LE SENS MAGNÉTIQUE
Le titre annonce une grande circulation cérébrale.
Après lecture, je ne sais plus si je m'élève ou si je plonge. Je vole et je sombre.
J'ai attendu, j'ai relu.
Parler de soi est indélicat, mais…
Je n'ai jamais su me défaire d'un sens trigonométrique spontané, ni réussi à me laisser attirer vraiment par le sens des aiguilles. Et, à mes grands dépends, j'ai toujours refusé de baisser la tête, même lors de l'élévation du rituel chrétien. Peut-être est-ce une déviation secrète du sens magnétique.
Je suis entrée dans ce livre décidée à me laisser porter.
Quelle épreuve de magnificence ! Quelle ascension pour que s'envole la calotte crânienne!
J'ai dû abandonner en chemin, entre la flèche et la cible, bien des bagages pour réactiver mes ailes. Je me suis croisée, recroisée, de mon berceau à celui de Dana, tant de fois elle nous fait tomber du nid pour réinventer, pour braver d'autres chemins. Cible de ses voyages, j'ai tourné et me suis retournée dans ce livre essoufflant malgré les blancs, les bancs où reprendre haleine avant de repartir, de cravacher, de chevaucher...
Pour parvenir à maîtriser tous ces souffles, il faut avoir appris avant la naissance, ce qui peut expliquer en plus la grande liberté de Dana dans la langue acquise. Pour les lire aussi, les pénétrer, peut-être faut-il « savoir » depuis toujours, depuis « avant ».
Peut-être faut-il être né-e dans les dissonances, peut-être faut-il qu'un violon se laisse aller à confondre tous les mondes. (J'ai commencé à 7 ans à déchiqueter les cordes et à tout faire fondre dans l'oeil d'une bougie, l'ange gardien.) La musique du livre a tout réveillé et en moi j'ai solfié un concerto, et j'ai souri tant et tant en sol majeur, pour ne pas pleurer en ré mineur, alors que s'ouvraient, s'offraient toutes les clés pour que chacun lise sa mélodie enfouie et s'ouvre à son vide intime. Pour que chacun se mette au monde soi-même et accueille le fantôme de son propre manque. Les fantômes jouent de l'onde.
La syncope s'appuie sur une note basse tenue...J'ai toujours su que je pouvais la tenir jusqu'à l'évanouissement et, oui, la syncope rit !
Il faut le dire à Hamlet, la musique seule est…
Que Schumann se soit échappé dans la folie pour fuir Clara la tueuse, je n'y avais jamais songé…Jacqueline du Pré et son amour sorcier avant la sclérose, avant que son corps de violoncelliste ne devienne corde raide... Où trouver le temps de voir tout ce qui se cache entre les sons ?
Dana l'a trouvé, elle, Sagittaire, cavale née pour avaler les interstices autant que l'espace, elle, dans l'éternelle dynamique libre de la flèche filant vers l'aurore boréale à sa propre conquête.
Même si tout n'est que transitoire, ne mourons pas avant de mourir, même si je choisis, là, d'entendre, andante, La jeune fille et la mort de Schubert.
Ce livre est un élan, il incite à fleurir encore et encore.
Guenane Cade
Lien :
https://www.babelio.com/livr..