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sur 332 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 52 °°°

1367. Deux jeunes moines dominicains prennent la route vers Toulouse, chargés par leur prieur d'aller acheter du parchemin vélin de la meilleure qualité afin de rédiger ses mémoires. Plutôt heureux de quitter la monotonie de leur couvent, les deux candides ne se doutent pas du guêpier dans lequel ils se sont fourrés. L'Inquisition les attend, alertée par les projets du prieur dont les confessions pourraient révéler un secret capable d'ébranler l'Eglise et ses fondements.

Dès que parait un polar historique érudit situé au Moyen-Age, mettant en scène des ecclésiastiques, des inquisiteurs et des controverses religieuses, on le compare inévitablement au Nom de la rose d'Umberto Eco, le maitre étalon du genre, absolument indépassable. Dans ce cas précis, oui, j'y ai pensé, évidemment, mais la comparaison s'arrête vite car ici, pas de huis clos, on est autant dans le roman d'aventures que le polar car l'auteur fait voyager ses personnages de Toulouse à Paris, en passant par Cologne, Avignon où siège la papauté à cette époque, et surtout le Moyen-Orient sur la route de la soie.

A partir de là, Antoine Sénanque construit un récit à deux temps maitrisé de bout en bout : le récit au passé des mémoires du prieur racontant sa jeunesse aux côtés de Maître Eckart, renommé théologien, ainsi que les origines de la Peste en 1347 lors du siège de Kaffa ; vingt ans après, le récit au présent de la lutte entre l'Inquisition et les moines dominicains menés par le prieur.

L'auteur alterne avec brio scènes de bravoure ( incroyables descriptions du siège de Kaffa, comptoir génois, par la Horde d'Or tatare du Khan Djanibeg, ou encore des geôles cauchemardesques de l'Inquisition toulousaine ) et scènes plus intimistes, notamment celles centrées sur la philosophie religieuse de Maître Eckart dont le prieur a été le disciple. C'est une prouesse de rendre accessible sa théologie complexe qui est au coeur de l'intrigue. J'ai eu l'impression de tout comprendre de sa mystique abolissant la distance de majesté entre Dieu et les hommes à partir du moment où ces derniers accomplissent un dénuement radical de l'âme. Maître Eckart n'a jamais été déclaré hérétique ( il s'en est fallu de peu ) mais ses écrits ont été condamnés et censurés.

Et puis, il y a les personnages, tous formidablement incarnés, tous dotés d'une psychologie fouillée qui se révèle progressivement ( pour les plus âgés comme le prieur Guillaume et son sacristain ) ou se transforment ( pour les plus jeunes, Antonin l'érudit et Robert, plus rustique ), y compris le « méchant », le fourbe inquisiteur Louise de Charne, qui avait tout pour être caricatural et finalement est bien plus complexe, et donc intéressant, que l'expression manichéenne de sa haine et de son ambition. Sans oublier les formidables béguines formant des communautés de femmes pieuses et travailleuses vivant leur foi de façon enflammée, quasi charnelle.

Le récit est rempli de surprises, de secrets révélés, de rebondissements au coeur de la folie des luttes intestines entre les différents ordres religieux ( ici Franciscains vs Dominicains ) et au sein de ces mêmes ordres religieux. On se régale des dialogues enlevés,. Bref, ce roman est palpitant et passionnant !
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Polar mêlant L Histoire et la fiction, en plein Moyen-Age religieux, où la fureur de la peste le dispute aux atrocités de l'Inquisition…
Dans « Croix de cendre », Antoine Sénanque nous invite tout à la fois à descendre et à monter, à voir le pire possible en l'homme et à déceler ses sommets de pureté. La noirceur la plus absolue de l'âme humaine côtoie le sacrifice le plus extrême de soi par amour pour son prochain. Ascenseur émotionnel remarquable dans lequel nous embarque l'auteur, nous faisant découvrir la vie, la philosophie et les secrets de Maitre Eckhart, dominicain allemand de grande renommée qui enseignait dans les universités, les monastères, les béguinages et les confréries religieuses de toute l'Europe.

A l'hiver de sa vie, au 14ème siècle, le prieur Guillaume, avant de partir au ciel, souhaite révéler d'importants souvenirs au sujet de son maitre, feu Maitre Eckhart. Vu l'importance des révélations, il souhaite les faire écrire sur un matériau noble, le vélin, peau de veau à la texture douce, fine et qui sait comme nulle autre capter la lumière. Il envoie ainsi frère Robert et frère Antonin, deux moines liés par une forte amitié, auprès de tanneurs afin d'aller chercher les matériaux nécessaires à son projet, le vélin donc mais aussi l'encre bien spécifique et les plumes. Une fois arrivés sur place, les deux frères se font étrangement amener chez l'Inquisiteur du Languedoc qui décide de séquestrer Robert dans une terrible geôle au doux nom de Couloir, le soupçonnant d'hérésie, et propose un marché à Antonin : il lui promet de libérer Robert si, en contrepartie, Antonin, chargé d'écrire dans le scriptorium sous la dictée de Guillaume ces fameuses révélations, lui livre secrètement et régulièrement les confessions de Guillaume dont il semble craindre ou attendre le contenu. Force est de se demander, avec Antonin, quel secret ce parchemin va contenir pour intéresser autant l'Inquisition…

L'amitié extrêmement forte qui lie Antonin à Robert le pousse à obéir, mais il est également loyal et fidèle à Guillaume. le jeune moine étant visiblement totalement tiraillé, Guillaume ne tarde pas à se douter du terrible dilemme que vit le jeune moine. Aussi, à l'aide de son fidèle sacristain Jean et du tanneur, il va tenter de secourir Robert tout en évitant, avec subtilité, de céder au chantage de l'inquisiteur. le manuscrit lui, s'écrit peu à peu et nous découvrons, en même temps qu'Antonin, qui était Maître Eckhart, ce célèbre théologien dont Guillaume fut ainsi le fidèle assistant, esprit libre, brillant et controversé, aux idées spirituelles hétérodoxes, rendu fou par la cruauté des hommes d'église. Ce manuscrit évoque également la peste qui ravagea l'Europe décimant les populations, faisant des villes et des villages des lieux de désolation.

Ce roman est un livre dont la belle érudition s'entrelace à merveille avec le récit d'aventure romanesque. Une érudition de qualité qui se base sur des faits historiques véridiques. J'ai été impressionnée par la maigre bibliographie sur laquelle s'est basée Antoine Sénanque. Quatre livres en tout et pour tout, dont j'ai noté précieusement les références, pour nous expliquer les épidémies de peste, dénommée alors « le fléau de Dieu », sa propagation et ses effets dévastateurs. L'épidémie de peste de 1348 est particulièrement bien relatée avec en point de mire l'incroyable siège de Kaffa par les armées Mongoles qui l'abandonnèrent après avoir été décimées par la peste, non sans avoir contaminé au préalable la ville en catapultant tous leurs cadavres atteints par la maladie. L'auteur nous explique également les différences entre les Dominicains et les Franciscains et leur rivalité ; il nous narre les médecines de l'époque à base de saignées et de concoction de Simples, ces herbes médicinales ; nous relate les riches idées spirituelles de Maitre Eckhart, notamment celle du Détachement le plus total, ou encore l'existence des béguines, ces femmes veuves, extatiques, libres, sans voeux, ni clôture, dont les vibrants et passionnés poèmes spirituels entachent leur réputation auprès de l'Inquisition. Sans oublier justement le voile soulevé sur les rouages perfides de l'Inquisition basées sur la délation facile et les preuves sorties de leur contexte, pour se débarrasser rapidement de quelqu'un, ainsi que ses méthodes de torture totalement effarantes.

« C'est la peste qui a redressé la chrétienté. Aucun de nos châtiments, aucune de nos tortures n'auraient pu terrifier les pêcheurs à ce point. Depuis, le peuple fait pénitence. En Allemagne et tout au long du Rhin, entre Bâle et Strasbourg, des groupes de laïcs se regroupent dans la simplicité et le service des autres. Leur seule inspiration est d'imiter le Christ. On les appelle les « amis de Dieu ». Ils ne sont pas guettés par les hérésies car ils ne réfléchissent pas. Ils ne pensent pas leur foi, ils la vivent. Simplement. La peste a tué la pensée. Les idées sont mortes sur les charrettes qui portaient les corps de ses victimes. Les catastrophes ont cet effet sur l'humanité, elles tuent les ambitions».

Entre fresque historique, polar religieux et quête spirituelle, l'auteur nous plonge avec délice et de façon haletante, dans une Europe hantée par le fantôme de la peste et rongée par la corruption des élites religieuses. C'est un livre qu'on ne lâche pas, superbement écrit, qui touche à la fois le coeur et la raison !

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Lorsque leur prieur les envoie à Toulouse y chercher la meilleure qualité d'encre et de vélin pour son testament, les frères dominicains Robert et Antonin sont loin de se douter que cette mission va les mener tout droit dans les griffes de l'Inquisition. Tandis que, retenu en otage, le premier est jeté au plus secret des terribles geôles du tribunal pontifical, le second se voit contraint, pour espérer le libérer, de transmettre au grand Inquisiteur les confessions à venir de leur maître. Quels secrets sont-elles donc supposées dévoiler pour, en pleine Inquisition, faire trembler l'Église et son ambitieuse et intrigante hiérarchie ?


Désormais doublement tenus en haleine, par le sort De Robert livré aux affres de la torture et par les mystérieuses révélations qui vont occuper plus de quatre cents pages aussi denses en surprises qu'un polar, nous voilà, par une habile mise en abyme nous plaçant dans la même perspective qu'Antonin, récipiendaire des mémoires de son aîné Guillaume, les témoins emplis de curiosité du monde intellectuel du XIVe siècle. le récit à l'intérieur du récit nous place cette fois dans les pas de Maître Eckhart, personnage bien réel disparu quarante ans plus tôt, en 1328, et dont Guillaume fut le jeune disciple et assistant.


A son époque, Maître Eckhart était un théologien de grande renommée qui enseignait dans les universités, les monastères et les confréries religieuses de toute l'Europe. La narration de Guillaume est l'occasion de découvrir sa pensée, de considérable influence, dans le contexte d'effervescence intellectuelle qui, en ce tournant du XIVe siècle, accompagnait la renaissance des villes et l'essor des échanges à travers l'Europe. Monastères, ordres, mais aussi confréries à vocation religieuse - béguinages ou autres - se développaient, en même temps que les écoles et les universités où clercs et laïcs se disputaient l'accès au savoir et à l'enseignement. Les rivalités étaient telles que l'on en venait souvent aux mains entre factions étudiantes, ces frictions reflétant à leur échelle les luttes politiques pour le pouvoir entre les diverses autorités.


Dans une telle foire d'empoigne, un moyen radical de se débarrasser d'un importun consistait à le dénoncer à l'Inquisition, pour peu que, comme Eckhart, certains de ses propos sortis de leur contexte pussent fleurer l'hérésie. Si sa mort avant la fin de la procédure d'Inquisition coupa court à toute sanction, son oeuvre ayant été condamnée post mortem à l'oubli, toutes les mesures furent prises pour qu'elle disparût avec lui. Un retour à l'obscurité qui en devançait un autre, d'une ampleur cataclysmique, puisque vingt ans plus tard, en 1348, la peste ravageait et terrorisait l'Europe, tuant les idées dans un regain de ferveur religieuse. Cet épisode noir de l'Histoire offre à l'écrivain l'un des passages les plus impressionnants de son livre, à l'occasion du siège de Caffa que les armées mongoles abandonnèrent, décimées par la peste, mais non sans contaminer la ville en y catapultant leurs cadavres pestiférés...


Mêlant l'Histoire et la fiction avec autant de réalisme que d'originalité, Antoine Sénanque signe un roman passionnant, polar médiéval mâtiné d'aventures, habile emboîtement de symboliques et éclairante vulgarisation de la pensée philosophique et religieuse de l'époque. Quelle ironie que ce personnage qui, après avoir tant travaillé à son union à Dieu selon le principe de divinisation de l'homme, se fait plus vengeur que le plus biblique des Dieux, allant jusqu'à préférer la compagnie des rats à celle de ses semblables ! Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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« …. Je te porterai comme une croix de cendre,
Une croix de vent et de néant.
Je te porterai au coeur même de ma fin, dans ma nuit,
Au point où défaite de matière et de temps
Ne subsistera de moi que la longue étreinte de ta grâce.
Et au coeur même de cette étreinte,
Le secret de ton amour et de mon éternité :
Le long désir. »

Tout commence par la discussion de deux jeunes moines, qui laisse paraître une certaine animosité entre les différents ordres
Le prieur Guillaume sentant sa mort venir à décidé d'écrire ses mémoires et de raconter les années qu'il a passé auprès de Maître Eckhart. C'est ainsi que nous allons connaître les aventures des chiens de Dieu (des dominicains) moines prêcheurs qui empruntaient la route de la soie
A partir de ce moment une incroyable aventure nous attend qui se terminera par un bras de fer entre le prieur et un inquisiteur. Les personnages se dévoileront petit à petit
Un Moyen-âge qui porte les stigmates de la peste, où sévit la lèpre. Différents ordres viennent en aide aux miséreux et parmi eux les fameux béguinages qui suscitent beaucoup d'animosité.
Des êtres mystiques d'une grande spiritualité comme Maître Eckart et quelques autres seront la proie des médisances et des membres de l'inquisition
Des hommes bons seront persécutés, acculés, sombreront dans la folie ou commettront l'irréparable
Haine, ambition, cruauté, abus de pouvoir, vengeance mais aussi loyauté tissent une oeuvre romanesque de grande qualité.
Un suspense qui va crescendo et une atmosphère envoutante qui m'ont laissée scotchée au livre.
Une trame toute à la fois romanesque et historique qui nous réserve de grands moments. Je ne connaissais pas Antoine Sénanque mais quel auteur ! Quelle érudition !
Un roman à lire et à offrir assurément.
Merci aux éditions Grasset.
#Croixdecendre #NetGalleyFrance
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Pour maintenir tout un peuple dans l'obéissance, rien de tel que la peur. Ainsi l'homme inventa la damnation éternelle en plus d'avoir inventé les guerres. Mais Dame Nature le supplanta en inventant les maladies. Quoi de plus terrifiant que la maladie? Quand rien ne peut vous protéger de cet ennemi qui vous tue de l'intérieur.

En 1346, les Mongols se trouvent en Crimée et font le siège de la ville de Caffa. Se sachant atteints par la peste et devant lever le camp, ils catapultent leurs cadavres par-dessus les murs de la ville pour infecter la population. Nous sommes au XIVème siècle et l'homme vient d'inventer la pire des guerres, la guerre bactériologique. Car une fois les Mongols partis, les Génois qui avaient leur comptoir à Caffa s'empressent d'affréter leurs navires pour regagner l'Italie, emportant dans les cales des centaines de rats infestés. C'est ainsi que l'Europe connut sa plus grande épidémie, qui lui fit perdre environ un tiers de sa population, soit 25 millions de personnes.

L'intrigue de Croix de cendre se situe vingt ans plus tard et commence dans le paisible monastère de Verfeil, en Haute-Garonne, dirigé par le Prieur Guillaume. La terreur de la peste s'est éloignée et la vie a repris son cours. Guillaume, sentant ses forces décliner, veut à tout prix laisser un témoignage de ces années de peste auxquelles il a miraculeusement survécu. Il envoie donc à Toulouse deux jeunes moines, Antonin et Robert, avec pour mission de lui ramener du vélin pour écrire son livre. Et c'est là que les péripéties commencent pour nos deux moinillons qui ne connaissent rien du monde et des bassesses humaines. Revenu à Verfeil, Antonin sera la main du Prieur Guillaume, celui qui devra graver dans le précieux vélin son histoire, notamment ce jour où Maître Eckhart l'a choisi pour être son assistant et les nombreuses années d'enseignement qu'il a passées à ses côtés. Entre le Maître et son disciple s'est tissée une solide amitié que rien, semble-t-il, ne peut défaire si ce n'est le terrible secret que Guillaume tient à graver sur le parchemin.

J'ai lu à de nombreuses reprises que Croix de cendre était un polar médiéval que l'on compare volontiers au Nom de la Rose. le terme polar me semble exagéré même si intrigue il y a. le héros étant un très jeune moine, il s'agirait plutôt d'un roman d'apprentissage ou d'aventures. Mais surtout, les pages qui décrivent les échanges entre Maître Eckhart et son jeune ami Guillaume sont d'une grande profondeur. Antoine Sénanque a étudié la pensée de Maître Eckhart et nous en livre la substance avec une remarquable aisance, rappelant au passage combien la pensée du Maître s'est enrichie de celle de Marguerite Porète, béguine et poétesse nous ayant laissé de merveilleux chants adressés à Dieu.

Maître Eckhart: " -Que tu dises qu'Il est infini ou qu'Il fait la taille d'une mouche, Dieu n'est rien de ce que tu peux en dire. Mieux vaut dire alors que Dieu n'est rien. Ou dire ce qu'Il n'est pas, plutôt que ce qu'Il est à l'horizon de notre faible intelligence. Dès que tu parles de Dieu, dès que tu le qualifies, tu le fais exister comme une créature. Et c'est cela, dont il faut se séparer. du Dieu créature."

Roman historique, Croix de cendre s'inscrit dans un Moyen-Âge tourmenté ou le Grand Inquisiteur faisait régner la terreur au nom de Dieu, ayant le pouvoir de torturer et tuer qui bon lui semblait. Mais curieusement, les hérétiques étaient surtout des pauvres et des femmes. Pas de seigneurs pour allumer les bûchers. Pourtant certains, luttant contre l'obscurantisme, faisaient copier des textes et des sermons interdits qu'ils cachaient ensuite dans les doubles-fonds de leurs bibliothèques. Qu'ils en soient remerciés.
Étrange époque que ce Moyen-Âge de tous les excès, de la peste et de la barbarie mais aussi des courants spirituels les plus purs. Mais sans Dieu, comment les hommes auraient-ils pu supporter cette existence difficile?

Et voilà sans doute le coeur même de ce roman, l'interrogation qui le traverse de bout en bout. Quelle quantité de souffrance pouvons-nous endurer avant de douter de Dieu? Face à la maladie, la cruauté, la mort de ceux qu'on aime, dans le pire dénuement, serons-nous capables, comme l'a fait Job, de garder la Foi? Ou au contraire serons-nous de ceux qui accusent? Car les fléaux qui s'abattent sur l'humanité, si Dieu ne les a pas envoyés, pourquoi ne les a-t-il pas empêchés? Tout vrai croyant, un jour, connaît le doute qui égare. C'est un chemin semé de pierres. le mieux est de ne pas le parcourir seul car le retrait du monde est un poison dangereux pour l'âme et l'esprit.

Dans Croix de cendre, Antonin et Robert font le chemin ensemble et c'est peut-être là le plus beau du livre, cette fraternité qui vous sauve de tout, y compris de vous-même, cette intime faiblesse que l'on peut avouer sans qu'elle vous soit reprochée.
Robert: -"La vie est sèche, Antonin, c'est pour çà qu'il faut pleurer dessus. Pour qu'on puisse y faire pousser quelque chose."
Et ces deux-là cultivèrent le plus pur et le plus noble des sentiments, l'amitié.
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« Toutes les mémoires étaient recouvertes de croix de cendre, de grands cimetières d'actes dont l'oubli avait emporté les ombres. Chacun pouvait prétendre renier leur existence. Mais les croix demeuraient, elles prouvaient qu'on ne décidait pas du destin de nos actes et qu'aucune trace ne s'effaçait jamais de la surface de la terre. »

Quel roman passionnant !
Je suis une fervente lectrice de littérature historique et ce roman m'attirait depuis sa parution. Et là, je dois bien avouer que j'ai pris énormément de plaisir à cette lecture qui m'a emportée dans une période historique qui me fascine, le Moyen-âge. le récit évolue autour de l'année 1348, date marquée la terrible peste noire.
C'est un roman baigné de lumière et de ténèbres. Il nous parle de foi, de vocation et de liberté ; d'Inquisition et d'hérésie, de tortures, de persécutions et de condamnations au bûcher ; d'ambition et de folie, de jalousies et de rivalités, de haine et de trahisons, de regrets et de sacrifice.

*
Le roman arbore deux temporalités : il débute en 1367 dans un monastère du Languedoc où le prieur Guillaume, un des hommes les plus respectés de l'ordre des Dominicains, sentant sa mort approcher, décide de se confier en couchant ses mémoires sur le plus beau des parchemins, le vélin.

« Son heure était proche, son coeur de vieil homme le savait. La prière aurait bien mieux valu que le dévoilement de son passé. Mais la prière ne suffisait pas. Les croix de sa mémoire y résistaient, veillant sur de grandes sépultures dont il devait à présent rendre le souvenir au monde. »

Il confie à deux jeunes frères dominicains, Antonin et Robert, la mission à priori anodine de se rendre à Toulouse pour se procurer des vélins, des plumes et de l'encre de qualité. Les deux hommes quittent le monastère de Verfeil, heureux d'échapper pour quelques jours à la vie monacale. Mais les révélations du prieur font peur et menacent l'ambition de certains membres haut placés de l'Eglise.
De ce voyage à Toulouse, un seul des deux frères reviendra avec les parchemins et deviendra la plume du vieil homme.

« Il fallait percer cette mémoire comme un abcès. »

Nous sommes en présence de deux temps historiques qui s'entrelacent, de deux intrigues qui se répondent. En effet, les aveux du prieur Guillaume remontent le fil de l'Histoire jusqu'à l'an 1313, date à laquelle jeune novice, il devient l'assistant d'Eckhart de Hochheim, un des plus grands intellectuels, théologiens et philosophes dominicains de son époque. Sa confession révèle la destinée de son maître au temps de la Peste noire, il confie la vérité sur les origines de ce fléau qui s'est propagé en Europe en 1348 et qui a décimé un tiers de la population.

« … les souvenirs ont des bras. Pour nous enlacer comme ceux d'une mère bienveillante et réchauffer nos coeurs ou bien serrer nos gorges pour étouffer notre soif de vivre. »

A chaque instant, on ressent la présence d'Eckhart dans la cellule du prieur qui lui aussi, semble conscient de cette ombre qui l'enveloppe. Elle paraît même s'étoffer, prendre corps à chaque souvenir ravivé et inscrit sur le parchemin.
Ainsi, « Croix de cendre » invite les lecteurs à suivre l'incroyable destinée de Maître Eckhart. Cet homme charismatique et mystérieux, qui prêche en allemand, séduit, fascine, envoûte le peuple, mais l'arrogance de sa foi et son aura grandissante font des envieux. Malgré la puissance de l'ordre dominicain, il est accusé d'hérésie et poursuivi avec acharnement par l'Inquisition.

*
Si « Croix de cendre » se rapproche davantage dans les premières pages du roman historique, de la quête spirituelle et de l'étude théologique, véritablement passionnant d'ailleurs mais demandant un peu d'attention pour ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas les oppositions et les rivalités qui opposaient les Dominicains et les Franciscains, la suite du récit se découvre peu à peu comme un thriller médiéval et prend les allures d'un superbe roman d'aventure.
Après donc ce petit temps d'adaptation, je me suis laissée emporter par l'écriture d'Antoine Sénanque qui se révèle un superbe conteur, par l'atmosphère pleine de tensions, de remous politiques et religieux, de confidences dévoilées.

« Les bûchers s'allumaient à travers le pays. On brûlait pour une parole, pour un livre. On chassait les juifs, les bégards, les sorciers. Chaque jour moissonnait une énergie puissante et sombre. le monde grondait sous ces courants contraires qui s'entrechoquaient. »

Cette fresque historique nous fait voyager à travers les universités d'Europe, les communautés de béguines d'Allemagne et de Flandres, jusqu'aux portes de l'Asie où les caravanes commercent avec l'Orient. Riche en rebondissements et en secrets divulgués, elle mêle avec brio complots et passions humaines, temps et Espace.

Antoine Sénanque fait revivre des personnages historiques auxquels il associe des personnages de fiction. Monstrueux ou attachants, redoutables ou bons, ambitieux ou fraternels, ils sont captivants, tous magnifiquement incarnés, à tel point qu'ils prennent vie sous la magnifique plume de l'auteur.
L'auteur nous offre également de beaux portraits de femmes. Je suis entrée dans l'intimité des béguines et j'ai savouré la douceur de vivre des béguinages.

*
A aucun moment, je ne me suis égarée dans la narration. L'histoire m'a emportée par la richesse de ses détails, par la finesse de sa construction, par la personnalité complexe des personnages, par le mystère qui entourait la vie d'Eckhart et de son jeune disciple Guillaume. J'ai eu envie de reprendre maintes fois ma lecture, j'ai tourné les pages avec envie, avec avidité, avec émotions.

*
Bref, Antoine Sénanque réussit avec beaucoup de talent à marier petite et grande Histoire dans ce roman passionnant et émouvant, magnifiquement écrit et au suspense redoutable.
Un très grand plaisir de lecture, un coup de coeur assurément.
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Imaginons...
Imaginons que la plus meurtrière des épidémies qui ait un jour ravagé le monde, la peste noire, ne soit pas le fruit d'un rat chafouin égaré sur un port de la Méditerranée ou d'une fripe ramenée de la lointaine Asie, mais le résultat de la vengeance et de la détresse d'un seul homme...
A l'heure où l'eschatologie s'invite sur les bancs de la géopolitique bouleversée, théologie et philosophie sont à prendre au sérieux.
C'est le parti pris par Antoine Sénanque qui livre un roman époustouflant d'intelligence et d'érudition, plantant son décor au XIVe siècle dans une France affamée, aux abois, qui peine à se relever du passage de la mort noire.
Comme dans le roman d'Umberto Eco, Au nom de la rose, toute la trame du livre tourne autour d'un codex précieux, non pour ses ors ou ses enluminures, mais pour les révélations qu'il contient .
Le prieur du couvent de Verfeil, Guillaume, sent que sa fin approche et décide de coucher sur un parchemin tous les lourds secrets qui l'encombrent.
Il a été longtemps le novice de Maître Eckhart de Hochheim, théologien et philosophe fondateur de la mystique rhénane, influencé par Thomas d'Aquin, Averroes, Maïmonide et la béguine Marguerite Porete.
Sa philosophie prône le libre esprit, un détachement de l'âme et de l'intellect poussé à son acmé pour une union complète avec le créateur.
A l'instar des écrits de Margerite auprès de qui il trouve une connivence spirituelle, ses oeuvres exaltent le "long désir "pour une foi placée sous le sceau de la liberté.
Propos qui, en ces temps d'inquisition forcenée, fleurent bon l'hérésie.
Bien que Dominicain, l'ordre des "chiens de Dieu" à l'origine des tribunaux de l'inquisition, Eckhart aura de nombreux démêlés avec le siège épiscopal.
Ce manuscrit sulfureux va être l'enjeu de multiples aventures, d'innombrables pas sur les sentiers de France et du monde, de l'ambition démesurée d'un inquisiteur, de l'amitié de deux frères d'ordre, de la liberté choisie par des femmes éclairées et érudites.
Véritable polar médiéval, ce roman est une ode à la liberté et à la vérité.
Dans un moyen-âge putride et belliqueux où les bûchers embrasent toutes les places des villes, c'est un morceau de bravoure littéraire qui mêle brillamment personnalités véridiques et personnages de fiction dans un tourbillon historique et bourré de suspense et dont l'écriture m'a totalement séduite.
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Parlons d'abord de l'auteur avant de parler du roman .
Quelle maestria d'Antoine Sénanque pour nous conter Croix de cendre.
La bibliographie à la fin du roman est courte : 4 livres. Comme on dit ce n'est pas la quantité qui fait la qualité.
Et là la qualité est présente à chaque page . Un travail documentaire, historique, religieux, spirituel de haute volée.
Car Antoine Sénanque n'a pas choisi une période simple pour son roman : le Moyen âge religieux. On aurait vite fait de se perdre aux confins des années 1350.
La peste a envahi l'Europe. Depuis peu des ordres religieux viennent de naître. Les Dominicains et les Franciscains courent les routes et les chemins entre prédication et pauvreté. La papauté est installée en Avignon avec Jean XXII. L'empereur Frédéric Barberousse règne sur l'Allemagne , la Thuringe et le Nord de l'Europe. le pouvoir papal et le pouvoir politique se disputent Dieu. L'Inquisition s'installe. Elle s'attaque aux Albigeois, aux Cathares, aux Templiers mais aussi aux béguinages ou encore aux Dominicains qui s'écartent de la ligne tel Maitre Eckhart qui professe le Libre Esprit. L'hérésie gagne le monde
Epoque semble-t-il confuse où les pouvoirs terrestres et célestes sont prêts à toutes les turpitudes.
Et de ce maelstrom , Antoine Sénanque en fait un polar médiéval. Bluffant.
En voici la trame.
Près de Toulouse dans le monastère de Verfeil, Antonin fils de médecin est dominicain. Il connait les plantes qui soignent. Il a comme ami, Robert, fils de valet de ferme et moine peu cultivé.
Le prieur du monastère, Guillaume, leur demande de se rendre à Toulouse afin de récupérer un vélin afin de fabriquer un parchemin. Parchemin d'importance car Guillaume souhaite y écrire une confession.
A leur retour , Antonin écoutera les confessions de Guillaume et les couchera sur le parchemin.
Alors plus jeune Guillaume a connu et accompagné Maitre Eckhart sur les routes de l'Europe. Celui-ci écrivant et professant des sermons provocants et dangereux. Il accompagna Eckhart à la Sorbonne, à Strasbourg mais aussi par dessus les mers jusqu'en Crimée.
Les révélations que pourraient faire Guillaume inquiète l'Inquisiteur général Louis de Charnes.
La suite est le plaisir de la lecture et de l'écriture. de religieux et politique, le roman devient polar. Il se savoure avec délectation.
Si en plus vous mettez dans vos oreilles quelques chants grégoriens , ou chorale de moines , le poème du Long Désir de Mathilde, béguine de Ruhl, en exergue du livre vous transportera.
Magnifique coup de coeur de cette rentrée littéraire.
Lien : http://auxventsdesmots.fr
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Un grand roman d'aventures au moyen âge avec des moines dominicains, franciscains, une inquisition délirante et des béguinages incarnés par des personnages attachants. En même temps fresque historique richement documentée et polar bien conduit, on se régale à la lecture de cet ouvrage qui nous fait voyager au temps des constructions des cathédrales, à Toulouse et à Albi et de la peste dont les origines et la dissémination sont un point fort de la narration.
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Au monastère de Verfeil, Guillaume le vieux prieur, décide de confier ses mémoires et le secret qu'il a gardé toute sa vie et qui, une fois révélé pourrait changer l'appréciation sur l'Eglise catholique.

Il envoie deux jeunes moines, Antonin le lettré et son ami Robert,  à Toulouse, acheter le vélin le plus fin et la meilleure encre pour déposer le récit de sa vie sur des matériaux nobles. 

Mais le grand Inquisiteur de Toulouse, Louis de Charnes, ayant vent du projet, fait emprisonner les moines dans la Maison Seilhan, haut lieu des Dominicains. 

Il libère Antonin, à charge pour lui de lui faire parvenir des copies des mémoires du père Guillaume, et garde Robert en otage, l'enfermant dans un cachot minuscule.

Le récit De Robert nous emmènera sur la route des croisades, auprès du Maître Eckhart, théologien fort apprécié des fidèles mais craint par l'Eglise dont il aurait sapé les fondements par ses sermons, par son patronage des béguinages tenus par les Dominicains comme lieux de stupre.

Sur la route de la soie, sous le siège de Kaffar, les enseignements d'Eckhart et le tragique retour en France dévastée par a Peste Noire, les mémoires de Guillaume nous décrivent un monde hostile où les rivalités entre communautés monastiques sont violentes et très peu chrétiennes.

Un roman d'aventures passées et de recherches de moyens pour libérer Robert dont les verfeillois commencent à craindre pour sa vie.

Une expédition d'exfiltration mûrement réfléchie permettra le retour au monde de ce frère qu'on croyait perdu ...

Un roman aux personnages bien campés, bien définis, troubles à souhaits, où l'ambition de certains trouble le caractère religieux auquel ils ont pourtant souscrit ...

Un roman passionnant d'un auteur que je découvre et dont je vais m'empresser de rechercher d'autres ouvrages.

Je remercie vivement NetGalley et les Editions Grasset qui m'on offert cet ouvrage.

#Croixdecendre #NetGalleyFrance 
Lien : http://les-lectures-de-bill-..
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