abat une femme atteinte du virus comme il tirerait un lapin, des militaires éliminent toutes
les blondes qui se trouvent dans la salle 3 de l'école primaire car des nombreux cas y sont apparus.
Notre héroïne atteint Toronto mais ce n'est pas la fin de son périple... le propriétaire de son appartement a reloué celui-ci, la croyant morte : elle n'a plus de toit. Trouver refuge chez sa mère est impossible car elle apprend son décès : une coiffeuse, forcément, est en première ligne sur le front du virus ! Dans un élan presque désespéré, elle emprunte la voiture d'une amie pour gagner le chalet où elle a séjourné un week-end avec son amant...
Emily Schultz nous montre que le vernis de la civilisation est très mince, que la solidarité avec les malades devient rapidement un mot vain quand quelques cas isolés se transforment en épidémie puis pandémie. Son héroïne, anti Lara Croft, boulotte à lunettes, nous fait vivre au rythme des événements qui bousculent tous ses repères et forcément, l'on s'attache à elle. La fin ouverte voulue par l'auteur nous laisse un peu frustrée : on lui souhaite le meilleur ainsi qu'à son bébé, son "hamster dans sa roue" ...
Merci aux éditions Asphalte pour ce roman d'anticipation très réussi !